Le syndrome du messie

1998

4 mars 1998
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Ça y est! La chasse au messie est repartie de plus belle au Québec. Depuis la démission-surprise de Daniel Johnson, le PLQ se cherche un sauveur, un leader «charismatique» pouvant rivaliser avec Lucien Bouchard. Bonne chance...
Evidemment, tous les yeux, libéraux et autres, se tournent vers Jean Charest, le seul politicien francophone pouvant possiblement remplir cette commande. Investi par les médias et les sondeurs de ce même «charisme» si désespérément recherché, le chef actuel du Parti conservateur est vu par nombre de fédéralistes comme le Moïse de l'unité canadienne. Celui qui saura, contrairement à Daniel Johnson, libérer les Québécois de leurs chaînes «séparatistes».
Drôle de société, drôle de politique où le contenant se substitue de plus en plus au contenu... Jean Charest passe bien dans les sondages, qu'on nous dit. Jean Charest est un bon communicateur. Jean Charest est aussi «populaire» que Lucien Bouchard. Jean Charest est sacré «charismatique» par les grands prêtres de l'information. Jean Charest ferait donc, on nous dit, un très bon chef.
Mais la chasse aux messies est un sport hasardeux. Les chasseurs du PLQ auront beau s'armer des meilleurs filets, il est impossible de savoir d'avance quel type de gibier ils finiront par capturer. Tout le monde s'emballe, le safari semble prometteur, mais que faire si le messie tant espéré - nonobstant ses qualités sûrement nombreuses - ne s'y laisse pas prendre? Que faire si M. Charest préfère une éventuelle canonisation au 24 Sussex Drive à une béatification hâtive sur la Grande Allée?
Daniel Johnson aura eu beau faire un geste sacrificiel d'une abnégation et d'une noblesse rares, son parti pourrait alors se retrouver gros jean comme devant. Et le «Jean» en question risque de se nommer «Chrétien». Celui-là même qui, avec ses instincts de fédéraliste arrogant, risque de continuer à se croire également chef du PLQ, que Jean Charest y soit ou non...
Mais il y a pire encore. Que le PLQ se donne ou non un messie, le nouveau chef se retrouvera inexorablement prisonnier d'une conjoncture ne laissant aucune place à la fameuse «troisième voie» si chère aux libéraux francophones du Québec. Le problème devient donc, pour ainsi dire, insoluble: comment faire la promesse d'un fédéralisme renouvelé - sans laquelle le PLQ ne gagnera que peu d'appuis chez les francophones -, alors que le rêve dualiste ou binational est bel et bien mort en ce pays?
Comment imposer au PLQ un virage nationaliste essentiel à son élection face à un Canada anglais de plus en plus intransigeant? Comment créer le mirage d'un Canada pouvant être réaménagé dans le sens des demandes dites traditionnelles des fédéralistes québécois?
Voilà bien ce à quoi sera confronté le prochain chef du PLQ, dans la mesure, bien entendu, où il réussira à se libérer de l'influence exagérée de son aile anglophone et fédéraliste orthodoxe, une aile ressemblant de plus en plus à une succursale du PLC. Bref, dans le contexte inter-référendaire actuel, et avec le durcissement évident et continu du Canada anglais et d'Ottawa, tout nouveau chef du PLQ se retrouvera coincé dans une position éthique extrêmement délicate.
Si, au grand dam du PLQ, M. Charest venait à décliner son invitation, les autres candidats intéressants - comme Liza Frulla, dont l'heure pourrait être venue -, devront eux aussi réfléchir à ces questions des plus cruciales pour l'avenir du PLQ. Seront-ils prêts à chanter la pomme une fois de plus aux francophones, dont une certaine proportion, selon tous les sondages, ne demandent pas mieux que d'espérer encore, on ne sait trop pourquoi ou comment, une nouvelle «offre» du fédéral?
Si la réponse est oui, le nouveau ou la nouvelle chef du PLQ devra se livrer à d'acrobatiques «restrictions mentales», entre autres, sur le fait que les fédéralistes autonomistes n'ont tout simplement plus d'interlocuteurs valables et influents au Canada anglais ou à Ottawa. Obligé de faire miroiter cet utopique Canada nouveau, du moins, s'il entend obtenir la faveur d'une majorité de francophones, le nouveau chef du PLQ «oubliera» de mentionner l'impasse profonde que vit ce pays et l'incompatibilité croissante des aspirations des deux peuples dits fondateurs.
Et c'était là, au bout du compte, le véritable «problème» de Daniel Johnson. Ce n'était pas son manque de «charisme» ou de télégénie qui lui aura coûté son poste, mais son incapacité, ou son refus de manipuler l'opinion en lui faisant croire à un fédéralisme renouvelé dont il semblait avoir fait le deuil depuis longtemps.
Le drame du PLQ est que sans cette illusion d'un nouveau Canada, son chat électoral est mort. En cette matière, le réalisme est peu payant. Imaginez, un tout petit instant, un chef du PLQ déclarant haut et fort que si les Québécois veulent demeurer au Canada, ils devront le prendre «tel quel» et cesser d'espérer un modèle plus asymétrique. Imaginez le drame dans les chaumières où on s'entête encore à y croire. Imaginez la rapidité avec laquelle ce chef serait défait.
Pourtant, il n'aurait fait qu'observer une donnée relativement objective, soit que le Canada ne sera jamais un Etat binational et que les Québécois n'y trouveront jamais l'égalité dont ils rêvent depuis des générations. «Take it or leave it!», comme disent les Américains. Mais il semble que l'ambiguïté demeure plus profitable que la clarté. Et vogue la galère constitutionnelle...
Mais parce que le PLQ cherche à être élu, qu'il a donc besoin des francophones et que la prochaine élection ne sera pas une élection provinciale ordinaire, mais une véritable lutte pour la survie du Canada, le PLQ n'en dira mot. En lieu et place, il tentera de s'adjoindre un «messie» qui nous promettra un miracle, celui de la résurrection du rêve binational. Et il s'en trouvera toujours - quelques-uns ou plusieurs - pour y croire. C'est tellement beau, les miracles...
Mais si le nouveau chef choisit, en effet, de brandir aux francophones la chimère d'un fédéralisme renouvelé, le PLQ, ayant succombé au syndrome du messie, devra alors prendre gare à un autre syndrome encore plus périlleux, quoique nettement plus répandu. Celui de Pinocchio...


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