Négritude et mouvement nationaliste québécois

Pour terminer, je dirais que décidément, la rencontre entre la Négritude et la question nationale ne crée pas un bon ménage au Québec.

L'affaire de la "reine-nègre" - VLB

Les réactions suscitées par la publication du texte de Victor-Lévy Beaulieu
(VLB) qui a été perçu par le monde intellectuel haïtien comme une attaque
personnelle à l’endroit de l’institution que représente Michaëlle Jean m’est
apparue très opportuniste. La réaction de Dany Laferrière m’est aussi
apparue contradictoire.
C’est pourquoi, je désire faire une mise au point à propos du terme Nègre
qui est cœur de ce faux débat. Il faut se rappeler que les initiateurs du
mouvement intellectuel structuré autour de la Négritude ont été assez
clairs pour affirmer leur différence par rapport au monde occidental. En
effet, s’affirmer dans la différence avec le monde occidental était le
principal objectif visé par les initiateurs de la Négritude. «Nègre je
suis, nègre je resterai» affirmait l’Antillais Aimé Césaire. «L’émotion est
nègre comme la raison est hellène » précisait pour sa part l’Africain
Senghor.
Leurs détracteurs les avaient taxés de colonisés à l’époque. Mais le temps
a fini par leur donner raison. En effet, dans le contexte du colonialisme
qui dominait l’Afrique et les Antilles, les intellectuels Noirs ont eu
besoin de se trouver des repères identitaires communs sur lesquels fonder
leur lutte pour faire basculer le système colonial dans leurs différents
pays. C’est dans cet esprit qu’ils ont voulu valoriser l’identité noire
dans une optique de rassemblement et d’unité du monde noir.
Aujourd’hui, les repères servant à la lutte des Noirs ont changé.
Toutefois, les motifs restent les mêmes : soit lutter contre la
discrimination raciale et valoriser les identités sociales et culturelles
des peuples anciennement opprimés par le colonialisme et l’esclavagisme.
C’est pourquoi j’ai été fort étonné de constater que Dany Laferrière aborde
le mot nègre comme quelque chose d’humiliant et de raciste. Or ce mot a été
pourtant au cœur de l’unité du monde noir durant l’époque de Césaire et de
Senghor. Est-ce que cela est dû au fait qu’il est utilisé dans le contexte
québécois par un auteur blanc?
Il est clair que l’usage du terme nègre ou pire celui de Reine nègre
accolé à Michælle Jean peut revêtir une connotation négative dans le
contexte actuel québécois lorsqu’il provient d’un intellectuel issu de la
majorité francophone comme VLB pour critiquer un symbole de fierté pour les
communautés haïtiennes. Rien donc d’étonnant que les intellectuels et les
membres de cette diaspora réagissent mal aux propos du petit Roi de Trois
Pistoles.
Mais il faut rappeler que Dany Laferrière a construit sa célébrité au
Québec et dans le reste du monde par un usage instrumental du mot Nègre
dans ses oeuvres. Par exemple, il s’est fait connaître ici à travers son
œuvre intitulée Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Il y
célèbre clairement son identité nègre. Il a donc selon mon point de vue
réussi à instrumentaliser à son profit son identité nègre sans que personne
ne s’en offusque au Québec.
***
Quant à Victor Lévy Beaulieu, il faut reconnaître qu’il a fait preuve d’un
véritable manque de jugement. Son texte constitue davantage une attaque
personnelle envers l’intégrité de sa cible, Michælle Jean, qu’à l’endroit
de la fonction occupée par celle-ci, tel que le montre ce passage de son
texte : parce qu’elle était noire, jeune, jolie, ambitieuse. J’ai été très
surpris de constater qu’aucune féministe d’ici n’ait réagit à ce passage du
texte de VLB dans la mesure où il y révèle clairement son côté machiste.
Les réactions sont venues plutôt des intellectuels de la diaspora haïtienne
montréalaise qui s’est sentie directement attaquée.
J’ai trouvé cet autre passage de la réplique de VLB particulièrement
insultant pour la diaspora noire:
"La communauté noire aurait fait front
commun derrière Laferrière, la communauté noire étant québécoise quand elle
n’est pas critiquée, mais se transforme aussitôt en une ethnie tricotée
serré dès que l’un des leurs se retrouve sur la sellette, peu importe la
raison. Je suis capable de le comprendre même si je trouve qu’il s’agit là
d’un problème d’immaturité politique flagrant. "
Il fait preuve ici d’une
grande méconnaissance des particularismes identitaires qui divisent la
diaspora noire au Québec. S’il avait consulté son ami Dany à ce propos, il
lui aurait évité cette bourde car il n’existe non pas une mais des
communautés noires au Québec. De plus, bien que Dany soit populaire et soit
issu de l’une des plus importantes parmi ces communautés au Québec ne fait
pas forcément de lui un leader aux yeux des autres. D’ailleurs, Dany se
distancie de tous les événements axés sur la célébration de l’identité
noire au Québec. Même s’il tire son inspiration des conditions d’exil de
cette diaspora. C’est le cas par exemple de la célébration du Mois de
l’histoire des Noirs qu’il a toujours critiqué. VLB aurait dû se limiter à
la communauté haïtienne, même si celle-ci est en elle-même divisée en une
multitude de communautés, au lieu de généraliser ses propos à toutes les
communautés noires.
Pour terminer, je dirais que décidément, la rencontre entre la Négritude
et la question nationale ne crée pas un bon ménage au Québec. Il faut
trouver les origines de cette situation dans les différents qualificatifs
accolés aux Canadiens français ces dernières décennies. Ces derniers ont
été qualifiés par la majorité dominante anglophone de nègres blancs
d’Amérique et de Québécois de souche par les tenants du multiculturalisme.
Ces caractéristiques de groupe minoritaire au plan linguistique et de
dominés dans le contexte canadien aurait pu en principe créer un sentiment
de solidarité entre les Francophones et les Noirs d’ici. Malheureusement
ceci est loin d’être le cas. Or, la Négritude est un des mouvements
identitaires initiés par des intellectuels noirs et francophones qui a
inspiré bon nombre d’auteurs d’ici y compris VLB.
Bref, le bon ménage entre
la Négritude et le mouvement nationaliste est une réalité à réinventer au
Québec.
Cellou Barry, docteur en études urbaines

