Si j'étais premier ministre du Québec -- n'ayez crainte, cela n'arrivera pas --, je ferais du nouvel essai de Jean-François Lisée un de mes livres de chevet. Riche catalogue d'idées originales visant à faire du Québec un paradis de la qualité de vie pour tous, Pour une gauche efficace constitue, en effet, un très stimulant remue-méninges qui pourrait faire office de programme gouvernemental de centre gauche.
Qualifié de «puissante machine à idées» par Gérald Larose et de «solidaire qui essaie d'être lucide» par l'économiste Pierre Fortin, Jean-François Lisée est un penseur hyperactif dont le regard sur le Québec est à la fois lucide et très enthousiaste. Aux esprits chagrins de la droite qui se complaisent dans un discours sur la médiocrité du Québec, il réplique qu'ils ont tout faux. «Que le Québec, écrit-il, soit la nation nord-américaine avec le niveau d'inégalité sociale le plus faible, que son taux de pauvreté et d'intensité de la pauvreté soit le plus faible sur le continent, que ses villes soient les plus sécuritaires du continent, avec des taux de criminalité parmi les plus bas, tout cela n'a pas d'importance à [leurs] yeux, alors qu'il s'agit de réalisations considérables.» Notre pouvoir d'achat, ajoute-t-il, dépasse celui des Ontariens et notre niveau de scolarisation a fait un bond considérable. Notre situation globale, somme toute, est plutôt enviable, mais les défis qui nous attendent nous imposent de poursuivre avec audace le «processus constant d'amélioration et de réforme» enclenché dans les années 1960.
La droite, obsédée par le seul objectif de la création de la richesse, a son plan: réduction de l'État, démantèlement syndical et recul du filet social. L'approche américaine, qui crée de la richesse ne profitant qu'à quelques-uns, n'est pas loin. Lisée la rejette radicalement. Inspiré par «le progressisme pragmatique» de Jacques Parizeau, «celui qui a vu tous les trains partir», le journaliste et chercheur affirme réfléchir dans une logique d'économie de marché avec intervention publique dans laquelle «la création et la distribution de la richesse vont de pair». En ce sens, explique-t-il, «la gauche efficace ne vise pas la création de richesse comme une fin en soi, mais la qualité de vie, dont la prospérité durable est une variable essentielle».
Pour illustrer l'esprit de cette gauche efficace, Lisée parle d'un «pacte entre l'économique et le social». Parce qu'elle est «largement imbriquée dans le commerce mondial», l'économie québécoise doit être concurrentielle. Aussi, un gouvernement de la gauche efficace prônerait un allégement fiscal et réglementaire (sauf social et écologique) en échange duquel les entreprises s'engageraient à respecter «le cadre juridique et réglementaire le plus favorable du continent aux droits des salariés [...] et le plus rigoureux du continent en matière de protection de l'environnement et des consommateurs».
Par exemple, au lieu d'augmenter les impôts sur les sociétés, qui affectent ou les prix ou les salaires, il faut plutôt faire payer «les individus riches». En échange d'une abolition de la taxe sur le capital, les entreprises doivent s'astreindre à de nouvelles normes minimales du travail (meilleure conciliation travail-famille, par exemple) et à une gestion plus participative. Selon cette même logique du «donnant-donnant», Lisée propose une réduction conditionnelle de la taxe sur la masse salariale. Les entreprises peuvent en bénéficier si elles présentent un plan général d'augmentation de la productivité qui protège les salariés. De la même manière, une entreprise qui licencie moins pourrait cotiser moins à l'assurance chômage (mais il s'agit ici d'un dossier fédéral).
Faire payer les riches
Ces propositions plutôt techniques, présentées à la chaîne parmi tant d'autres, peuvent finir par donner le tournis au lecteur non spécialiste, mais elles suivent une logique facile à retenir: il s'agit de réduire les coûts de production des entreprises, mais en protégeant les travailleurs-consommateurs, voire en améliorant leur sort. L'un ne doit pas aller sans l'autre.
Ces réductions de taxes affecteront les revenus de l'État. Pour renflouer la caisse, Lisée avance plusieurs solutions visant à faire payer les riches. Les amendes, par exemple, devraient être alignées sur le revenu, comme c'est déjà le cas dans quelques pays. «Une contravention pour avoir grillé un feu rouge? L'équivalent d'une demi-journée de revenu», suggère Lisée. Après une consommation de base, les tarifs d'électricité devraient augmenter. Les tarifs gouvernementaux (SAAQ, garderies) devraient aussi être modulés en fonction du revenu. Les produits de luxe pourraient être lourdement taxés. Lisée propose même de légaliser et de réglementer la vente de marijuana et la prostitution, mais il reconnaît que la souveraineté serait nécessaire pour ce faire.
Une augmentation importante des tarifs d'électricité pour tous, accompagnée d'une baisse d'impôt à l'avenant et d'un remboursement pour les ménages à faible revenu, engendrerait aussi, selon lui, un cercle vertueux. Sa démonstration, trop détaillée pour être reprise ici, est spectaculaire et fait réfléchir, même si le volet d'une privatisation partielle (25 %) d'Hydro-Québec convainc peu.
Le chapitre que Lisée consacre à la lutte contre la pauvreté est un des plus stimulants de cet ouvrage. La pauvreté, rappelle-t-il, coûte très cher. Le Québec, dans ce dossier, fait bonne figure par rapport à ses voisins, mais il doit faire mieux. Pour y arriver, il doit de toute urgence généraliser les services de garde pour les enfants pauvres (et ne surtout pas remettre des chèques directement aux parents), privilégier la scolarisation précoce, mieux payer les enseignants, particulièrement ceux qui travaillent en zones défavorisées, combattre l'analphabétisme à tout âge et imposer une obligation de formation aux jeunes assistés sociaux aptes au travail. Cette lutte, on le voit, passe essentiellement par l'éducation. À l'université, une augmentation des droits de scolarité pourrait s'accompagner d'un «contrat citoyen». En s'engageant à oeuvrer au Québec pendant 12 de ses 20 premières années de travail, un étudiant bénéficierait d'un important remboursement.
Véritable électron libre de la social-démocratie québécoise, Lisée, qui s'affiche clairement en faveur de Pauline Marois, se livre, même quand il pousse le bouchon un peu loin, à une brillante et nécessaire entreprise de désintoxication idéologique. Il nous invite, avec une audace qui parfois s'emballe, à être riches, de moyens et de temps, ensemble. «Que ceux qui ont du cran, lance-t-il, engagent le débat et prennent des décisions. Que les autres rénovent leur sous-sol.» Lui, de toute évidence, préfère la parole publique au marteau privé.
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[Pour une gauche efficace->15951]
Jean-François Lisée
Boréal
Montréal, 2008, 280 pages
Essais québécois - "Pour une gauche efficace"
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