FORT MCMURRAY

Du totem pétrole au tabou du climat

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«Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles chérissent les causes»

L'éditorial du Devoir du 6 mai, intitulé « Solidaires de nos voisins » et signé Jean-Robert Sansfaçon, est difficile à suivre malgré l’expression bienvenue de solidarité avec les sinistrés de Fort McMurray. Il avance que, « même s’il est démontré qu’une des conséquences du réchauffement climatique est la prolongation des périodes de sécheresse propices à la propagation des feux de forêt, on ne peut expliquer la catastrophe en cours aussi simplement sans faire preuve d’un opportunisme de mauvais goût ». Faut-il éviter d’évoquer les changements climatiques parce qu’il y aurait d’autres facteurs en cause dans la propagation du feu monstre de Fort McMurray, et ce, en dépit du fait que le Service canadien des forêts note une prolongation, depuis le début du XXe siècle, de la saison des feux de forêt de 20 jours dans la région de Fort McMurray, et même si l’indice de sécheresse au début de mai dans la région est lui aussi en croissance constante depuis les dernières décennies ? Cette posture curieuse ressemble presque à la formulation d’un tabou autour de l’enjeu du climat.

Il est vrai qu’attribuer un événement climatique ponctuel au réchauffement planétaire représente une imprudence scientifique. En l’occurrence ici, des cofacteurs liés à l’aménagement du territoire ont pu aggraver l’ampleur des dégâts. Mais la plus grande fréquence et la plus grande intensité des événements climatiques extrêmes sont des conséquences du réchauffement planétaire partout observées et anticipées accrues dans le futur.

Il faut souligner que nous vivons désormais dans une nouvelle ère climatique aux effets carrément inconnus du genre humain. Les concentrations de gaz à effet de serre (GES) n’ont jamais été aussi élevées depuis au moins trois millions d’années, époque de l’Australopithèque Lucy, chère à la paléoanthropologie… Kevin Trenberth, du Centre national de recherche atmosphérique des États-Unis, le dit ainsi : « Le réchauffement planétaire contribue à une augmentation d’événements météorologiques extrêmes parce que l’environnement dans lequel toutes les tempêtes se produisent a changé en raison de l’activité humaine. »

400 000 bombes Hiroshima par jour

M. Sansfaçon reconnaît que les conditions climatiques exceptionnelles ont joué un rôle dans le désastre, mais il attribue ce fait à El Niño, « ce phénomène maritime qui a peu à voir avec les hydrocarbures ».

Les combustibles fossiles sont donc ici prestement écartés des facteurs ayant influencé le climat exceptionnel du printemps 2016. Il néglige par là les conséquences du réchauffement planétaire sur les océans. Selon le réputé climatologue James Hansen, la chaleur piégée sur la planète en raison des GES est actuellement équivalente à l’énergie dégagée par l’explosion quotidienne de 400 000 bombes nucléaires du type Hiroshima, 365 jours sur 365…

Les océans absorbent 90 % de cette chaleur, l’atmosphère n’en retenant que 1 %. Entre 1971 et 2010, la température des océans s’est réchauffée d’un dixième de degré Celsius par décennie jusqu’à 75 m de profondeur, dit le dernier rapport des experts du climat du GIEC 2013-2014. Et ils se sont réchauffés de manière « certaine » jusqu’à 700 m de profondeur et « probable » jusqu’à 2000 m.

L’oscillation El Niño/La Niña dans le Pacifique tropical sud peut être comprise comme un processus naturel d’évacuation de la chaleur accumulée dans les océans, similaire à celui qui se déroule lors d’ouragans, selon le climatologue Hervé Le Treut. L’accumulation de chaleur dans les océans a des conséquences sur leurs cycles naturels.

La phase El Niño 2015-2016 est l’une des plus fortes des 50 dernières années et on observe une augmentation de sa fréquence depuis quelques décennies. Selon certains scénarios, la croissance des émissions de GES ferait doubler la fréquence des phases El Niño du cycle, celle qui typiquement assèche l’ouest du Canada.

Mais d’autres phénomènes participent aussi à cet assèchement : le blob du Pacifique nord-est, une surface de 1 million de km2 plus chaude de 3 °C que le reste de l’océan, est apparu en 2013 au large de la Colombie-Britannique. L’importance de ce phénomène, distinct de celui d’El Niño et survenu avant lui, a surpris tous les spécialistes. C’est la première fois que l’eau du Pacifique du nord-est atteint une telle température pendant une aussi longue période. Le blob a eu des conséquences majeures sur tout l’écosystème marin de la région et est l’une des causes de l’intensité de la sécheresse dans tout l’ouest du continent depuis 2013.

Déplorer les effets et chérir les causes

Refuser de voir que les émissions de gaz à effet de serre transforment massivement les climats, les océans et les écosystèmes de la planète s’apparente à une forme d’aveuglement volontaire mortifère. Un tabou certainement relié au totem pétrole, l’animal sacré et intouchable du clan albertain.

Totem devant lequel s’agenouillent aussi depuis toujours les élites économiques et politiques du Canada, comme beaucoup de ceux qui partagent une part de l’illusoire richesse venant du pétrole. La question du maintien des plans de croissance de la production du pétrole bitumineux mérite plus que jamais d’être posée dans les circonstances actuelles et après l’accord de Paris sur le climat. Bientôt, quand les glaciers auront fondu, l’eau va manquer dans cette région. Le ministre de la sécurité publique, Ralph Goodale, peut bien prier pour que la pluie arrive, mais il faut désormais prendre acte du fait que, en matière de climat, l’act of God n’est plus uniquement celui de Dieu. Méditons à ce propos la maxime fulgurante de Bossuet : « Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles chérissent les causes. »

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