(À l'éditorialiste Jean-Marc Salvet)

Le Québec poids plume ?

Alors pourquoi continuer à mesurer la représentation du Québec-nation à Ottawa comme s'il s'agissait d'une simple province comme les autres ?

La minorisation politique du Québec au Canada


Je lis toujours vos éditoriaux avec intérêt et plaisir, mais celui du vendredi 18 mai ([Poids plume ?->6756]) m'a déçu et surpris.
1. Déçu. Après avoir admis qu'une représentation non rigoureusement proportionnelle du Québec à la Chambre des communes (par exemple 25 %) serait "un élément qui permettrait de reconnaître concrètement que le Québec forme une nation", vous ajoutez que "cette idée est belle sur papier, mais elle ne tient pas la route" parce que nous n'en "sommes plus à l'époque de l'accord de Charlottetown".
Nous ne sommes plus à cette époque, en effet, mais à une autre, très contemporaine : l'automne dernier, le premier ministre fédéral a fait voter une résolution, que ses propagandistes vantent depuis, selon laquelle le Québec forme une nation !
Alors pourquoi continuer à mesurer la représentation du Québec-nation à Ottawa comme s'il s'agissait d'une simple province comme les autres ? Parce que la Constitution actuelle le stipule ? Ce qui revient à dire que la résolution de l'automne dernier n'était qu'un attrape-nigaud, une manoeuvre d'autant plus inquiétante qu'une autre se prépare avec, comme objectif ultime, l'instauration d'un Sénat où toutes les provinces auraient une représentation égale. Comment justifier que la proportionnalité doive s'appliquer à la Chambre des communes, mais pas au Sénat ? Quel est le rapport entre cette incohérence et la résolution de l'automne dernier ?
J'aurais souhaité qu'au lieu de se contenter de dire qu'une modulation de la représentation proportionnelle "ne tient pas la route", l'éditorial du journal de la capitale nationale du Québec signale sans ambiguïté le cynisme de ceux qui proclament l'existence d'un fait - la nation québécoise - quand le geste sert leurs intérêts électoraux et qui n'en tiennent aucun compte quand une occasion se présente d'en tirer les conséquences concrètes.
Sans trop insister, votre éditorial aurait également pu rappeler que, lors de l'Acte d'Union de 1840, le Haut-Canada (Ontario) moins peuplé demanda et obtint une représentation parlementaire égale à celle du Bas-Canada (Québec) ; en revanche, dès que sa population dépassa celle du Québec en 1851, il exigea la représentation proportionnelle... Vous auriez enfin pu mentionner que, dans d'autres fédérations, des dispositions constitutionnelles spéciales peuvent s'appliquer à des situations particulières.
L'attentisme paresseux
2. Surpris. Vous laissez entendre que le Québec ne doit pas "se résigner à voir sans cesse son poids fondre au Parlement canadien" et qu'en conséquence, "c'est dans une ronde constitutionnelle qu'il réglera ce genre de questions" ; "un jour ou l'autre, concluez-vous, l'ouverture de la Constitution deviendra inévitable".
Mais comment, pour ceux qui rêvent d'un fédéralisme dit renouvelé, cette éventualité finira-t-elle par se produire si on part de l'idée paresseuse du gouvernement Charest selon laquelle les temps ne sont pas mûrs et qu'il vaut mieux, en attendant qu'ils le deviennent, ne rien réclamer de trop contraignant en raison des réticences prévisibles d'Ottawa ou du Canada anglais. À ce compte-là, ce dossier restera fermé, rien ne mûrira, et c'est précisément ce que souhaite le reste du Canada en ce qui concerne le Québec. Si les dirigeants québécois des années 1960 et 1970 avaient été des mollassons à l'égard des réactions du reste du Canada, bien des initiatives essentielles n'auraient jamais vu le jour (i.e. Caisse de dépôt, loi 101). Il faut dire qu'au-delà de leurs affiliations partisanes, et contrairement aux libéraux de Jean Charest, ils avaient des réflexes québécois. C'est pourquoi, devant la menace de minorisation politique accrue, l'actuel gouvernement ne veut pas voir l'urgence qu'il y a, pour le Québec-nation, de récupérer des pouvoirs dont il laissera autrement l'exercice à une majorité qui répugne, dans la pratique, à le reconnaître pour ce qu'il est.
Voilà quelques commentaires rapides que m'a suggérés votre éditorial. Avec le problème du Sénat qui se profile à l'horizon, Le Soleil aura l'occasion de revenir sur ces sujets. Attendons la suite.
Claude Morin, ancien ministre des Affaires intergouvernementales du Québec


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