Québec
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Cellou Barry4 articles

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Détenteur d’une maîtrise en sociologie de l’Université de Montréal et d’un doctorat en études urbaines de l’INRS, Urbanisation, Culture et Société de Montréal, je travaille depuis 2001 au Gouvernement du Québec. Je milite pour une meilleure intégration des immigrants au Québec et pour l’avènement d’une véritable démocratie en Afrique et particulièrement en République de Guinée, ma terre natale.





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7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juin 2008

    Monsieur Cellou Barry
    Désolé monsieur Barry.Ainsi que me l'a signalé monsieur Desjardins ici-bas, j'y suis allé trop excessivement à votre endroit dans mon ardeur pour répondre a votre point de vue. J'ai été moi-même polisson par certains mots injustes qui pourraient possiblement blesser en effet et, je vous demande de m'excuser.
    Serge Jean

  • Archives de Vigile Répondre

    9 juin 2008

    Monsieur Serge jean,

    Je ne vous suis pas. Comment après avoir étudié ici ou ailleurs la diaspora haïtienne pourrait retourner au pays des ancêtres sachant tout l’inconfort et les désavantages qu’elle subira!

    Ceux qui pourraient aider à sa reconstruction n’y sont tout simplement plus. La saignée de ses meilleurs éléments, après avoir reçu une éducation universitaire, se poursuit, personne n’est vraiment intéressé à retourner en Haïti après avoir étudié ou vécu à l’étranger et c’est là tout le drame.

