À l'origine, mon article «[Tout oppose nationalisme et indépendantisme->10072]»
s'appelait «De la paroisse au pays», un titre emprunté à Fernand Dumont et
que les éditeurs ont changé, même s’il avait le grand avantage de présenter
une vision plus dynamique du pays et moins critique de la nation. La
nation, sans y être nommée, étant d’abord perçue comme le lieu de passage
vers un objectif plus grand, le pays.
Ce texte visait essentiellement à contester la thèse de la
[dénationalisation tranquille->8951] de Mathieu Bock-Côté qui décrit la nation
ethnique comme une fin en soi. Mon postulat étant qu’en contexte canadien,
le nationalisme québécois est stérile s'il ne vise pas la création du pays,
un peu comme des racines sans arbre qui pourrissent dans le sol. S’il est
un moyen, il ne peut être un objectif, le simple éloge de la nation ayant
le grand défaut de ne pas faire avancer le débat sur le pays, en nous
faisant miroiter l’illusion de la sécurité que nous procure notre petit
univers juste à nous.
Bien sûr, j'ai pris quelques raccourcis, puisque je ne peux nier qu'il
existe également un nationalisme civique, mais même celui-là est stérile
s'il ne conduit pas au pays. Je crois que mon texte [«Le mensonge des
chartes»->8422] expose bien cette urgence de faire l'indépendance si nous ne
voulons pas demeurer une minorité en péril. Pour des raisons
essentiellement juridiques et parce qu’elles sont des outils de
normalisation, les chartes ne peuvent tout simplement pas protéger ni notre
langue, ni notre nation. Il n’y a pas de majorité française en Amérique parce qu’il n’y a pas de pays pour l’accueillir.
Le Québec n’est pas une nation, c’est une province du Canada. Dire le
contraire est un mensonge, une absurdité et une insulte pour
l’intelligence. Pourtant, nos interminables débats constitutionnels nous
ont amenés à croire au fil des années que le Québec était une société
distincte ou peut-être même une nation au sein du Canada uni sans pour
autant que cela ait un iota de conséquences juridiques. De faux débats
qu’entretiennent à dessein nos élites politiques et qui ne font qu’ajouter
à la confusion qui règne au sujet de l’identité des Québécois, alors qu’il
s’agit d’abord d’une question de souveraineté.
La vraie question nationale vise donc moins à savoir si nous sommes des
nationalistes ethniques ou civiques, mais nous incite plutôt à choisir :
accepter notre sort de minorité au sein du Canada ou fonder un pays où nous
deviendrons clairement une majorité. Opposer la vision ethnique à la vision
civique, comme le propose Bock-Côté, est donc un sophisme dont le premier
résultat ne peut être que la division. Une division entre ceux qui voient
le Québec comme une société et ceux qui le perçoivent comme une nation, une
inutile distinction et une source supplémentaire de confusion dans le débat
national. Tant que les Québécois n’auront pas accepté leur sort de minorité
en péril, ils n’auront aucun intérêt à faire l’indépendance. On comprend
dès lors pourquoi cet interminable débat sur l’identité ne connaît jamais
de conclusion. Il favorise le statu quo.
À cet égard, les nationalistes souhaitent d’abord s'affirmer comme
majorité face à une autre majorité, sans nécessairement faire de
l'indépendance une priorité. Qu’il soit ethnique ou civique, le
nationalisme entretient donc une ambiguïté malsaine auprès du peuple
lorsqu’on pose la question de l’indépendance. Il suggère que nous pourrions
choisir entre l’un ou l’autre sans que cela ait des conséquences sur notre
survie, alors que ces deux nationalismes conduisent tous les deux au même
résultat : notre lente assimilation et notre inéluctable disparition.
En faisant clairement le choix du pays, le débat sur le nationalisme
devient dès lors secondaire, et peut-être même obsolète, dans la mesure où
nous aurions alors atteint une certaine maturité collective. N’ayant plus
besoin de nous affirmer, nous serions... Si le nationalisme est un lieu de
passage obligé, il ne peut être un port d’attache. Nous ne saurions donc
faire son apologie sans risquer d’y perdre quelques marins indispensables à
la longue traversée qui mène au pays, justement ceux qui languissent dans
les cales de l’ADQ. Nous le voyons bien, débattre de la nation est une dangereuse diversion.
