Le Québec perd du terrain

2006 textes seuls

La situation économique relative du Québec, si elle devait continuer sur la même pente, laisse entrevoir des crises de plus en plus sérieuses
Malgré la présence de secteurs en plein développement qui souvent font la une des journaux, forment la trame des discours et constituent la manne de nos dirigeants politiques, la performance économique globale du Québec traîne dangereusement derrière celle du reste du Canada (ROC) et des États-Unis et ce, depuis plus de deux décennies. De plus, la situation de sous-performance relative du Québec ne s'améliore pas mais a plutôt tendance à se détériorer comme le montrent entre autres la création d'emplois, qui est relativement anémique depuis 25 ans et davantage encore depuis le début des années quatre-vingt-dix, le taux d'activité, qui est relativement faible, et le taux de chômage qui est relativement élevé et sous-estimé.
Les principaux indicateurs de la santé et de la performance économique d'une société montrent que, relativement à ses principaux partenaires socio-économiques, le Québec perd du terrain à un rythme alarmant! L'évolution relativement favorable du PIB par habitant (maintien de la position relative dans un processus d'appauvrissement continuel) masque une réalité complexe qui doit nous interpeller. Le Québec perd sa population, en particulier ses jeunes qui n'y trouvent plus suffisamment les défis et opportunités qui seraient susceptibles de l'emballer. Les Québécois se reproduisent trop peu, peut-être par crainte d'un avenir trop difficile, trop incertain et trop exigeant, et le Québec n'est pas, relativement à ses principaux concurrents, une terre d'immigration suffisamment accueillante, socialement et économiquement (administrativement?) pour compenser le faible taux de renouvellement interne de la population.
La situation économique relative du Québec, si elle devait continuer sur le même gradient que celui observé depuis près de 25 ans, laisse entrevoir des crises de plus en plus sérieuses: entre autres, la dégradation relative des services de santé et des services sociaux;
- la baisse de la qualité relative de l'éducation à tous les niveaux, tant ceux de la formation scientifique et professionnelle que celui de la formation continue;
- le dépérissement relatif ou le développement plus lent des infrastructures (routes, eau potable et eaux usées, télécommunications, inforoute);
- la dégradation de l'environnement;
- le dépérissement relatif des industries culturelles (musique, danse, théâtre, musées, festivals);
- la baisse de la qualité relative des activités récréatives de toutes sortes (baisse de qualité, voire disparition, des équipes de sport professionnel de haut niveau).
(...)
La sous-performance économique du Québec me semble résulter essentiellement de trois causes principales, plus flagrantes en termes relatifs qu'en termes absolus:
- un manque généralisé d'incitations à l'adaptation, à la performance, à l'innovation;
- le vieillissement des mécanismes publics de coordination et d'affectation des ressources;
- la manipulation opaque et pernicieuse des prix comme mécanismes privilégiés de subventions aux groupes d'intérêt organisés.
Bref, elle résulte de la sous-performance de ses institutions, organisations et entreprises privées et publiques à assurer l'affectation, l'utilisation et le développement efficaces des ressources: les bonnes ressources aux bons endroits aux bons moments pour la production des bons produits et services;
- à motiver les individus;
- à se prendre en charge;
- à intensifier leurs contributions à l'économie et au mieux-être de la société;
- à accroître continuellement leur productivité.
Ainsi, le taux d'emploi (et le taux d'activité) relativement faible dans tous les groupes d'âge, au Québec par rapport au ROC et aux États-Unis, et les pertes de croissance et de richesse qui en découlent, en bonne partie des trois facteurs suivants. D'abord, le discours politique ambiant de mise à la retraite à 50-55 ans peut finir par donner l'impression que la meilleure façon de contribuer au bien-être de ses concitoyens est de cesser de travailler. De toute évidence, c'est là une énorme fausseté que trop de nos dirigeants continuent à répéter et à véhiculer en s'imaginant régler un problème global de sous-emploi chronique en empêchant les gens de travailler! Le syndrome de la retraite à 50-55 ans est un symptôme important parmi d'autres de l'appauvrissement relatif du Québec.
Le fait que le taux d'emploi des hommes de 55-64 ans ait chuté de 22 points de pourcentage entre 1976 et 1996-99 pour atteindre en 2004 un niveau de 56,1 % (par rapport à 64,1 % au ROC et 66,0 % aux États-Unis) représente une perte considérable de main-d'oeuvre expérimentée et de compétences dont on ne se préoccupe pas suffisamment. Le cliché, particulièrement populaire auprès de la classe politique, qui veut que les retraites hâtives et prématurées créent des ouvertures pour les jeunes, n'a aucun fondement analytique. Les retraites hâtives et prématurées, en privant l'économie d'une main-d'oeuvre importante, compétente et expérimentée, nuisent à la capacité concurrentielle du Québec et ont par conséquent un effet dévastateur sur sa capacité de créer des emplois de qualité supérieure, en particulier pour les jeunes. Encore faut-il offrir aux travailleurs déplacés des moyens efficaces et incitatifs susceptibles de leur permettre de maintenir et améliorer leur capital de connaissances et de compétences et se repositionner rapidement lorsque des chocs surviennent dans leur environnement.
Ensuite, il apparaît clairement que nos entreprises privées et publiques sont incapables de créer des emplois au rythme nécessaire. Cela peut être dû entre autres facteurs aux freins à l'innovation technologique mais surtout organisationnelle et à la difficulté de pouvoir contester les réseaux établis de fournisseurs, en particulier dans le secteur public. Enfin, ce faible taux d'emploi résulte d'un calcul avantages-coûts rationnel qui amène trop de Québécois à conclure qu'il est préférable et plus payant de ne pas travailler.
Marcel Boyer
L'auteur est titulaire de la chaire Bell Canada en économie industrielle au département de sciences économiques de l'Université de Montréal. En 2001 il publiait une étude remarquée sur le retard économique du Québec. Le texte que nous présentons aujourd'hui et demain est tiré d'une mise à jour de cette étude qui sera publiée prochainement par le centre CIRANO.


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