Le scénario absurde

L'absurdité de la situation dans laquelle se trouve plongée l'Assemblée nationale depuis jeudi semble décidément n'avoir aucune limite, aggravée un peu chaque jour par des petits jeux politiques malsains.

Sortie de crise

Se retrouver en élections à peine deux mois après le dernier scrutin parce que le gouvernement et les partis d'opposition jouent à qui pisse le plus loin sur fond budgétaire, c'était déjà assez absurde, merci.
Mais voilà que, pour sortir de l'impasse, certains poussent encore un peu en suggérant que le lieutenant-gouverneur du Québec refuse de dissoudre l'Assemblée nationale après la défaite des libéraux de Jean Charest et donne les clés du pouvoir à l'ADQ de Mario Dumont. Appelons cela le «scénario LG» pour faire plus court.
Un tel scénario nécessiterait d'abord une forme d'alliance avec le Parti québécois, qui s'engagerait au préalable à voter en faveur d'un éventuel budget ADQ (un budget Taillon?), ce qui est en soi étonnant. Le PQ rejette avec dédain le budget du gouvernement libéral, dont il est plutôt proche idéologiquement, mais il appuierait un budget de l'ADQ, le parti le plus à droite de l'échiquier politique québécois? Pas de problème, répondent des poids lourds péquistes, suffirait de négocier pour obtenir ce qu'on veut dans le budget avant son dépôt afin de garantir son adoption. Après tout, il est vrai que nous n'en sommes pas à une absurdité près.
Pourquoi diable le Parti québécois se montre-t-il si disposé envers un hypothétique gouvernement Dumont? Pour éviter des élections maintenant? Par souci de stabilité?
Pas du tout. Les motivations du PQ ne sont pas désintéressées, au contraire. Elles découlent d'un opportunisme enrobé d'une bonne couche de cynisme.
L'idée est simple: pousser Mario Dumont au pouvoir pour montrer au grand jour l'inexpérience de son équipe et, immanquablement, plonger le Québec dans une nouvelle crise politique à court terme. En quelques mois, les Québécois auraient donc vu le désastre libéral, puis le fiasco adéquiste. Reste le PQ de Pauline Marois, gage d'expérience, vers qui les électeurs se tourneront massivement, pensent certains députés du PQ. Le Parti québécois ne porterait donc pas l'odieux d'avoir précipité le Québec dans une nouvelle campagne dès maintenant et il aurait le temps de se refaire financièrement et politiquement.
Pour des gens qui parlent continuellement, la main sur le coeur et le trémolo dans la voix, des intérêts supérieurs du Québec, ce n'est pas très sérieux.
Le scénario LG paraît peut-être attrayant pour le PQ, mais il ne tient pas la route pour des raisons historiques et politiques.
Historiquement, d'abord, le poste de lieutenant-gouverneur dans les provinces, c'est encore plus vrai au Québec, est devenu purement symbolique. En termes crus, il s'agit d'une relique dispendieuse et controversée d'un modèle monarchique dépassé que l'on tolère parce que c'est plus simple que de revoir l'ensemble de notre système (d'autant qu'il faudrait pour ce faire relancer une ronde constitutionnelle). Jamais, depuis 150 ans, le lieutenant-gouverneur du Québec n'a eu à intervenir dans les affaires politiques et c'est très bien ainsi.
Au nom de quel principe un non-élu, titulaire d'un poste symbolique largement décrié, déciderait-il (ou elle, dans le cas présent) pour l'ensemble de la population québécoise? Au nom de la stabilité politique? Avouez que ça fait vachement colonisé de voir le sous-représentant de la reine décider qui dirigera le gouvernement de la nation québécoise. Voici des députés qui se brûlent la langue en prononçant le nom de la reine lors de leur assermentation, mais qui demandent maintenant à sa représentante de désigner le gouvernement.
Que le PQ, entre tous les partis, soit favorable à ce scénario ajoute l'ironique à l'absurde.
Sans compter que le «scénario LG» signifierait la fin de Jean Charest, remplacé vraisemblablement par Philippe Couillard, ce qui ne serait pas vraiment une bonne nouvelle pour les péquistes.
De toute façon, le principe de stabilité est ici fort douteux. Donner le pouvoir à l'ADQ, un parti de néophytes qui a sept députés de moins que les libéraux et aucun dans le grand Montréal, où vivent près de la moitié des Québécois, n'est pas ce que l'on peut appeler un gage de stabilité. Au contraire, c'est la recette pour plonger le Québec dans une crise politique paralysante de plusieurs mois.
La question avait été soulevée à Ottawa, en 2005, au moment où le gouvernement libéral de Paul Martin agonisait. Théoriquement, la gouverneure générale aurait pu, disait-on alors, demander à Stephen Harper de former le gouvernement plutôt que de dissoudre le Parlement. Elle en avait effectivement le pouvoir. En pratique, toutefois, elle ne pouvait mettre le pouvoir entre les mains d'un parti qui avait 36 députés de moins que le gouvernement (99 contre 135) et qui n'en comptait aucun au Québec ni dans les grandes villes canadiennes.
Et puis il existe une différence majeure entre le gouvernement Martin en 2005 et celui de Jean Charest aujourd'hui: les libéraux fédéraux étaient alors affaiblis par un grave scandale et ils luttaient depuis des mois pour leur survie.
Ce n'est pas le cas du gouvernement Charest. Certes, le rapport sur Option Canada, attendu demain, l'éclaboussera par la bande, mais l'affaire ne le met pas directement en cause et elle remonte à 12 ans.
Le PQ devrait s'y faire: les urnes restent la seule solution à la crise qui secoue l'Assemblée nationale. À moins, bien sûr, que le gouvernement s'entende avec un des partis d'opposition d'ici à vendredi.
Compte tenu de l'humeur de l'électorat, le parti qui a le plus à gagner n'est peut-être pas le matamore qui plongera le Québec dans une campagne estivale, mais celui qui, au contraire, permettra de sortir de l'impasse.


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