Le syndrome Ralph Nader

2006 textes seuls

Près de 40 ans après le sacrifice politique exemplaire de Pierre Bourgault et des militants du RIN, qui sabordèrent leur parti afin de ne pas diviser le vote souverainiste et d'ouvrir la voie à la prise du pouvoir par le PQ et à la tenue du premier référendum, la gauche radicale au Québec rompt les rangs de la coalition péquiste et nous ramène à l'époque où l'idéologie utopique avait préséance sur le pragmatisme politique.
Incapable de mettre de l'eau dans son vin et de travailler à l'intérieur des instances déjà existantes, Françoise David et ses amis préfèrent contribuer activement, un vote à la fois, à la réélection du parti le plus à droite de l'histoire politique contemporaine du Québec. Voilà ce qui est bien ironique dans la démarche de Mme David. Elle produit des résultats inversement proportionnels à son succès électoral. C'est ce qu'on appelle, en sociologie, l'effet pervers. Plus Québec solidaire soutire des votes au PQ et divise le vote souverainiste, plus il solidifie la mainmise du Parti libéral sur l'État et contribue à faire avancer son programme de précarisation des acquis sociaux de la société québécoise. À la petite école, on appelait ça se tirer dans le pied!
Ainsi, au lieu de permettre le remplacement rapide de ce gouvernement impopulaire de droite par une formation centriste, les utopistes de QS vont plutôt lui construire un socle en béton à l'Assemblée nationale, semblable à celui sur lequel étaient installés les libéraux de Jean Chrétien dans les années 1990-2000 alors que l'opposition aux libéraux à Ottawa était divisée. Il s'agit là d'une caractéristique unique de la gauche idéologique: l'inconscience pratique de ses gestes politiques.
Parlez-en à Al Gore et à John Kerry, les deux derniers candidats démocrates aux États-Unis, qui ont vu le candidat de gauche Ralph Nader s'envoler, aux élections de 2000 et 2004, avec les quelques points de pourcentage qui auraient pu faire la différence dans une poignée d'États et leur permettre de remporter la victoire dans les deux cas. Grâce à l'entêtement du «camarade Nader», la planète est aujourd'hui aux prises avec un dangereux illuminé qui a renié Kyoto et le Tribunal pénal international, qui ne représente que les intérêts du grand capital américain et qui applique une doctrine de «guerre préventive» en guise de diplomatie internationale. Bref, on comprend mal comment le vote de gauche pour Ralph Nader dans l'isoloir a servi de quelque façon que ce soit à faire avancer les projets ou les idées progressistes aux États-Unis.
Les parallèles avec l'entreprise de Québec solidaire sont évidents. En allant chercher quelques circonscriptions et quelques pourcentages de vote dans certaines régions du Québec aux prochaines élections générales, QS rééditera le scénario américain au Québec, assurant un règne long et prospère à la droite idéologique.
«L'extrême gauche, s'objectera Mme David, paye des taxes à Québec et a le droit d'être représentée à l'Assemblée nationale comme le sont les souverainistes aux Communes par le Bloc.» Ce que Mme David a oublié en fondant QS, c'est qu'en démocratie parlementaire, l'union fait la force et la fragmentation des intérêts particuliers en groupuscules revendicateurs ne peut que servir la cause adverse. Cela, Bourgault l'avait compris. Chapeau à toi, Pierre!
Par ailleurs, le Bloc québécois est structuré, à l'instar du PQ, sous forme de coalition parapluie de centre gauche avec des courants un peu plus à droite et d'autres un peu plus à gauche. Si la gauche souverainiste, suivant l'exemple de QS, avait présenté une formation politique aux dernières élections fédérales, divisant encore plus le vote souverainiste, le Parti conservateur aurait raflé la majorité des sièges au Québec, instituant un gouvernement majoritaire de droite au Canada. Souhaiteriez-vous former un parti politique souverainiste de gauche au fédéral, Mme David?
Une autre caractéristique de la gauche idéologique est son incapacité à transiger et à diluer ses positions dans l'intérêt collectif puisqu'elle est l'intérêt collectif. Dans le dogme de gauche, la droite représente les intérêts d'une petite minorité alors que la gauche «porte sur ses épaules» le «salut» de la grande majorité. Puisque le salut des «masses» est en jeu, il n'y a rien à négocier. Il n'y a donc aucune place pour le compromis, d'où l'idée géniale de créer un parti idéologiquement autosuffisant afin de ne pas avoir à mettre de l'eau dans son vin quand vient le temps de formuler des politiques pour l'ensemble de la société québécoise.
Certains diront que l'arrivée sur la scène provinciale d'un second parti souverainiste élargira une éventuelle coalition lors du prochain référendum. Il se pourrait en effet que l'entreprise référendaire y gagne en crédibilité si un grand nombre de formations politiques de divers horizons y adhérait. Toutefois, ce genre de «coalition des convaincus» ne pourra advenir que si tous les partis en présence, en particulier les formations dont le poids politique est moindre, savent faire preuve d'un peu d'ouverture et d'abnégation, ce qui ne semble pas être la force de la gauche idéologique, à écouter les discours de Ralph Nader et de Françoise David.
Alexis Cossette-Trudel : Candidat au doctorat à l'UQAM


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