La laïcité ouverte

C’est un intégriste qui parle et qui décline son credo laïque en deux articles

Laïcité — débat québécois


Il y a quelques semaines, à la mi-avril peut-être, M. Bouchard m’a laissé le message de le rappeler. Je me suis dit: tiens, il veut aller faire un tour de vélo. Je vous jure, quand je l’ai eu au bout du fil, je lui ai demandé s’il voulait aller faire du vélo. C’est le genre d’humour qui ne fait rire que moi, mais j’ai vraiment beaucoup de plaisir. Anyway.

Non, non, pas de vélo, s’est défilé le commissaire.
Ce qu’il voulait? Me parler de laïcité. Me dire qu’il y avait deux sortes de laïcité. La sienne et la mienne. Que la mienne était fermée, intégriste. Que la sienne, enfin celle qu’on allait trouver dans le rapport, serait ouverte. Ce n’est pas du tout ce qu’il a dit bien sûr, mais c’est quand même ce qu’il voulait me dire.
Très, très tendance cette laïcité ouverte. Le président des Français, M. Sarkozy, qui n’en rate pas une, y adhère totalement sauf qu’il appelle cela la laïcité positive. Imaginez dans quel monde bizarre nous vivons. La laïcité est la séparation du politique et du religieux, séparation garantie par qui? Par l’État, qui d’autre. Or voilà, le chef de l’État-France, berceau de la laïcité, qui ouvre la porte aux curés, aux mollahs, aux rabbins, aux sikhs, entrez, entrez, qu’est-ce que je vous sers?
D’où est venue, croyez-vous, cette volonté d’ouvrir – de positiver –, de renouveler la laïcité? Des curés. Oui, oui, nos curés à nous, catholiques et tout. Bien avant que M. Bouchard l’écrive dans son rapport, ce sont les curés qui ont dit qu’il fallait adapter la laïcité à nos sociétés plurielles.
Ils ont aussitôt fait l’unanimité. Les intellectuels, les libéraux, les bien-pensants (au sens le plus noble) ont adoré. La pluralité est devenue la vraie religion des gens éclairés. Il n’est plus de valeurs qui vaillent que plurielles. La pluralité est devenue l’eau du grand bain public dans lequel nous baignons tous désormais.
Et comme cette pluralité est essentiellement religieuse, beaucoup, beaucoup musulmane, un peu sikhe, un peu juive orthodoxe, ben cout’donc, arrêtons de nous formaliser des signes religieux qui flottent sur l’eau de notre grand bain public. Faisons avec.
Je crois que c’était le sens de l’appel que m’a fait M. Bouchard. Un peu pour me préparer à ce rapport auquel il devinait que j’adhérerais dans l’ensemble, sauf à cette conclusion sur la laïcité. Un peu aussi par affection, je soupçonne M. Bouchard de m’aimer bien mais de se désoler de me voir campé sur ce qu’il doit considérer comme un intégrisme.
Soit. C’est un intégriste qui parle et qui décline son credo laïque en deux articles.
1 - Liberté absolue de conscience et de culte.
2 - L’espace civique doit être absolument laïque.
Je viens de dire deux fois absolument, je sais: c’est bien un intégriste qui parle.
L’espace civique? L’école publique en tout premier lieu. L’école avant les tribunaux, avant la police, avant l’armée, avant les institutions. Faut-il vraiment expliquer pourquoi l’école d’abord, pourquoi l’école surtout? Parce que c’est l’institution structurante de la société. Le premier contact de l’enfant avec la citoyenneté, donc avec la société, le lieu de conjugaison non pas des différences, mais des humanités.
Il ne me dérangerait pas tant que cela (un peu quand même) d’être contrôlé par un flic portant la kippa. Mais je trouve déplorable, je trouve lamentable que les commissaires acquiescent benoîtement au port ostensible de signes religieux par les élèves et pire encore par les enseignants des écoles publiques.
J’ai trouvé futile que les commissaires suggèrent que l’on décroche le crucifix de l’Assemblée nationale (les députés ont bien fait de voter à l’unanimité pour le garder). Cette absurde histoire de crucifix nous dit quelle mauvaise lecture les commissaires font des signes. On apprend cela dans le premier cours de linguistique: il faut aller au signifié, au contenu du signe... ce crucifix devenu applique murale n’a plus aucun contenu, messieurs les commissaires.
Alors que le voile des jeunes musulmanes à l’école est l’étendard d’un communautarisme qui n’a rien d’innocent. Il a une vérité à proclamer, ce voile. Mieux, il a un projet: le retour du religieux dans l’espace civique.
Et c’est ce projet qu’appuient nos curés. Projet baptisé par eux laïcité ouverte. Un concept en forme de cheval de Troie plein de barbus, de voiles et de turbans qui, espèrent-ils, va les ramener dans les écoles par la porte d’en arrière.
Pour quoi faire?
Qu’est-ce que vous croyez? Pour vendre leur salade. Pour faire la morale. Pour reploguer leurs deux grands thèmes des 50 dernières années: la contraception et l’avortement. Je paranoïe? Vous croyez? Voyez comment l’Amérique de M. Bush s’est évangélisée au cours des huit dernières années, quel tour a pris l’éducation justement, la place du créationnisme, le discrédit évangélique porté aux sciences, notamment à la biologie.
Où ai-je lu que le leader le plus influent aujourd’hui dans le monde est le dalaï-lama? C’est pas un moine? Son modèle de société, c’est pas une théocratie?
Une laïcité ouverte pour quoi faire, messieurs les commissaires? L’école finit à 14h30. Dans ce pays où règne une liberté absolue de conscience et de culte, les enfants ont tout le temps, toute liberté pour prier qui ils veulent, dans le temple qu’ils veulent, déguisés comme ils veulent.
La laïcité n’a pas à être ouverte ou fermée. Et l’espace civique où elle règne(1) n’a pas à être religieux ou ethnique. Un espace où la différence ne devrait en faire aucune.
(1) Assurez-vous avant de m’engueuler de ne pas confondre espace public et espace civique. Hors de l’école, l’espace civique se résume à quelques îlots institutionnels où le citoyen ordinaire ne met pas les pieds pendant des semaines, voire des mois, à moins d’avoir accepté d’y être juge, policier, fonctionnaire.


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