Chronique # 10

Le temps des semences

Chronique de Christian Maltais

J’ai planté des tomates. Enfin, je vais le faire ce dimanche, ou vendredi prochain. Ce sera fait d’ici à ce que vous lisiez ces lignes. Des poireaux, aussi. D’autres trucs encore. Je n’ai aucune idée comment faire. J’ai trucidé de mes mains ce que la nature a fait de plus impérissable, dont plusieurs cactus (picpicus increvabilis). J’ai, à l’amorce de ma négligente vingtaine, laissé dépérir le jardin bio que mon père avait planté à Hébertville. Ma grande réussite agricole, c’est le champ couvert de chiendent. Le pouce vert, connais pas.
Ça m’a pris quand même. Un sentiment vague, que j’ai commencé à percevoir l’an dernier. Le souvenir des radis du jardin de ma grand-mère. La joie que me communique mon corps quand je trouve et que je mange quelque chose de non irradié, non ogéèmisé, non engraischimiquifié, non pesticidificationné, non charrié-par-un-camion-et-entassé-dans-un-entrepôt-pendant-trois-semaines-isé, quand je mets dans mon corps quelque chose de nourri au soleil et qui vient d’être cueilli. C’est donc comme ça qu’un être humain est censé se sentir quand il mange ? Mais c’est merveilleux, ciboire ! Suis pas végétalien, remarquez. J’aime autant mes pop-tarts que mon voisin. Des cheese-begueux ? Yes sir, Madame. N’empêche.
Alors qu’est-ce que je fais, comment je fais ? J’ai demandé à mon amie Huguette. Elle m’a donné tout un paquet de documents qu’elle a rédigé, genre l’agriculture écologique pour les nuls, ou comme pour moi, les très très nuls. Les semis : deux pouces de terre, 14 heures de lumière par jour (prévoir un néon si possible), les contenants appropriés, la période où il faut les faire (mi-mars environ, donc maintenant). Le compagnonnage : les plantes qui aiment pousser ensemble, qui font éloigner les insectes, les mauvaises herbes qui n’en sont pas, etc. Et puis il y a le compostage. Je comprends pas tout. Une chose à la fois. Et puis, me dis-je en mon for intérieur, ça n’a l’air compliqué que parce que je n’ai jamais appris comment le faire. Je sais seulement qu’une fois, j’ai fait reverdir une tige de bois plantée dans un pot, trouvée sur le bord de l’escalier dans le bloc où je restais. Je l’ai mis dans la douche une bonne heure par jour pendant une semaine. Je lui ai envoyé des ondes positives; même que je lui ai parlé. Les pousses ont apparu. Elle s’en est sortie, ma vieille branche. C’est fort, la vie. Ça veut vivre, la vie.
J’ai parlé de mon projet de jardinage à quelques personnes autour de moi. Je me suis rendu compte qu’on était quelques-uns à avoir senti la même chose. Pas des tonnes de personnes, bien sûr; mais on dirait bien que c’est dans l’air. Un genre de retour à la nature, sans le côté « on déménage dans une commune en banlieue de Saint-Agapit ».
Je n’ai rien contre les communes, ni d’ailleurs contre Saint-Agapit, communauté que je sais que je trouverai charmante si j’ai jamais la chance d’y être invité. Seulement je me dis que si on cherche des solutions pratiques à ce qu’on appelle « les problèmes de société » - et il n’y a rien de plus pratico-pratique que de planter des choux, ce qui est aussi à mon programme – il faut bien se dire qu’il y a peu de chances que l’ensemble de la population planétaire décide d’abandonner leurs iPods et de déserter les villes, grandes et petites, pour des cabanes en bois rond. Ce qui n’est d’ailleurs pas nécessaire. C’est que la ville moderne a été organisée (on devrait donc pouvoir la réorganiser autrement) suivant une manière de pensée qui considère que la nature est quelque chose d’étranger à l’être humain, un adversaire qu’il faut asservir et dominer.
Ce qui est embêtant, puisque l’homo sapiens fait lui-même partie de la nature. Nous sommes des créateurs, des penseurs, bien d’autres choses, mais nous sommes aussi des mammifères. Notre système respiratoire complémente celui des plantes. Et nous pouvons bien fabriquer des sacs en plastique qui prennent dix ou cent mille ans à se décomposer, mais nos corps, eux, sont éminemment biodégradables. Ça entretient le sol qui nous nourrit. Ça fait partie d’un tout.
L’équilibre naturel, ce me semble et je m’emporte un peu, ce n’est pas celui qui se trouve entre les Libéraux et l’Action Démocratique, ou les Républicains et les Démocrates, ou l’Église et Dieu sait qui; c’est celui qui prévaut depuis trois milliards d’années (âge estimé des premières bactéries primitives) entre tout ce qui bouge, pousse, vole, nage, et se minéralise sur cette planète, sans parler des autres dont on ne sait rien. Tout cela s’harmonise, se complète, s’interpénètre, et vit ensemble. Il y en a qui en mangent d’autres. Ben oui. Il y a aussi un oiseau qui se nourrit en curant les dents des rhinocéros, qui du coup est bien content. Y a les abeilles et le pollen. D’une manière ou d’une autre, on ne trouvera rien sur Terre qui soit capable de vivre tout seul. La grande loi de la nature, je sais que c’est une hérésie de le croire et un péché de l’affirmer, mais ce n’est pas la compétition : c’est la coopération. Y a plein de choses dans la nature mais, pyramide alimentaire ou pas, on n’y trouve guère de pharaons. La loi du plus fort ? « Survival of ze fittest ? » On voit toujours ce que l’on veut. Un beau jour par exemple, des zoologues ont décidé que le lion était le roi des animaux, le roi de la jungle (non, attendez, ça c’est Tarzan). Or il fout rien, le lion : c’est madame qui chasse. Lui il baille au soleil. Il prend les meilleurs morceaux quand ils arrivent. Se fait entretenir, en somme. Je le verrais plutôt dans le rôle de bobonne qu’en chef plénipotentiaire, notre ami Léo. Me semble que tout ça en dit plus long sur les thuriféraires du pouvoir absolu que sur le métabolisme de la Grande Bleue. Enfin. Bref. Le concret. Les villes. Le ici et le maintenant.