    La diaspora se dédouane comme elle peut en envoyant de l’argent, des vivres, des besoins de première instance et du matériel scolaire, mais à l’évidence ce n’est pas suffisant pour sortir Haïti de sa détresse sociale et intellectuelle et pour faire d’Haïti une démocratie vraiment moderne et auto suffisante. Il faut plus. Mais rien ne se fait, la saignée se poursuit…

  • Archives de Vigile Répondre

    8 juin 2008

    À vous lire monsieur Barry j'y perçois globalement un discours à caractère tendancieux, dont la destination m'échappe. Il est très difficile de décoder correctement les aménagements littéraires de ce type. L'art abstrait des mots probablement.
    Monsieur Victor-Lévis Beaulieu québécois de souche qui visiblement semble être perçus par vous et tous les collabos confondus du fédéral comme une entrave et un érodant contre cette nouvelle île intellectuelle émergente qui tente de s'amarrer à la conscience québécoise de souche qui est la majorité ici, pour les convaincre de se prostituer dans une opération de transgénèse qui arrangerait les intérêts d'une poignée de taponneux de nation qui ne savent plus quel bord prendre sur cette planète.
    Je suis moi-même un québécois de souche et vous ne réussirez pas à me reléguer dans le département des lépreux dans ma propre maison. Et puis ôtez donc vos grosses bottes de polissons qui écrasent les iris de notre jardin en floraison.
    Sachez également vous les taponneux de nation qui se cachent dans les frandes villes, sachez que Montréal n'est pas le centre du Québec. Montréal est une ville du Québec et on voit bien à l'analyse de vos textes que vous êtes complètement ignorants du Québec en dehors de l'île de Montréal. Votre rêve de tour de Babel ne m'intéresse pas, et comme mon père le disait si bien avec sa pipe dans yeule : Si vous n'êtes pas contents, sacrez donc votre camp d'où vous venez, on ne vous retiens pas.

  • Jacques Bergeron Répondre

    8 juin 2008

    Ce n'est pas Harper qui a nommé la gouverneure général mais bien Paul Martin dans une stratégie toute machiavélique visant à tirer profit de cette action envers les minorités «ethniques» et princiaplement chez les Haïtiens» ce qui a permis à Denis Coderre de se faire réélire très très facilement. De là à dire que Paul Martin a posé une action raciste est un pas à franchir allègrement.Il ne faut donc pas accuser Harper pour une action posée par le «chef» du Parti Libéral du Canada qui a vu apparaître au firmament de la royauté une Haïtienne, citoyenne de France et du Canada ayant frayé avec des indépendantistes notoires tout comme le «Prince consort» qui l'accompagne dans ses déplacements de par le vaste monde afin de représenter la «Reine d'Angleterre», une Grande dame qui ne fait pas de politique, ni ne fait dans la politique.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 juin 2008

    Le professeur Assogba nous sert un texte semblable au vôtre dans un quotidien du matin. Il reconnait que la critique du poste de gouverneur et du rôle politique qu'on lui fait jouer plus que jamais est totalement justifiée. Mais les attaques contre la personne ajoutées au plat gastronomique en font un mets amère: femme noire, reine-nègre, maniérée, colonisée de colonisée extr
    aterrestre... Bien répété en plus pour insister, si j'étais noir j'aurais mal. Depuis qu'on s'applique .a bannir du vocabulaire les républiques de bananes, les roi-nègres, les mangeurs de maniok créés par le colonialisme européen surtout, il ne manquait qu'une crisette pour ressussiter le tout et le défendre sur Vigil. On dit qu'il faut dire ses impressions oui mais avec fraternité. Pas de décharge émotives pour tenter de se justifier par la suite; justification qui avoue son erreur en soi. On explique comme si le message devait être transmis par la presse avec nuances alors qu'on décharge ses émotions plutôt que son humour et sa raison. comme s'il s'adressait à un auditoire de robots ou encore d'étudiants inscrits au doctorat. Abel n'est plus avec sa grosse négresse dans un roman ici, les gens ont un coeur qu'il ne faut pas briser. Même Laferrière a été mal reçu aux USA à cause de la mentalité qui est différente. Il faut savoir à quel auditoire on s'adresse avant de faire des décharges émotives qui éloignent du but visé et sabotent au lieu d'aider. Je lève mon chapeua au prof Barry sur ce point.

