Le risque apocalyptique d'un emballement climatique

De Kyoto à Bali



Bali, la résistance des dirigeants conservateurs canadiens et états-uniens à fixer des objectifs sérieux de réduction des gaz à effet de serre (GES) est scandaleuse au regard des conséquences inimaginables du réchauffement climatique. Se rendent-ils compte que le seuil de l'emballement climatique est terriblement proche? Ont-ils bien pris conscience que le consensus scientifique en matière de changements climatiques rendrait légitime de les accuser de négligence criminelle envers l'humanité?
Rien qu'au cours de la dernière année, le climat erratique a affecté des dizaines de millions de personnes: Bangladesh, Mexique, Angleterre et Afrique de l'Est inondés sous des trombes d'eau; Californie, Grèce et Australie brûlées sous d'intenses canicules; et j'en passe...
Or ces événements extrêmes ne sont qu'un prélude aux bouleversements futurs. Certains scientifiques craignent même un emballement climatique dont des exemples passés ont causé une fonte accélérée des calottes glaciaires et des extinctions massives. Et nous serions beaucoup plus près du seuil de danger qu'on ne pouvait le penser il y a seulement quelques années.
Rappelons que les émissions globales de dioxyde de carbone (CO2) continuent d'augmenter malgré les efforts notables consentis par les bons élèves du protocole de Kyoto. De 2000 à 2005, les émissions de CO2 ont augmenté de 3 % par année alors que leur croissance annuelle avait été de 0,8 % de 1990 à 1999. L'évolution actuelle des émissions se situe au-delà des pires scénarios envisagés par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution climatique (GIEC). Les émissions semblent hors de contrôle. Et pour cause!
Les besoins énergétiques en hausse des pays émergents, le laxisme de pays énergivores comme le Canada et les États-Unis, la croissance de plusieurs secteurs d'activité générateurs de GES comme les transports (terre, air, mer) augurent d'une augmentation continue des émissions.
La Chine a certes une responsabilité globale croissante en la matière. Deuxième émetteur de CO2 en importance derrière les États-Unis, elle produit 70 % de son énergie en brûlant du charbon. Aucune réduction globale des GES ne pourra évidemment aboutir sans la mobilisation des gros pollueurs, dont la Chine.
Des effets amplificateurs enclenchés
Mais cela ne dispense pas les pays riches d'agir dès maintenant du fait de leur responsabilité historique. Et le temps presse. Plusieurs rétroactions amplifiant le réchauffement sont amorcées. La fonte de la banquise arctique est beaucoup plus rapide que prévu. Selon Jay Zwally, de la NASA, elle pourrait même disparaître aussi vite que d'ici la fin de l'été 2012!
Cela conduira cet océan à absorber de plus en plus de chaleur l'été. Sur terre, la fonte du permafrost va libérer de plus en plus de méthane, dont la molécule a un pouvoir de réchauffement 22 fois plus puissant que celle de CO2.
Parallèlement, les sécheresses intenses ralentissent le processus d'absorption du CO2 par les végétaux et favorisent les feux de forêt, qui dégagent le carbone incorporé dans les arbres.
De plus, le réchauffement des océans réduit les échanges entre les couches profondes et superficielles, ce qui entraîne une raréfaction du phytoplancton, algues microscopiques à la base de la chaîne alimentaire marine. Le plancton végétal constitue la principale pompe biologique d'absorption du CO2 par l'océan et joue un rôle essentiel dans la régulation du cycle de l'oxygène. Le réchauffement et l'acidification des océans, causée par la dissolution du CO2 dans l'eau, altèrent également l'autre pompe océanique d'absorption du CO2, physico-chimique celle-là. Des recherches récentes relèvent déjà un affaiblissement de la pompe à carbone de l'Atlantique Nord et de l'océan austral (La Recherche, décembre 2007).
Par ailleurs, le directeur de l'Institut Goddard de la NASA, James Hansen, estime que la température moyenne globale ne serait qu'à un degré près du seuil de l'interférence humaine dangereuse avec le système climatique (Pour la science, janvier-mars 2007). Ce petit degré moyen de plus nous ramènera à la température la plus élevée de la période interglaciaire précédente, où le niveau de la mer était supérieur de cinq à six mètres.
Un des dangers les plus sous-estimés par le GIEC, selon J. Hansen, est celui de l'élévation du niveau de la mer. Les calottes glaciaires, dit-il, «sont soumises à des effets non linéaires très importants». Au plus fort de la dernière déglaciation, le dégel «a entraîné une élévation du niveau des mers de un mètre tous les 20 ans, et ce, pendant plusieurs siècles»...
Vers l'«extinction thermique»?
Et il y a bien pire: selon une hypothèse reposant sur des preuves biochimiques suffisamment solides pour être publiée dans une revue scientifique, soutenue par le paléontologue Peter Ward, de l'Université de Washington (Pour la science, novembre 2006), quatre des cinq extinctions massives des 500 millions d'années précédents auraient été causées par un puissant effet de serre amorcé par un volcanisme intense.
P. Ward affirme que l'«extinction thermique» du Paléocène, il y a 54 millions d'années, a débuté avec un taux de CO2 de l'ordre de mille parties par million (ppm). De nos jours, la concentration de CO2 dans l'atmosphère est de 381 ppm. Avec l'augmentation actuelle de deux ou trois ppm par année, le seuil critique de l'extinction thermique serait atteint à la fin du XXIIe siècle. Mais que se passerait-il si le réchauffement s'emballait au cours des prochaines décennies?
Il faut donc prendre acte que l'enjeu de la réduction des émissions de GES ne consiste pas seulement à éviter la multiplication d'événements climatiques extrêmes, l'effondrement de la biodiversité et de l'agriculture, la submersion des côtes surpeuplées des océans et une «guerre civile mondiale», selon l'expression de l'ONU. L'enjeu fondamental consiste aussi à empêcher à tout prix un emballement climatique susceptible, à terme, d'entraîner la disparition de la plupart des espèces terrestres et marines de la planète, y compris l'espèce humaine...
En vérité, la crise climatique nous révèle brutalement les liens d'interdépendance entre l'atmosphère, les écosystèmes, les espèces microscopiques et les humains. Elle remet les fantasmes de puissance à leur place et l'idée de progrès à l'endroit. Les solutions pour réduire fortement les émissions de GES existent mais commandent de procéder à un changement de cap radical en ce qui a trait aux priorités de développement. Kyoto représente un petit premier pas pour les favoriser. Mais dans certains pays, la vision et le courage politique de les déployer manquent largement. Pourtant, aucun État, aucune organisation, aucune conscience ne pourra échapper aux conséquences apocalyptiques du laisser-faire...
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Alain Brunel, Sociologue des organisations chez Technologia de Paris et cofondateur de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique
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