Go Habs go

En sport, ma religion reste toujours la même : l’équipe. La sublimation du groupe. Sa symbiose.

Hockey - "Canadiens de Montréal"...


J'étais arrivé au pays depuis peu. Rien n’était comme je l’avais rêvé. Tout m’agressait. Les gens. La culture. Qu’étais-je venu foutre sur cette banquise ? Tous les immigrants ont ce désert-là à traverser. J’ai déjà parlé de cela ; je n’ai encore jamais raconté que c’est au plus creux de cette période que j’ai assisté à mon premier match de hockey au Forum. Je ne me rappelle plus qui jouait. Je me souviens seulement que j’ai tout de suite aimé ce jeu-là et que j’ai tout de suite détesté les chandails rouges.


C’est ainsi que le Canadien m’a d’abord servi d’exutoire : c’est tout ce foutu pays que je détestais à travers le Canadien. Foutu pays qui est bien sûr devenu le mien assez rapidement mais, allez savoir pourquoi, j’ai continué de détester le Canadien.
Détestation sans rime ni raison, le sport spectacle sert à cela aussi : à haïr en toute conformité avec les chartes des droits de la personne. Pas le droit de haïr les Arabes, les juifs, les sikhs, les Japonais, mais t’as le droit de haïr le Canadien. Pas le droit de haïr les gens de Québec, mais tu pouvais haïr tant que tu voulais les Nordiques. En cela au moins, on a perdu énormément en les perdant.
J’ai haï le Canadien pendant près de 40 ans.
Cela n’a pas toujours été facile. Il fut un temps où, jeune journaliste sportif, je voyageais assez régulièrement avec le club, je côtoyais les joueurs. Je me revois chez Jacques Lemaire, tout timide. Sa femme, qui était allée chez le coiffeur pour la photo, était assise sur le sofa à côté de lui, je pense qu’il y avait un bébé qui crapahutait autour. Je me sentais tout croche : et si ces gens-là découvrent que j’hayiiis leur club à n’en pas dormir la nuit ?
Avant Lemaire, il y avait eu d’autres joueurs que j’aimais bien et qui me le rendaient un peu, des Bobby Rousseau, des Dick Duff, qui venait s’asseoir à côté de moi dans l’avion pour jouer à bullshit (et me plumer), des Terry Harper (mon préféré de cette époque-là), des Jim Roberts, dont on disait qu’il était mon sosie.
Je pense à Henri Richard, qui me portait le même intérêt protecteur qu’un entomologiste porte à une bibite exotique. Je pense à Serge Savard, qui avait deviné mes sentiments à l’égard de son équipe et s’en amusait. Je pense à Larry Robinson, jamais débile. Je pense surtout à Guy Lafleur, si chaleureux avec tout le monde, si naïf aussi, et généreux, Lafleur qui apporta enfin un peu de modernité et d’air frais dans un vestiaire où la tradition suintait des murs comme une moisissure. Lafleur, que je recroise parfois et m’étonne chaque fois de trouver aussi simple et chaleureux qu’avant, aussi loin que possible de son piédestal et de son mythe.
Bref, il est facile de haïr toute une équipe, moins facile de haïr les joueurs un par
un. Un des joueurs les plus durs à détester dans le vestiaire du Canadien était Bob Gainey. Vous voyez de quoi a l’air Gainey ? Dans la vie, c’est le contraire. Allumé et drôle, amateur de blues (à une époque client assidu du Café Campus), pas speedé, d’un calme qui passe auprès des chroniqueurs (eux-mêmes très énervés) pour de l’indécision. C’est comme dire d’un transatlantique qu’il est indécis parce qu’il croise au large.
Plus dur encore à détester que Gainey : Guy Carbonneau. Un des derniers joueurs que j’ai connus. Pas connu pour aller prendre un café, juste croisé dans le vestiaire. J’aimais surtout le regarder aller avec les journalistes, toujours la bonne distance, pas trop près, je veux dire pas trop pute comme pouvait l’être un Mario Tremblay, et toujours pertinent, toujours intelligent, si intelligent qu’il en était parfois pointu, coupant, vite agacé par les niaiseries. Cherchez-moi pas, vous allez me trouver.
Quarante ans à haïr le Canadien. Puis ces deux-là sont arrivés. J’ai vivement applaudi Gainey dans cette chronique quand il n’est pas allé chercher Brière. J’ai applaudi son calme de transatlantique qui croise au large sans pétarader. J’ai applaudi quand il a dit que la solution, c’était d’améliorer l’équipe de l’intérieur. Ce qu’il a fait.
J’ai applaudi quand il n’a pas bougé à la date limite des échanges sauf pour se débarrasser de Huet, ce gentil garçon, pas mauvais gardien mais jamais bon quand c’est le temps.
J’ai applaudi quand Carbonneau a mené cette équipe moyenne (qui ne devait pas faire les séries, selon les experts) au championnat de l’Est. Mais sans m’en étonner outre mesure. Voilà des années que je me tue à expliquer à qui veut m’entendre que dans LNH (ce ne serait pas possible dans la NBA ni dans la NFL) mais dans la LNH, une équipe moyenne qui joue en équipe avec un bon gardien, dirigée par un bon coach et un bon DG, peut se rendre très loin.
Quarante ans à haïr le Canadien et me voilà, pour la première fois, à espérer qu’ils battent Boston ce soir. Je n’ai pas mis de drapeau aux fenêtres de mon auto et pas sûr que j’irais demander un autographe à Kovalev ou à Brisebois si ma petite voisine en voulait un (par contre, j’irais n’importe quand, en demander un à Carey Price, à Latendresse, à Kostopoulos, à Hamrlik, à Markov, à Bouillon).
Quarante ans à haïr le Canadien, et non, en un instant, je n’ai pas changé de religion. En sport, ma religion reste toujours la même : l’équipe. La sublimation du groupe. Sa symbiose. Bref, vous ne me ferez pas acheter tout de suite un chandail de Kovalev.
Quarante ans à haïr le Canadien, et non, je ne suis pas devenu, en un instant, un fan fini. Juste un fan de Guy Carbonneau et de Bob Gainey. Je leur souhaite de gagner ce soir. Et puis de traverser Philadelphie (et Brière). Après, après, ce sera pur plaisir.


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