Les chiffres qui font peur aux Québécois

Recensement 2006 - Langue française



Les données publiées mardi sur l'immigration et sur la langue à partir du recensement de 2006 ont suscité des réactions diverses chez les Québécois. Les francophones trouvent ces chiffres inquiétants pour l'avenir de la langue française au Québec et à Montréal pendant que les anglophones se réjouissent du fait que leur poids démographique soit stable dans la Belle Province.
Or, si on en croit les chiffres de Statistique Canada, les transferts linguistiques enregistrés chez les immigrants, pour une première fois, se sont faits en faveur du français. De plus, la langue parlée au domicile par les immigrants demeure le français.
Qui perd vraiment avec ces résultats? Ce ne sont pas les francophones du Québec. Ce sont plutôt les immigrants et les francophones hors Québec. À la lumière de ces chiffres et des réactions qu'ils ont suscitées, posons-nous la question: qui est vraiment francophone à Montréal et au Québec?
De quels francophones s'agit-il?
Il existe une confusion dans l'utilisation du terme «francophone» au Québec. Un francophone est en principe une personne capable de s'exprimer en français, que sa langue maternelle soit le français ou non. Or on a tendance à utiliser ce terme pour désigner les Québécois blancs de langue française alors qu'il fait référence à toute personne qui parle le français, qu'il soit marocain, sénégalais ou québécois d'origine et qui a le français pour langue maternelle.
Comme Guinéen, c'est ici que j'ai commencé à douter de mon statut de francophone. Avec tous les vocables que les politiciens, les scientifiques et les natifs d'ici ont créés pour nous distinguer des Québécois blancs dits de souche, il est devenu difficile pour le commun des immigrants de savoir à quelle catégorie il appartient. Minorité visible? «Importé»? Minorité ethnoculturelle? Minorité audible? Communauté culturelle? Ces vocables, au lieu de rapprocher les immigrants des natifs d'ici, favorisent plutôt leur stigmatisation.
Le Petit Robert est encore plus clair quant à la définition du terme «francophone»: «Qui parle habituellement le français, au moins dans certaines circonstances de la communication, soit comme langue maternelle, soit comme langue seconde.» Si on s'appuie sur cette définition, force est de reconnaître que les francophones ont connu un accroissement depuis le recensement de 2001.
Les Africains précités ne sont donc pas des francophiles qui aiment le français, comme on le prétend souvent. Ils vivent en francophones, mangent en francophones, pensent et écrivent en francophones. Ils sont simplement des francophones, comme il existe une Afrique et un Maghreb francophones. Finalement, il ne faut pas perdre de vue que les immigrants dont les enfants vivent le phénomène du transfert linguistique développent des stratégies pour l'apprentissage de la langue d'origine.
Transferts linguistiques
Le fait que les immigrants aient massivement délaissé (50 %) leur langue maternelle au profit du français ne semble inquiéter personne au Québec. Ce phénomène est plutôt perçu comme une bonne chose par la majorité blanche. Au Québec, le français était la langue la plus souvent parlée à la maison par 81,8 % de la population. De plus, seulement 7,6 % des gens parlaient une langue autre que le français ou l'anglais à la maison.
Visiblement, le fait que les immigrants parlent le français à la maison est associé à une preuve d'intégration pour les francophones. Or il s'agit davantage d'assimilation. [...] Par exemple, des familles d'Afrique subsaharienne vivant à Montréal (Mali, Sénégal, Cameroun et République démocratique du Congo) vivent un véritable drame culturel devant la perte des traditions linguistiques (et aussi culinaires) chez leurs enfants.
Certaines familles combattent ce phénomène en envoyant leurs enfants en stage ou en immersion linguistique dans leur pays natal afin qu'ils apprennent la langue de leurs parents. Les stratégies développées par ces familles immigrantes pour contrer l'assimilation se font parfois au détriment du développement de leurs enfants, qui ne peuvent pas poursuivre leurs études dans les mêmes conditions que leurs congénères québécois. Le désir fou des parents immigrants de vouloir intégrer à tout prix leurs enfants à la société québécoise leur a fait perdre de vue la préservation des traditions linguistiques du pays natal.
Or «intégration» ne signifie pas forcément «assimilation» si on tient compte de la raison d'être de l'interculturalisme québécois. Mais le discours officiel n'est pas clair en ce qui concerne la finalité du transfert linguistique et de ses conséquences sur les immigrants. L'objectif visé consiste-t-il à franciser les immigrants pour pouvoir communiquer ou à les déposséder de leur langue d'origine? Il est donc primordial de s'interroger à propos de la pertinence de l'utilisation de la langue parlée à la maison comme indicateur de francisation des immigrants au Québec.
Immigrants perdants
Il faut aussi s'interroger sur les véritables perdants d'un transfert linguistique. Mon analyse me laisse croire que ce sont généralement les familles immigrantes qui y perdent lorsqu'il y a transfert linguistique en faveur d'une autre langue comme le français. Les langues maternelles disparaissent progressivement au fil des générations chez la plupart des familles immigrantes, et particulièrement chez celles d'origine africaine.
Si le poids des immigrants augmente au Québec au détriment de la majorité blanche, cela s'explique par l'augmentation du taux d'immigration depuis 2001. Les chiffres de Statistique Canada confirment cette réalité déjà attendue. Le Québec a accru son taux d'immigration depuis 2001, et on s'attend à ce que ce choix ait des conséquences futures sur la composition démographique de la population d'ici.
Les conséquences de ce choix de société commencent à poindre, comme le montrent les données tirées du recensement de Statistique Canada. Nous devons assumer collectivement cette responsabilité au lieu de jouer à l'autruche. Tous les spécialistes sont d'ailleurs unanimes à reconnaître que l'augmentation récente du taux d'immigration ne va pas radicalement bouleverser la société québécoise. Même si le poids de la majorité blanche diminue, elle restera la principale force démographique et économique pour longtemps encore au Québec et à Montréal. C'est cette réalité que la majorité blanche doit comprendre.
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Mamadou Cellou Barry, Docteur en études urbaines
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Cellou Barry4 articles

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Détenteur d’une maîtrise en sociologie de l’Université de Montréal et d’un doctorat en études urbaines de l’INRS, Urbanisation, Culture et Société de Montréal, je travaille depuis 2001 au Gouvernement du Québec. Je milite pour une meilleure intégration des immigrants au Québec et pour l’avènement d’une véritable démocratie en Afrique et particulièrement en République de Guinée, ma terre natale.





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