Les mots

Deux choses me tuent: la rectitude et pas de rectitude pantoute.

L'affaire de la "reine-nègre" - VLB


Le sujet me passionne. C'est bien pourquoi j'y reviens. Quel sujet? Les mots. Ces jours-ci un mot en particulier, un mot composé: roi-nègre. Une merveille de mot qui fusionne sens et image pour donner un de ces fulgurants bijoux comme en brillent tant dans la langue française, roi-nègre...

Savez quoi? Le premier danger qui nous menace n'est pas le racisme mais l'ignorance.
L'ignorance n'est tant pas de ne pas savoir. J'ai l'impression que beaucoup de gens, beaucoup de jeunes gens surtout, ont entendu pour la première fois cette semaine «roi-nègre» et l'ont pris pour une insulte composée tout exprès par VLB pour la jeter à la figure de la gouverneur général.
L'ignorance à laquelle je pense n'est pas celle qui ne sait pas mais celle qui ne veut pas savoir. On leur dit mais non, mais non, vous vous trompez, un roi-nègre n'est pas ce que vous croyez, n'est pas un Noir devenu roi. On leur décortique le mot. Ils ne veulent rien entendre. Ils s'enferment dans leur ignorance, revendiquent leur langage limité, laborieux, étriqué comme étant la norme. Et hélas ils sont en train d'avoir raison.
C'est mon seul point de désaccord avec la remarquable chronique d'hier de mon collègue Yves Boisvert, intitulée [De Richler à VLB->13659], remarquable en cela justement qu'elle fait le lien entre deux grands pamphlétaires, deux grands écrivains et leurs occasionnels dérapages dans le quotidien. Remarquable aussi quand il souligne que roi-nègre n'est pas plus raciste (mais pas moins insultant) qu'homme de paille.
Je suis d'accord aussi quand il fait allusion aux mots qui se chargent de nouvelles valeurs avec les années. Sauf que je ne crois pas, comme lui, que roi-nègre soit un de ces mots-là.
Roi-nègre ne s'est pas chargé de nouvelles valeurs, il a même plutôt perdu la sienne faute d'être utilisé couramment depuis que le colonialisme a échangé ses rois-nègres pour des employés de la Banque mondiale.
Roi-nègre veut toujours dire homme de paille. Rien d'autre. Même remisé au grenier des trésors de la langue française, roi-nègre est toujours ce petit bijou, cette trouvaille qui signifie homme de paille et rien d'autre.
Que plein de gens n'en connaissent pas la signification, bon. Ce qui me défrise, c'est qu'au lieu d'ouvrir un dictionnaire, ces connards décident que roi-nègre veut dire sale nègre.
Est-ce qu'ils vont charger ainsi de leur propre connerie tous les mots qu'ils ne comprennent pas? Ils ont commencé à interdire la couleur tête-de-nègre -non, ce n'est pas noir, c'est brun foncé- le nègre en chemise (une pâtisserie), et le nègre qui écrit en coulisse le roman que signera le romancier célèbre.
Appelez ça de la rectitude politique si vous voulez, dit mon collègue Yves Boisvert. Je veux, Yves, je veux appeler ça comme ça.
Je vois bien aux courriels que je reçois qu'on me prête de continuer à dire nègre par obstination, voire par coquetterie langagière, par «attitude», par posture anticonformiste, bref vous êtes tous dans le champ.
Si j'avais le sentiment qu'en disant Noir au lieu de nègre, j'aidais en quelque façon à combattre le racisme, je dirais noir. Il ne me dérange pas du tout d'être conforme. Ce n'est pas la conformité qui me rebute dans la rectitude. C'est encore une fois la petite morale infantile, le petit catéchisme, le positivisme merdique, la magie à deux sous: on balaie le nègre sous le tapis et hop le Noir est plus blanc, tout le monde il est correct, plus personne il est raciste.
On balaie l'aveugle sous le tapis et hop le non-voyant voit mieux. On dit que le handicapé est une personne et le voilà qui court.
Je dis nègre comme je dis aveugle, sourd et handicapé. Je dis nègre pour protester de cette vaste entreprise de décervelage. Pour que les mots ne servent pas de cache-pots. Pour dire que le langage n'est pas un pansement. Pour dire que l'insignifiance du langage n'a jamais rendu personne moins beauf.
Mais j'ajoute que je dis Noir aussi. Souvent. Cela dépend. Et toujours, toujours, je dis vous. Contrairement à vous. Et toujours je dis monsieur, madame. Deux choses, disait Montesquieu, tuent la République: l'absence d'égalité et l'égalité.
Deux choses me tuent: la rectitude et pas de rectitude pantoute.


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