Les conditions gagnantes

1998


Jean Charest ne doit pas en croire ses oreilles. Quelques jours seulement après avoir prédit un «nouveau virage» de Lucien Bouchard en «évacuant sa promesse solennelle de tenir bientôt un nouveau référendum», voilà que ce dernier recule. Tombé tête première dans un piège d'une transparence pourtant désarmante, M. Bouchard semble confirmer l'hypothèse de M. Charest lorsqu'il avance que seules des «conditions gagnantes» lui feraient tenir un référendum.
Vendredi, alors que paraissait un sondage SOM désastreux pour le PQ, M. Bouchard listait ces fameuses conditions gagnantes. Entre autres, il faudrait que les «gens en veuillent», qu'on ait créé des emplois et relancé l'économie. Pourquoi pas attendre aussi d'avoir trouvé un remède contre la grippe? Et pour savoir si les gens en veulent fera-t-on un référendum pour leur demander.. s'ils veulent d'un référendum?
Ce qui fait problème, ce n'est pas de tenter de créer des conditions dites gagnantes (le masochisme politique ayant ses limites), c'est que les conditions de M. Bouchard font justement partie des raisons pour lesquelles des Québécois cherchent à faire la souveraineté. Cette dernière n'est-elle pas censée, entre autres, leur donner les outils essentiels à leur plein développement économique? Soyons logiques: si ces «conditions gagnantes», du moins celles qui touchent à l'économie, venaient à se réaliser avant un prochain référendum - donc, à l'intérieur du Canada -, c'est que notre appartenance à ce pays ne présenterait aucun obstacle réel à notre épanouissement. La souveraineté perdrait alors une de ses principales raisons d'être.
Autre question: vouloir se blinder d'avance à ce point, est-ce la vision qu'aurait le premier ministre des combats politiques? A ce compte, si on avait attendu des conditions gagnantes, le RIN et le PQ n'auraient jamais vu le jour et le référendum de 1995, où le OUI a failli l'emporter, n'aurait jamais eu lieu. Et dans ce siècle - pour s'éloigner un peu de notre nombril -, le féminisme ne serait jamais apparu puisque les «gens», dont une majorité de femmes, n'en voulaient pas. Etc., etc.
Mais pourquoi ce réflexe de recul? Pourquoi M. Bouchard hésite-t-il à sauter dans le ring pour défendre son option aussi fortement qu'un Jean Charest défend la sienne? Pour garder le pouvoir? Mais le pouvoir pour faire quoi? Pour ne pas oeuvrer à la promotion de la souveraineté et se contenter d'admirer béatement le déficit zéro? Cette promotion ne serait-elle pas, bien plus encore que la liste de M. Bouchard, une vraie «condition gagnante» qu'on s'est empressé de balayer sous le tapis en 1996? Si certains brillants conseillers se sortaient le nez des sondages et de leurs astuces pendant quelques minutes, peut-être verraient-ils que la mise en veilleuse de l'option risque d'avoir fait beaucoup plus pour réduire les appuis au OUI que tous les discours réunis de Stéphane Dion.
Peut-être verraient-ils la lente dilapidation de cet énorme capital politique qu'étaient pourtant les résultats du 30 octobre 1995. Ou l'impact sur l'opinion publique d'un contexte postréférendaire où les Québécois n'ont entendu parler de souveraineté que de la bouche des fédéralistes et donc, sous un éclairage particulièrement négatif. Peut-être verraient-ils que cette mise en veilleuse a également démobilisé la plupart des leaders d'opinion souverainistes qui, depuis deux ans, n'ont pas osé contredire cette position du gouvernement Bouchard. A la lecture des sondages, il semble bien qu'il y ait un prix à payer pour ce silence. D'autant plus que ce dernier semble vouloir perdurer, du moins, pour le moment. De fait, on ne sait trop, à la suite de cet appel aux «conditions gagnantes», ce qu'en pensent les Intellectuels pour la souveraineté (IPSO), les Partenaires pour la souveraineté, le PQ, le Bloc, Génération Québec, le Mouvement national des Québécois, le Mouvement souverainiste de Gilles Rhéaume, etc.
Croient-ils, eux aussi, que la reprise économique est une «condition gagnante» plus importante qu'une promotion constante de l'option sur le terrain et dans l'opinion publique?
Mais pourquoi tant d'hésitations chez le premier ministre? Y aurait-il manque de conviction? Ou y aurait-il crainte face à la complexification marquée du contexte politique depuis octobre 1995? Lundi, à la une du Devoir, Jean Charest observait qu'à l'ère des communications, «le défi de l'homme d'État, c'est un défi de persuasion». Encore faut-il, pour «persuader», avoir des convictions inébranlables. Une conviction est-elle si solide lorsqu'on songe à l'abandonner face à une lutte s'annonçant plus difficile que prévu?
Vendredi, M. Bouchard déclarait: «Des référendums qui divisent le Québec, je ne veux pas en faire.» Dans ce cas, il n'en fera pas, tout référendum sur une question aussi existentielle ne pouvant que diviser. L'«incertitude» présumément créée par un autre référendum, et dont se gargarise Jean Charest depuis trois semaines, ne serait-elle pas plutôt celle de ceux qui ne semblent plus tout à fait prêts à se battre pour «persuader» les Québécois de la nécessité de leur propre option?
L'Histoire nous enseigne que le pouvoir devient un piège lorsqu'il ne sert plus à réaliser ses projets et à promouvoir ses idées. Ce piège, le PQ s'y est pourtant déjà enfermé en 1985 avec Pierre Marc Johnson, avec comme résultat que trop de virages, politiques et économiques, ont fini par entacher sa crédibilité et lui valoir, au bout du compte, d'être «viré» par les Québécois.
Lundi, Bernard Landry rappelait avec raison qu'en 1995, «les gens ne voulaient pas de référendum, mais le jour du référendum, ils sont allés voter à 95%, ont donné 50% pour le OUI et les francophones, 60%». Le vice-premier ministre devrait peut-être expliquer tout cela à son patron, et pas seulement aux journalistes. Ce serait déjà un bon début Et s'il n'était pas le seul à le dire, du moins ailleurs que dans les salons où se scandalisent ceux qui n'osent pas parler en public, ce serait déjà là presque une «condition gagnante»...


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