  • Rodrigue Guimont Répondre

    5 juin 2008

    Vous dites M. Barry : «Ces derniers (les Québécois de souche) ont été qualifiés par la majorité dominante anglophone de nègres blancs d’Amérique ». Mais c’est archi-faux !!!
    Pierre Vallières , fut le PREMIER écrivain à utiliser cette expression qui, définissait les Québécois de souche à petit salaire et petit métier en 1968. S.V.P. M. Barry ne mêlez pas tout !...
    Vous dites également que Laferrière : «se distancie de tous les événements axés sur la célébration de l’identité noire au Québec. Même s’il tire son inspiration des conditions d’exil de cette diaspora. C’est le cas par exemple de la célébration du Mois de l’histoire des Noirs qu’il a toujours critiqué. »
    Pas un très bon ménage en effet.
    J’ai l’impression parfois que Laferrière (et nombre d’Haïtiens… dont Madame Jean) aimerait être n’importe qui sauf noir, tout sauf être d’origine afro-haïtienne, ne plus sentir sans crier, parce que gravé sur sa chair et son cœur, cette brulure de l’esclave qui traverse encore les générations. Désolant et consolant pays d’Haïti, espoir déçu né de mille espoirs de liberté.
    Aujourd’hui Laferrière est un écrivain japonais, une affirmation ludique affirme-t-il, comme un règlement de compte avec l’éternel problème de l’identité.
    Mais voilà, le souvenir ancestral est inscrit dans l'héritage historique, on ne peut sans mentir, tromper son corps et son cœur, faire comme si... par la magie de l’écriture, ou d’un Premier Ministre (Paul Martin), faire que vous êtes reine, créateur, dieu ou japonais. La mise en abyme vous reviendrait toujours déformée, tant et aussi longtemps que vous chercherez être l’Autre.
    L’exilé, le vrai, sera toujours assis entre deux chaises, comme entre deux cultures, ni tout à fait l’un et ni tout à fait l’autre.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 juin 2008

    Vous avez écrit: « il faut reconnaître qu’il a fait preuve d’un véritable manque de jugement. Son texte constitue davantage une attaque personnelle envers l’intégrité de sa cible, Michælle Jean, qu’à l’endroit de la fonction occupée par celle-ci, tel que le montre ce passage de son texte : parce qu’elle était noire, jeune, jolie, ambitieuse. »
    Mais où êtes-vous allé chercher ça? Ça n'a aucun sens.
    Le passage dit : « ... elle aussi entachée par le règne dépensier d’Adrienne Clarkson, il songea aussitôt à Michaëlle Jean : elle était noire, jeune, jolie, ».
    VLB affirme que Harper fait du capital politique sur le dos de Michaëlle Jean, en la sélectionnant par calcul pour son image de jolie jeune québécoise noire. Par on ne sait quelles pirouettes mentales, vous attribuez maintenant le comportement « machiste » de Harper à VLB.
    Est-il possible de déraisonner plus fort encore?
    Après les généralisations ridicules sur l'opinion présumée des Haïtiens ou des intellectuels noirs, je croyais avoir vu le pire. Je me trompais.
    Les grands médias détenus par nos adversaires politiques, ou utilisés par ceux-ci, rapportent, à leur façon, avec leurs mots, une partie des réponses aux questions qu'ils ont eux-mêmes posées à deux ou trois Québécois nés à Haïti, et au lieu de se demander où sont nos médias à nous pour faire la même chose et diffuser massivement des opinions contraires fabriquées avec les mêmes moyens, on conclut que les Haïtiens sont immatures!
    Est-ce que VLB et ses perroquets ont tous coulé leur cours de logique 101?