Paris-Match et le syndrome de Voltaire

L'affaire de la "reine-nègre" - VLB


Invité à l’émission Christiane Charette du 15 mai, le rédacteur en chef de Paris-Match a annoncé que le numéro du 22 juin sera consacré à Michaëlle Jean. Questionné sur la polémique entourant la personne de la « presque-reine», Gilles-Martin Chauffier a semblé interloqué: «C’est quoi la polémique ? – C’est qu’elle est ici la représentante de la reine d’Angleterre » lui a répondu l’animatrice. Et Chauffier de répondre: «Qu’est-ce que ça dérange ? Madame est belle et intelligente et, quelle stupeur, il y a encore à peine trois ans, elle était française!» Et d’origine antillaise: syndrome de Voltaire que cet éblouissement pour les Antilles…et pour une de ses ressortissantes.
Contrairement à la gaullienne, les faiseurs d’opinion de la France sarkozienne ressemblent à leurs pareils du temps de la guerre de Sept Ans alors que la survie des colonies en Amérique ne pesait pas lourd dans la balance. Tout ça, par la faute de Voltaire car c’est beaucoup sous l’influence qu’il avait sur la Pompadour que Louis XV s’est finalement décidé à préférer les Antilles aux «quelques arpents de neiges », dans les négociations qui ont mené au Traité de Paris de 1763.
Dans Essai sur les mœurs et esprits des nations paru dix ans plus tôt, Voltaire se demandait pourquoi dépenser tant pour une terre de Caïn alors que «les Anglais avaient pris possessions des meilleures terres et des plus avantageusement situées qu'on puisse posséder dans l'Amérique septentrionale au delà de la Floride.» À propos de 1608, il ironise: «deux ou trois marchands de Normandie équipèrent quelques vaisseaux et établirent une colonie dans le Canada, pays couvert de neiges et de glaces huit mois de l'année, habité par des barbares, des ours et des castors.» Dans Candide paru quelques mois à peine avant la bataille des plaines, on retrouve la célèbre expression: «Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut.»
En 1967, de Gaulle descend du Colbert alors que la Révolution tranquille est en marche. Tout au long du chemin du Roy, il a profondément senti que quelque chose se passait ici. Grand acteur de l’Histoire, cela lui commandait de réparer l’Abandon de 1763 et son discours du balcon a eu assurément les effets d’une dynamisation d’un courant indépendantiste existant déjà, mais de façon embryonnaire. Ses successeurs ont perpétué sa politique de Grand égard envers le Québec. Tant Pompidou, que Giscard, Mitterrand et Chirac ont, au grand dam d’Ottawa, permis que certaines préoccupations de la société québécoise soient entendues de la communauté internationale. Avec promesse d’accompagner les Québécois si un jour ils optaient pour leur pleine émancipation. De là, la formule de «non indifférence et de non ingérence» que Sarkozy semble avoir écartée du revers de la main en accordant à son ami Paul Desmarais le plus haut grade de la Légion d’honneur, non pas pour service rendu à la France, mais à lui-même.
Et voilà que, obnubilé par le côté glamour de Michaëlle Jean, Paris-Match s’apprête à entrer dans la danse en nous offrant, à la toute veille de notre fête nationale, des photos sur papier glacé de la «presque-reine ». Gilles-Martin Chauffier a comparé Michaëlle Jean à rien de moins qu’à Barak Obama, elle dont le seul effort qu’elle a dû s’imposer pour atteindre le sommet de l’État canadien a été de renier les idées qu’elle et son mari partageaient du temps où ils fréquentèrent la frange la plus radicale des indépendantistes.
Le rédacteur en chef de Paris-Match ne semble pas savoir que la dame a été nommée à ce poste pour fidéliser les citoyens d’origine haïtienne «au plus meilleur pays du monde». Paul Martin a réussi son coup: Dany Laferrière s’est empressé de déclarer que, dans les rues de Montréal, il y aurait du sang si jamais Michaëlle Jean devait refuser le poste à cause d’allégations de mauvaises fréquentations pleuvant sur elle.
Chauffier nous dit: «apprendre avec stupeur qu’il y a encore trois ans, elle était encore française, c’était, ajoute-t-il, comme remonter à Montcalm. ». Beau parallèle ! Il nous convie donc à une époque où, sous influence voltairienne, Louis XV a troqué la présence française en Amérique pour le plat de lentilles des Antilles. Et aujourd’hui, via un ex-rejeton des Antilles, les Chauffier, Lagardère et Sarkozy sont fin près à accepter un autre plat de lentilles de la part de l’Anglophonie, ne se rendant pas compte que la fille qu’il porte aux nues est instrumentalisée par «ce très moderne Canada». Un Canada cherchant par tous les moyens à briser la volonté d’émancipation des Québécois. Par l’excessive importance qu’il donne à la «presque reine» du Canada, Paris-Match, ce journal à potins de stars et de têtes couronnées, se rend complice de tous ceux qui cherchent à étouffer le rayonnement de la culture française en Amérique.
Le Voltaire dont nous nous référons n’est pas celui qui incitait ses contemporains à «écraser l’Infâme». Dans le Québec des années soixante, la sécularisation des institutions publiques s’est faite dans un tout autre climat que celui qui prévalait dans le royaume d’une France de veille de révolution. Pas non plus question ici du Voltaire à la plume acérée contre les privilèges. La bastonnade sans moyens de se défendre avec les mêmes armes que nos attaquants, on connaît ça de ce côté-ci de l’Atlantique: c’est à tous les jours que, sans même être nécessairement indépendantistes, les Québécois ont à subir celle des amis de l’ami de Sarkozy.
Là s’arrêtent les rapprochements des Québécois avec ce philosophe des Lumières. Parce ce qu’ayant été colonisés hier par l’Angleterre et l’étant aujourd’hui par le Canada, les Québécois sont naturellement portés à préférer les diatribes contre les inégalités de Jean-Jacques. Ils n’ont rien à cirer de la monarchie constitutionnelle à l’anglaise tant prisée par Voltaire. Sous le règne de la jeune Victoria, cela n’a apporté que pendaisons et exils de patriotes ne réclamant rien d’autres que la démocratie. Sous le règne d’Élisabeth, cela n’a pas empêché Trudeau d’emprisonner sans motif près de cinq cents intellectuels. Et de nous fourrer dans la gorge une constitution avec sa Charte des droits conçue pour qu’à la longue devienne inexistante la notion même de «peuple québécois». Et cela n’a pas empêché Chrétien de nous voler le référendum.
Et voilà qu’un certain Gilles-Martin Chauffier est envouté par le charme de Michaëlle Jean! Et qu’il veuille lui consacrer tout un numéro de Paris-Match à la toute veille de la Fête nationale de ceux qu’il appelle les «habitants ayant carte de crédit et gros sabots». Non, mais quel culot !


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