Pour quelle raison les libéraux du Québec étaient-ils regroupés derrière Michael Ignatieff au congrès du Parti libéral ? Pour défendre la "nation" du Québec ? Permettez-moi d'émettre un petit doute. Ainsi, Denis Coderre aurait fait passer les intérêts du Québec et les grands principes avant la stratégie politique ? C'est douteux.
Si les libéraux québécois appuyaient Michael Ignatieff, c'est qu'ils le percevaient comme un "messie". Séduisant, bilingue, bon orateur, conciliant envers les Québécois, il faisait miroiter une campagne électorale d'image et d'espoir.
À l'opposé, Stéphane Dion offrait une candidature controversée, difficile à mettre en marché. Aucun charisme, intransigeant sur les questions québécoises, maladroit en public, il était l'antithèse même de la vedette dont raffolent les faiseurs d'images. Quand les partis politiques sont désorganisés et affaiblis comme le sont les libéraux fédéraux au Québec, la solution de la facilité est de trouver un candidat "clés en main", celui qui saura rallier la nation derrière de beaux slogans et une belle image. Voilà ce qu'était Ignatieff dans l'esprit des stratèges libéraux du Québec.
Vendredi soir, Stéphane Dion s'est présenté comme le bon deuxième, le soldat loyal qui avait servi deux premiers ministres, qui avait "livré la marchandise", et qui postulait une promotion.
À l'inverse, Michael Ignatieff était le Prince, venu de l'extérieur, qui offrait gracieusement son talent au peuple réuni. "Nous devons être le parti de l'espoir (...) Si nous devenons le parti de l'espoir dans un pays d'espoir, aucune force au monde ne pourra nous arrêter", a-t-il lancé, dans une grande envolée oratoire.
À l'inverse de Dion, qui s'est empêtré dans les détails d'un discours à la Claude Ryan, Michael Ignatieff a tenté de soulever la foule avec de grands mots, de grands thèmes, dans le style des leaders charismatiques qui commandent un acte de foi.
Dans un autre contexte, son appel aurait été entendu et les délégués auraient couronné le messie. Mais dans le contexte de la controverse sur la "nation", les orthodoxes du Parti libéral, Jean Chrétien en tête, ont refusé l'acte de foi demandé. Ils ont préféré confier la gouverne du Parti à un soldat fiable plutôt qu'à un messie dont ils ne connaissaient pas vraiment la religion. Le soldat est devenu général...
La partie de dés qui s'est jouée en fin de semaine rappelle étrangement la lutte qui a opposé Jean Chrétien et Paul Martin. Indépendamment des rivalités personnelles, la ligne de division entre les deux hommes était tracée dès le départ entre leurs visions opposées de la fédération. Jean Chrétien avait combattu l'accord du lac Meech ; Paul Martin l'avait appuyé. Tout au long des luttes fratricides entre leurs clans, l'entourage de Jean Chrétien a accusé M. Martin d'être mou, trop conciliant envers les provinces et surtout le Québec. C'est la même crainte que Michael Ignatieff a ravivée au sein des partisans de Jean Chrétien en se faisant le propagandiste du statut "national" du Québec. Les libéraux fédéraux du Québec ont aimé ce discours, mais pas ceux d'Ottawa.
En principe, c'est Bob Rae qui devait gagner le leadership libéral au nom des tenants de la ligne dure. À défaut de M. Rae, les orthodoxes se sont repliés sur Stéphane Dion.
Les Québécois ont été nombreux à souligner les difficultés qui attendent M. Dion dans sa province natale. Mais Bob Rae était tout aussi controversé en Ontario. En fermant la porte à Michael Ignatieff, les libéraux se sont condamnés à choisir un chef controversé.
Quelles seront les retombées électorales de ce changement à Québec et Ottawa ? M. Dion est un intellectuel qui fait ses devoirs. Il ne commettra pas l'erreur de John Turner qui a provoqué des élections sur la foi d'un simple sondage favorable, en 1984. Mais c'est probablement Jean Charest qui nous appellera aux urnes le premier. L'un des scénarios les plus vraisemblables amènerait M. Charest à déclencher des élections dès le mois de mars, après avoir obtenu de son ami Harper la promesse d'un budget répondant aux attentes québécoises sur le déséquilibre fiscal. Un budget qui serait déposé en plein milieu de la campagne électorale québécoise, et qui profiterait ensuite aux conservateurs si M. Charest est réélu.
Après Pierre Elliott Trudeau, Brian Mulroney, Jean Charest, Jean Chrétien et Paul Martin, Stéphane Dion devient le sixième Québécois à prendre la direction d'un parti politique national à Ottawa depuis les années 60. Robert Stanfield, Joe Clark, John Turner, Kim Campbell, Preston Manning et Stockwell Day ont bien essayé, mais sont demeurés des étoiles filantes.
Stephen Harper a tout un rendez-vous avec l'histoire s'il survit aux prochaines élections...
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