LE SOLEIL - RÉFLEXION

La vraie urgence, c'est cette jeunesse frustrée de communautés culturelles

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Immigration - capacité d'accueil

(Photothèque Le Soleil)

Les travaux de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles (CCPARDC) qui se déroule présentement ont mis en lumière le malaise identitaire que vit la population québécoise dite de souche.
Pour ma part, je voudrais attirer l'attention de l'opinion publique québécoise sur une réalité qui a été peu abordée lors des débats qui ont marqué le parcours de cette commission à travers le Québec tout comme celle-ci est rarement abordée de façon sereine dans l'espace public par nos politiciens. Il s'agit de la situation de précarité économique et d'exclusion sociale vécue par nos compatriotes issus de l'immigration et des minorités visibles. Cette question ne revient à l'agenda de nos formations politiques que lors des élections.
Ainsi, leur taux de chômage est trois fois plus élevé que celui de leurs compatriotes dits de souche bien qu'ils soient plus scolarisés que ces derniers. L'un des obstacles majeurs à la mobilité socio-économique des immigrants au Québec est la lenteur observée dans la non reconnaissance de leurs diplômes acquis à l'étranger de même que leur expérience professionnelle. Sans compter le racisme dont ils sont victimes dans divers domaine de la vie courante.
Une discrimination insidieuse
Cette discrimination insidieuse est tout aussi palpable au sein de la fonction publique. On sait par exemple qu'une partie de l'argent transféré par le fédéral destiné en principe pour l'intégration des immigrants est utilisé pour renflouer le budget de certains ministères qui font peu d'efforts pour diversifier leur personnel au plan ethnoculturel. En effet, il est scandaleux d'apprendre, par exemple, que les sommes versées par le fédéral au Québec qui sont destinées à l'intégration des immigrants soient utilisée à d'autres fins, comme en témoignent les dénonciations récentes des partis de l'opposition à Québec.
Or le budget du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles (MICC) est presque le même depuis 2001, alors que le nombre de nouveaux immigrants reçus au Québec a triplé depuis 2001. Durant la dernière campagne électorale, seul le Parti québécois avait pris l'engagement de consacrer à l'intégration des immigrants toutes les sommes allouées au Québec dans le cadre d'un transfert fédéral car, en ce moment, certaines des sommes d'argent sont dépensées en santé et en éducation. Ce transfert tel qu'en santé n'entraîne pas pour autant un accroissement de services dédiés aux immigrants.
À titre d'exemple, la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) impose toujours aux nouveaux arrivants, et dès leur arrivée — même s'ils ont des enfants en bas âge—, un moratoire de trois (3) mois avant qu'ils n'obtiennent leur carte d'assurance maladie, alors que ces derniers ont déboursés des frais d'établissement avoisinant les quelques milliers de dollars. En contrepartie, le MICC ne reçoit pas les sommes qui lui sont nécessaires pour couvrir l'ensemble des besoins des immigrants. Cette année, ce ministère a reçu 111 millions sur les près de 200 millions versés par Ottawa, alors qu'il devrait en principe en recevoir la totalité.
Piètre exemple de la fonction publique
D'un autre point de vue, on peut s'interroger sur la représentativité de la société québécoise dans le contexte réel de sa diversité culturelle au sein de la fonction publique. Ainsi le ministère de la Santé et des Services sociaux qui accapare une grande partie du budget de l'État québécois a embauché en 2005-2006 un nombre de 192 jeunes issus de la majorité francophone contre 17 personnes seulement issues des communautés culturelles, la plupart comme occasionnelles ou stagiaires et non comme employés réguliers. Quant aux anglophones, ils n'étaient que deux, alors qu'un seul autochtone a été recruté durant la même période. Il n'est donc pas étonnant que ces trois groupes cibles soient sous-représentées parmi son personnel.
Ces derniers ne représentent respectivement que 2,3%, 0,3% et 0,1% des 877 employés du ministère de la Santé et des Services sociaux, comme l'indique le plan annuel de gestion du ministère de 2005-2006. Bref, les gestionnaires se contentent de recruter soient des femmes, soient de jeunes blancs francophones à la place de personnes issus des minorités visibles, anglophones ou autochtones pour en partie répondre d'une part aux exigences du gouvernement en matière d'équité en emploi et d'autre part dans le but de préserver l'homogénéité de leurs milieux de travail.
Le ministre Couillard devrait prendre des mesures urgentes et vigoureuses pour remédier à cette situation qui ne fait pas honneur à son ministère. Bien qu'il s'agisse d'une situation qui se manifeste dans plus d'une instance publique, il est encore plus évident dans le ministère de la Santé et des Services sociaux. Or, ce ministère aurait tout à gagner à favoriser l'équité en emploi en faisant aussi le recrutement de personnes compétentes issues des minorités visibles puisqu'il déploie des efforts dans l'élaboration de programmes devant être adaptés aux immigrants! Des professionnels issus des minorités visibles oeuvrant dans d'autres ministères souhaiteraient participer au rehaussement de la qualité des programmes ciblant les immigrants mais faute d'ouverture de certains gestionnaires, ils n'arrivent pas à participer à cette aventure professionnelle.
Le problème en région
Dans le contexte actuel où les ministères et services publics clament leur désir de vouloir intégrer les immigrants sur le marché du travail au Québec, il faut s'interroger sur les moyens utilisés pour les recruter. L'on se souvient que l'un des engagements électoraux du Parti libéral était d'augmenter le niveau actuel de l'immigration et de recruter des immigrants en provenance de régions rurales plutôt qu'urbaines. Or, dans tous les pays potentiels d'émigration, les zones rurales se vident au profit des grandes villes. Ceci est une tendance lourde observée dans le monde contemporain par les spécialistes en études urbaines.
