Le syndrome du repli sur soi

Tribune libre - 2007

Quand je lis certains textes publiés récemment dans Vigile, j’ai
l’impression de reculer vingt-cinq ans en arrière, sinon plus. Le
traumatisme qu’éprouvent leurs auteurs à se promener dans les rues de
Montréal peut surprendre. Pour ma part, l’été, par exemple, je vais de
temps en temps au marché Jean-Talon me frotter à la multitude bigarrée des
« ethnies » côtoyant nos fermiers et j’en ressors toujours avec la
conviction que la situation du français à Montréal, tout compte fait, n’est
pas aussi alarmante qu’on le dit. Il y a une normalisation insensible à
l’œuvre, ce qui ne veut pas dire qu’il faut se mettre à freaker dès qu’on
entend un accent étranger.
Je ne méprise pas ces formes de ce que Gérard Pelletier appelait la «
mentalité d’assiégiés » et surtout pas les revendications politiques
qu’elle sous-tend, incluant la remise en question nécessaire de l’objet
fétiche qu’est devenu l’instrument référendaire (à l’instar du "pénis
maternel" freudien comme écran à l’abus sexuel). Je dis simplement que
Montréal est une ville cosmopolite et que les Québécois "de souche" dont je
suis ont l’occasion d’y faire à chaque jour l’expérience du décentrement
sans être aucunement affecté par le syndrome du "repli sur soi".
Soit dit
en passant, "la langue de Shakespeare" qui se répand "à l’Est de la rue
Saint-Denis" est un pur cliché : il n’y a pas 10% d’anglophones, même parmi
les plus fanatiques, qui la comprennent. Sur le long terme d’ailleurs,
comme un professeur juif américain de Columbia nous l’avait mentionné dans
un cours d’histoire à l’U. de M. en 1978, on voit que l’anglais est
constitué pour les trois-quarts de mots français provenant des suites de la
conquête normande (le mythe de l’anglais né libre aura été une belle
chimère ou, si l’on préfère, une illusion propulsive).
Quoi qu’il en soit, je ne dis pas qu’il n’y a pas un travail législatif
à entreprendre ou qu’il n’y a plus qu’à s’asseoir sur ses lauriers, mais
une chose est sûre : je ne vois pas dans les situations banales de
l’existence de recul du français. Je me méfie par ailleurs des scribes sans
envergure qui aiment brasser de la marde en jouant la carte de
l’indignation.
Ma thèse à moi est que la vie civile entre anglos et francos est en
avance d’une génération au moins sur notre bon vieux clivage politique. Un
exemple entre cent : la tuerie à Dawson a montré à quel point les
représentants des deux groupes, à tous les niveaux d’intervention, n’ont
pas hésité un millième de seconde avant de collaborer dans cette situation
d’urgence.
En terminant, je dirai que si l’on ne veut pas être mentalement siphonné
en restant plughé sur les productions misérables, débiles et infantiles que
nous charrient à longueur de journée nos diffuseurs de langue française, il
n’est peut-être pas inutile d’ouvrir de temps en temps un livre de
Montaigne ou - pourquoi pas ? - l’Anatomy of Melancholy de Robert Burton. À
tout prendre, cela vaut peut-être mieux que de downloader gratos des clips
pornos sur l’internet.
François Deschamps
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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4 commentaires

  • Dominic Desroches Répondre

    5 décembre 2007

    Cher Monsieur Deschamps,
    n'est-ce pas vous qui écriviez, en grand scribe sans doute, que le français de porte bien à Montréal ? Il n'y a toujours pas de recul selon vous. Si c'est vous qui écrivez cela contre la thèse du repliement identitaire, je vous invite à préciser votre pensée en utilisant les données du dernier recensement fédéral publiées hier. Allez, un petit effort, montrez-nous que les clichés ne sont pas dans votre argumentations... Relisez vos propos et dites-nous si vous les maintenez ?
    Sur ce, je vous souhaite une bonne continuation dans vos recherches historiques qui sont toujours intéressantes et pertinentes.