Je vais semer des tomates, de la sauge, deux ou trois autres choses. Un peu plus tard dans la saison, quand ce sera le temps, on va y aller pour les poireaux, les pommes de terre, les carottes, les radis. Pas de céleri, je n’aime pas tellement. Je vais m’acheter une compostière (25 $ à mon Éco-quartier), peut-être me trouver un ou deux barils pour ramasser l’eau de pluie. Pour le terrain, je m’entends avec mon voisin d’en bas. D’une manière ou d’une autre, si j’ai trop de légumes pour moi tout seul, je partage. Je fais tout ça parce que ça me tente, qu’une voix en moi me dit de le faire, et que je trouve que ça a l’air amusant. Le plus drôle dans tout ça ?
***
C’est qu’on nous dit que l’économie ne va pas bien, mais alors pas bien du tout. Augmentation de 40 % des coûts alimentaires de la planète en 2007. Explosion du coût de la vie. Crise hypothécaire, devenue crise de liquidités pour les banques qui ne se font plus confiance pour se prêter mutuellement l’argent dont elles ont besoin pour « faire rouler l’économie ». On passera sous silence la guerre en Irak, dont on estimait récemment le coût total (avec projection des soins pour les soldats estropiés, etc.) à 4 trillions de dollars, i.e. 4 000 milliards de dollars. Les banques centrales des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, d’Europe et d’Asie sont au bord de la panique. Sixième baisse drastique des taux préférentiels de la Fed américaine depuis le mois de septembre. Des sommes colossales d’argent injectées par les gouvernement pour maintenir le marché à flot : 100 milliards de dollars par ci, 200 milliards d’euros par là. La toute puissante Bear Stearns, dont les actions valaient 160 $ pièce il y a un an, chute à 70 $, puis à 30 $ en quatre ou cinq jours : on la force de vendre la totalité de ses actions à un concurrent à 2 $ l’action. « Pour sauver le système financier mondial », a dit un porte-parole de je ne sais plus trop quoi. C’était dimanche dernier, à l’heure où j’écris. Et le plus beau ? En entrevue à la télé française deux jours plus tard, un représentant de Bear Stearns a répondu à une question sur l’état général de la situation, je le cite, cramponnez-vous à vos orteils : « Dieu ne permettra pas que notre système économique s’effondre ».
Ouaip. C’est là qu’on en est rendu. Aux dernières nouvelles, Dieu ne retournait pas les appels de la Banque Mondiale. Quant à la situation environnementale, pas besoin de vous faire un dessin. Et à ce sujet, on n’a pas idée de l’impact environnemental d’un peu de verdure, quelques jardins par exemple, dans une grande ville. C’est encore Huguette qui m’expliquait. Le bitume fait monter la température; les plantes la font redescendre. Les feuilles accumulent les poussières qui nuisent à la respiration, au système immunitaire. Et puis il y a l’oxygène. Tout un paquet d’impacts sur la santé, physique et émotive.
Il y a quelques mois, on me posait la question, celle qui tue : « vous critiquez beaucoup le capitalisme, mais qu’est-ce que vous proposez en échange ? » Aïe. Bonne question. J’y ai, je l’avoue, beaucoup pensé depuis. Passe l’automne, vienne l’hiver, on est au printemps, je ne sais toujours pas comment répondre. Personne ne le sait.
Et pendant ce temps-là, j’ai une petite voix qui me dit : fait pousser des tomates. Fais donc ce qui te tente. Écoute-toi un peu. Ridicule, que je me dis. Vous avez vu l’ampleur des problèmes ? Ça prend un projet de société, un projet politique, un nouveau système de développement économique, quelque chose de rassembleur, de gros, d’important, la réponse à toutes nos questions, nos peurs, nos incertitudes… Ça va déjà assez mal de même, si en plus y faut qu’on se garroche n’importe où… Mais pourquoi est-ce que quelqu’un trouve pas quelque chose ? Pourquoi est-ce que personne sait quoi faire, à commencer par ceux qui font semblant de savoir, dont la solution est invariablement de continuer à faire précisément ce qui nous a mis dans ce fouillis (je reste poli), à en rajouter, à faire plus de guerres, à raser plus de forêts, à rendre les riches encore plus riches ? Combien au juste faut-il créer de richesses pour commencer à la répartir ? Combien ça leur prend de milliards pour qu’y se décident à partager un peu ? C’est-tu donc si compliqué que ça, vivre sur le sens du monde ?
Et c’est là que je me dis, je suis peut-être fou, je sais que je le suis un peu, comme tout le monde sans doute qui vit aujourd’hui, c’est pas grave… je me dis que la réponse, c’est justement qu’il n’y a pas de réponse, et que c’est tant mieux. On cherche loin, trop loin, partout sauf sous nos pieds ou au bout de notre nez. Le monde s’essouffle, parce qu’on s’est mis à courir sans apprendre à marcher. Si tu veux construire une tour de cent étages, tu vas pas commencer en décidant de la couleur du papier peint de la suite 119. Tu commences par la base; même pas les fondations : la terre. Solide ou pas ? Est-ce que le terrain est sujet aux inondations ? Est-ce que le sol est capable de supporter le poids de l’édifice ? Or, qu’est-ce que l’économie, à la base ? Pourquoi a-t-on inventé pareille chose ?
Parce qu’un corps humain, il faut que ça mange, que ça boive de l’eau, que ça dorme, que ça se protège des intempéries. L’économie, c’est ça. Subvenir aux besoins humains, en ordre de priorité, merci Maslow. Or, des profits, ça peut bien s’investir dans une usine de Corn Flakes si on veut, mais en tant que tel une colonne de chiffres ça nourrit pas son homme. Quant au reste, j’ai jamais vu une famille manger un tank Abrams pour souper, ni même une voiture de police. Il me semble d’ailleurs que c’est étrange qu’on ait des lois pour protéger la propriété privée, mais qu’on en n’ait pas pour nous protéger de la faim. Le chômage (pardon, « l’assurance-emploi »), ça dure six mois, et c’est fini. Le bien-être social paye à peine le loyer. Pour l’épicerie, arrangez-vous, mais fraudez pas, sinon on vous coupe. De toute façon, on coupe les chèques, paraît que ça incite au travail. On nous dit que c’est à cause de la loi du marché. La main invisible d’Adam Smith s’occupe de nous nourrir, mais il faut lui obéir. Pour l’instant, ça ne marche pas très fort. Ça fait 250 ans que ça dure, mais on attend toujours les preuves. On dirait même que plus on fait ce que nous dicte le « marché », ou en tout cas ses oracles, moins ça marche. La mondialisation, vous vous souvenez ? Le libre-échange ? Mais je m’écarte, je radote, je vais trop loin sans doute. Ici, maintenant : qu’est-ce que je sens sous mes pieds ?
La terre. Si je plante une graine, ça pousse. Il faut l’arroser, ce qui n’est pas trop un problème, vu que l’eau tombe du ciel. Ça prend du soleil. Ici aussi, l’approvisionnement ne pose pas trop de problème. Alors, qu’est-ce qu’on fait ?
Je sais pas vous autres, mais moi je sème des tomates. C’est bon, les tomates.
- Mais après ça ?
Je vais semer des poireaux et planter des patates. Y en a plein de sortes, de toutes les couleurs.
- Oui, mais après ça ?
Ça me tente pas mal d’apprendre à faire du savon.
- Oui, mais après ça ?
Après ça, on verra ben. Quand on sera rendu là.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mars 2008