C'est le cas aussi au Québec et dans le reste du Canada. L'objectif visé est de peupler le Québec profond par des immigrants de souche paysanne. Cependant, les immigrants tout comme les jeunes choisissent les grandes villes en majorité comme lieu d'établissement. D'où le caractère un peu incohérent de vouloir recruter davantage d'immigrants de souche paysanne, alors que l'on sait qu'un jour où l'autre, ils migreront vers les grandes centres urbains.
Les propos xénophobes tenus dans certaines régions lors du passage de la Commission Bouchard-Taylor ne militent pas en faveur d'une régionalisation de l'immigration. Or, l'immigration contribue à inverser le déclin démographique du Québec et à assurer sa vitalité économique et culturelle. En effet, Statistique Canada a montré que le boum démographique enregistré au Québec entre 2001 et 2006 est largement attribuable à l'apport des immigrants. Et continuera de l'être selon cette institution fédérale de recherche.
Difficultés majeures à trouver leur place
Quant à moi, je pense plutôt que la question qui devrait préoccuper nos décideurs ainsi que l'ensemble de la population est de savoir comment se fait-il que l'on veuille augmenter le niveau d'immigration alors que l'on sait que ceux qui sont déjà sur le territoire éprouvent des difficultés majeures à trouver leur juste place au sein de la société québécoise. L'Action démocratique du Québec (ADQ) s'appuie généralement sur ce paradoxe pour militer en faveur du maintien du niveau d'immigration actuel.
Or, ce n'est pas sous cet angle qu'il faut aborder le problème d'intégration des immigrants déjà installés au Québec.
Tous les spécialistes et observateurs sont unanimes pour dire que la meilleure intégration pour un immigrant passe par l'obtention d'un travail décent et lié à son domaine d'études ou de compétences. C'est à partir du moment que ce besoin vital est comblé que cet immigrant pourra aspirer à faire du Québec sa terre d'appartenance et de vouloir y participer à sa prospérité économique. Sans cela, ce dernier sera contraint par la force des choses d'être un voyageur de passage qui poursuivra son chemin à la recherche de provinces ou de pays voisins plus propices à la réalisation de son rêve nord-américain.
Plus de ressources pour l'intégration
Pour contrer cette migration vers d'autres cieux, le gouvernement devrait dégager des ressources suffisantes afin de faciliter l'insertion socioprofessionnelle des Québécoises et Québécoise issus de l'immigration et des minorités visibles. Pourquoi ne pas, par exemple, songer enfin à doter le ministère de l'Immigration et des Minorités culturelles d'un budget de deux milliards au moins pour lui permettre enfin de réaliser les moyens de sa politique. Sinon, que l'on tienne compte dans les calculs de son budget de l'augmentation du niveau de l'immigration des prochaines années.
Par ailleurs, l'argent des contribuables qui est injecté dans les commissions, les consultations publiques et autres groupes de travail pour approfondir certaines questions soulevées par l'immigration aurait pu servir d'une part pour bonifier le budget du MICC et d'autre part à soutenir les organismes dont la mission vise l'intégration des immigrants. Plusieurs de ces organismes sont au bord de fermer leurs portes ou bien l'on déjà fait faute de financement adéquat. Décidément, l'argent n'est pas utilisé à bon escient même si la volonté ne manque pas.
Une bombe à retardement
La véritable urgence qui s'impose au gouvernement du Québec est l'avenir des jeunes des communautés culturelles et des minorités visibles. Le manque de volonté politique et l'absence d'ouverture de certains employeurs qui n'ont pas encore compris que l'immigration est une chance et non un problème pour le Québec dans le contexte de la mondialisation où plusieurs pays s'arrachent les meilleurs travailleurs de la planète, explique en partie l'absence d'une telle initiative.
Les adolescents qui grandissent présentement dans les arrondissements de Saint-Michel, de Montréal-Nord, de Parc Extension ou dans la Petite Bourgogne sont quasiment traités comme des Québécois de seconde classe. Il est pourtant indéniable que si les acteurs interpellés plus haut ne se soucient pas de leur avenir maintenant, les jeunes prendront les moyens à leur portée demain pour prendre leur place dans l'espace public et ce ne sera pas de la bonne manière.
Cette jeunesse frustrée qui évolue dans ces quartiers défavorisés risque de se transformer en une véritable bombe incendiaire qui va nous exploser dans les prochaines années en plein visage comme ce qui est arrivé dans les banlieues françaises. C'est la véritable menace qui pèse sur le Québec et non la question des accommodements raisonnables qui fait l'objet de débats passionnants actuellement. Ils sont l'avenir du Québec.
Il suffit pourtant de parcourir Montréal-Nord qui est maintenant habité en majorité par des Québécois de descendance africaine pour se rendre compte de la misère qui y est dominante. Personne n'aspire pourtant à vivre dans la pauvreté. Seulement voilà tout le monde n'a pas les mêmes chances au Québec. C'est dans ce sens qu'il serait important d'en finir avec cette inégalité des chances qui a de lourdes conséquences économiques pour nos concitoyens issus de l'immigration et des minorités visibles ainsi que pour le Québec d'aujourd'hui et de demain.
***
Mamadou Cellou Barry
Ph.D en études urbaines, Montréal
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Détenteur d’une maîtrise en sociologie de l’Université de Montréal et d’un doctorat en études urbaines de l’INRS, Urbanisation, Culture et Société de Montréal, je travaille depuis 2001 au Gouvernement du Québec. Je milite pour une meilleure intégration des immigrants au Québec et pour l’avènement d’une véritable démocratie en Afrique et particulièrement en République de Guinée, ma terre natale.





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