  • Jean Pierre Bouchard Répondre

    17 octobre 2007

    La situation linguistique à Montréal c'est de nouveau le recul pour l'usage du français. C'est toujours bien mieux qu'en 1975 pas de doutes! Ce qui ne veut pas dire que la loi 101 n'a pas été abîmée depuis et que la vigilance de l'Office de la langue française est encore forte relâchée qu'elle est par L.Bouchard et maintenant les libéraux. La moitié des immigrants ne connaissent pas le français en arrivant ici, ce n'est pas rien avec l'attraction anglo saxonne dans le décor.
    Dans le quartier de la rue Saint Denis celui là j'insiste en visite deux trois fois, j'ai rencontré deux immigrants d'origine indo pakistanaise dans deux dépanneurs différents qui m'ont contacté en anglais dans un quartier francophone. Ce n'est vraiment pas une statistique mais leur incapacité et leur refus de parler en français comme cette caissière chinoise dans le vieux Montréal au moment d'une autre sortie dit au moins ceci: "mon pays est le Canada à Montréal et la (solitude française) m'indiffère".
    En 2007, trente ans après la loi 101, ce n'est pas neutre comme fait pas plus que ces produits étiquetés en anglais seulement dans des animaleries tout comme d'autres produits dans d'autres commerces. Et ce même si la majorité des produits sont étiquetés bilingues où même parfois en espagnol également.
    L'idée c'est bien à quel moment je tire la sonnette d'alarme entre l'inquiétude émotive et la raison devant un phénomène qui pose problème. Le danger de l'hystérie politique est bien conscientisé depuis longtemps ce qui ne signifie pas que la prudence ne se transforme pas parfois en hyper prudence confinant à l'impuissance. Dans la langue française, il existe un beau mot pour cela le dilettantisme, ce qui veut dire s'occuper de quelque chose en amateur.
    Nuance mais diligence aussi dans les problèmes politiques.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 octobre 2007

    Entièrement d'accord.
    Mais il faut prendre conscience que ce phénomène de repli sur soi est vécu autant par ces autres communautés ehthniques, et ce, progessivement avec cette réaffirmation du "nous" du peuple Québécois autochtone (de souche).
    Les Groupes Ethniques minoritaires, depuis quelques temps, se regroupent en une entité commune pour faire face à cet "éveil" de la majorité ethnique autochtone qui n'a plus l'intention de se laisser diluée et considérer comme simplement "partie du décors ambiant".
    Ottawa a fait de cette entité regroupée une force politique qu'elle veut en opposition au "nous". Nous n'entedrons aucun porte-parole de ce regroupement à la commission Bouchard-Taylor, mais les individus qu'on y entend seront éventuellement "présumés" de "choisir leur camp".
    C'est cette politisation des groupes ethniques contre la majorité ethnique autochtone qui produit des replis identitaires des deux côtés, mais avec un réflèxe protectionniste fort du côté du peuple Québécois qui va jusqu'à vouloir limiter et même réduire l'expression identitaire des immigrants, à cause d'une trop longue "déethnicisation" par une carrence culturelle forçée et entretenue envers ce peuple Québécois qui a besoin d'autant de temps à se "retrouver".
    Désolé, mais ce sont les groupes ethniques minoritaires qui devront faire des accommodements pour laisser l'espace et le temps nécessaire au peuple Québécois de se "retrouver". Et ils devront, pour le faire, refuser la manipulation d' Ottawa et démontrer clairement et activement leur solidarité envers le peuple Québécois. Ou nous allons droit vers une confrontation.
    La balle est dans "leur" camp. C'est à "eux" de prendre la décision s'ils veulent honnêtement, non-pas s'intégrer, mais s'associer en un "nous" national du Québec. Les différences identitaires, culturelles, et religieuses, ne peuvent êtres respectées intégralement que seulement si nous les reconnaissons pour ce qu'elles sont, c'est à dire des identités nationales. Les groupes ethniques sont tous reliés et solidaires à un pays d'origine. Seul le groupe ethnique majoritaire Québécois, les Amérindiens, les Métis, et les Inuits du Nunavik, sont autochtones du Québec et n'ont donc pas de solidarité avec des pays étrangers. Ils jouissent donc en droit des prérogatives des peuples autochtones du pays.
    Les groupes ethniques non-autochtones doivent choisir. Le vrai Canada, historique, avec sa capitale Québec, ici au Québec, ou quitter pour le faux Canada des Anglais, dont la capital est Ottawa.
    Ils ne peuvent s'associer en même temps au vrai et au faux.
    Le temps de choisir est venu.
    peuplequebecois.forumpro.fr

  • Archives de Vigile Répondre

    17 octobre 2007

    Bonjour M. Deschamps,
    Personellement, j'habite à montréal-Nord, et je peux vous dire que 90% des gens parle anglais ou une autre langue. J'ai beaucoup de dificulté à me faire servir en français. À chaque fois que je sors de chez moi, la minorité visible c'est moi. C'est pas ça qui me dérange plus, mais j'ai l'impression de vivre une crise identitaire de société. C'est bien l'immigration, mais faudrait faire attention de pas remplacer les Québecois par une autre ethnie. La ville est sale, oui on le sait, mais savez vous combien d'immigrants de mon secteur jette leurs poubelles par la fenêtre, comme dans leurs pays. Il y a urgence de responsabiliser c'est gens là, tant par la langue, la culture et le savoir vivre, bonsens! Il est grand tant que les Québecois se lèvent et agissent. Mais le problème de ma société, c'est que tout le monde chiale et personne agit. J'ai 25 ans, et ça me déprime, alors j'ai décidé d'agir avec le Parti Indépendantiste, le PQ dors avec sa souvraineté depuis des années, les gens ont votés au dernières élections ADQ vu le manque d'option. Maintenant, un nouveau parti, au service des Québecois fait son entrée, il est tant d'agir, avant que nos Québecois soient reculés dans le fin fond des bois, à cause de l'entrée massive de nos immigrants .