***
Or, un des dangers qui nous guette, si nous demeurons une minorité au sein
d’un Canada uni, est qu’en continuant de croire que nous sommes une nation
majoritaire, nous interprétions les phénomènes d'effritement de notre
société, de notre langue et de notre économie comme normaux en contexte
mondial, alors que dans le cas spécifique du Québec, ces phénomènes sont
exacerbés par l’insidieux colonialisme canadien. Un discours soutenu avec
vigueur par des médias comme La Presse qui encourage la normalisation de la
société, le bilinguisme et délocalisation de nos principaux leviers
économiques sous prétexte de la mondialisation.
Un autre grand danger qui nous guette, c'est cet individualisme nourri par
un capitalisme qui procure à l'individu un faux sentiment de sécurité,
celui où le citoyen est remplacé par le consommateur. L’argent achetant
tout, les Québécois seraient libres, dans l'absolu, de tout consommer : la
santé publique ou privée, l'école publique ou privée, la religion, le
français, l'anglais, le nationalisme, le fédéralisme ou l'indépendantisme.
Une vision que défendent avec acharnement plusieurs groupes d’intellectuels
de droite comme le CIRANO et l’ IEDM, Joseph Facal étant le plus flamboyant
porte-étendard de ce courant.
Cette illusion de liberté individuelle que procure notre pouvoir d’achat
sans fin, soutenu par de nombreuses sources de crédits, ferait alors
éclater définitivement les liens qui nous unissent comme minorité nationale
et plus largement comme société. Grâce à cette liberté individuelle de
consommer des idées, de la culture et des aspirations, comme on consomme des
boîtes de conserve ou des téléviseurs, nous deviendrions alors légers,
dépouillés du poids de l'héritage et des rêves de nos ancêtres, l’argent
devenant alors la seule source de liberté, car il peut tout payer, même
l’éternité.
Dans une telle perspective, l’indépendance ne serait plus une urgence ou
un enjeu collectif, mais bien le résultat d’un choix individuel comme peut
l’être tout autre objet de consommation que nous serions libres de
consommer. Un peu comme Sisyphe, nous pousserions alors notre pierre sans
relâche, sachant qu’une fois au sommet, elle roulerait invariablement vers
le bas. Nous serions libres d’accomplir une démarche dont la liberté ne
serait jamais le résultat, l’indépendance devenant une gymnastique
individuelle à laquelle seuls les initiés se livreraient, à l’image de ceux
qui pratiquent le taï-chi ou le yoga.
Être indépendantiste serait alors un luxe bien à nous, comme d'autres
s'achètent des billets à 200$ pour aller voir le Canadien jouer au centre
Bell, pouvant même nous payer occasionnellement quelques bains de foule
pour fêter nos victoires morales de plus en plus rares, sachant que le
lendemain nous aurions le loisir de gagner l'argent nécessaire pour nous
payer quelques plaisirs éphémères afin de noyer nos peines de patriotes
déchus: cinéma, théâtre, jeux vidéo et peut-être même des vacances dans le
sud.
Comme le dirait certainement Christiane Charrette - cette grande prêtresse
du relativisme radio canadien - à sa cour où foisonnent de nombreux ducs et
duchesses de toute allégeance : vous avez le droit d'être indépendantistes
à la condition de respecter le droit des autres d'être fédéralistes et cela
sans dire de gros mots! Ainsi, nos élites culturelles et intellectuelles
pourraient demeurer indéfiniment dans le meilleur pays au monde et
continuer de recevoir leurs généreux cachets pour débattre poliment et en
français de notre avenir comme on parle du dernier film.
Grâce au relativisme des chartes, nous serions alors passés de la nation à
la consommation, vivant désormais dans le meilleur des mondes. Un univers
où nous serions enfin majoritaires, étant tous devenus des consommateurs!
Louis Lapointe
Brossard
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
De la nation à la consommation, l’illusion de la liberté
Débattre de la nation est une dangereuse diversion
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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