    Mon cher Christian Maltais, puisque vous nous parlez de tomates, je vous réponds que je déguste vos mots lentement, sans rien laisser dans l'assiette. J'adore vous lire.
    Pour ma part, en attendant de jardiner dehors, je profite de la neige contre laquelle d'autres se bagarrent à grands coups de pelle et de souffleuse. Je fais du ski près de chez moi, dans le parc. La vie est belle à ski, et c'est moins loin que la Floride et les autres paradis artificiels. Au printemps, ça donne un beau teint et ça remplit de lumière.
    Un environnementaliste est un économiste qui sait vraiment compter. Vive les saisons et vive la nature!

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mars 2008

    Vous écrivez bien, très bien même. Moi aussi, un jour, j'ai eu envie de planter mes tomates, il faut planter ses tomates, c'est très-très important de planter ses tomates...
    Mais surtout de savoir pourquoi on a envie de le faire.
    André Vincent
    ex-chroniqueur de Vigile

  • Simon Blais Répondre

    31 mars 2008

    Cette emportée m'a fait passer quelques minutes agréables! La vie est simple, cessons de nous la compliquer!
    La finalité de l'être humain, c'est pas de construire plus haut, d'empocher plus, d'imposer à l'autre! C'est de construire intelligemment, d'avoir ce dont on a besoin à portée de la main, de partager et de coopérer avec l'autre. Simple, simple, simple!
    Pas besoin d'être écolo! C'est toujours le gros bon sens qui gagne. Quel système pour changer le capitalisme? ---> le gros bon sens!