Le Québec doit-il subventionner les multinationales informatiques?

Des motifs à expliquer

C'est la question qu'on peut se poser après l'annonce en catimini, cette semaine, d'une généreuse mesure d'aide gouvernementale aux firmes informatiques. Le gouvernement du Québec vient de prolonger de 10 ans le programme de "crédit d'impôt pour le développement des affaires électroniques (CDAE)", nom ronflant pour parler des subventions aux firmes informatiques.

Saviez-vous que le Québec verse 230 millions par année aux entreprises informatiques en crédits d'impôt CDAE? Les fonds ne sont pas octroyés à des entreprises parce qu'elles sont en démarrage ou parce qu'elles font de la recherche. L'argent est plutôt versé à des sociétés qui conçoivent des logiciels, des architectures technologiques et des processus d'affaires.

Les principaux bénéficiaires sont les multinationales CGI et IBM, entre autres. En 2012, par exemple, CGI a inscrit 98,8 millions de dollars de crédits d'impôt dans ses états financiers, dont une grande partie, probablement l'essentiel, vient du programme CDAE. Pour CGI, ces crédits représentent environ 20% de ses bénéfices mondiaux avant impôts.
Le programme CDAE est né en 2008, mais il s'agissait en fait d'une version améliorée d'un programme lancé en 1997. Jeudi, en plein coeur de l'été, le gouvernement a annoncé qu'il prolongeait le programme jusqu'en 2025.
Comment fonctionne le programme? Essentiellement, le gouvernement du Québec verse aux entreprises un crédit d'impôt qui équivaut à 30% du salaire des employés admissibles. Le crédit était plafonné à 20 000$ par employé admissible, mais jeudi, le gouvernement a augmenté ce seuil à 22 500$ à partir de 2016.
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La vaste majorité des économistes estime que les entreprises ne devraient pas, en principe, recevoir de subventions. À moins de situations particulières, le libre marché est en mesure de laisser vivre, sans l'aide de l'État, les entreprises efficaces qui sont en demande.
Évidemment, les entreprises d'ici doivent être en mesure de jouer à armes égales avec les entreprises étrangères. Si les entreprises américaines ou européennes touchent des subventions, impossible de concurrencer loyalement. C'est pourquoi le soutien gouvernemental est au coeur de tous les accords de libre-échange entre les pays.
Parmi les situations où des subventions aux entreprises peuvent être acceptables, mentionnons le cas des industries naissantes, des secteurs nouveaux ou des régions en redéveloppement. On pourrait justifier des subventions pour des industries culturelles menacées, encore qu'il s'agisse davantage d'un choix politique.
Dans de tels cas, les subventions devraient être temporaires et progressivement retirées lorsque l'objectif est atteint. En effet, l'argent ainsi récupéré peut être économiquement plus rentable s'il est injecté dans les routes, l'éducation ou d'autres secteurs en développement ou encore, plus simplement, s'il est retourné aux contribuables, qui en disposent à leur guise.
L'informatique n'est plus un secteur nouveau. Les entreprises s'arrachent les 120 000 employés qualifiés au Québec et les paient honorablement. Selon Statistique Canada, le taux de chômage était de 3,3% dans le secteur des technologies de l'information et des communications au Québec en 2012, bien moins que la moyenne.
CGI et IBM ne sont pas des PME. CGI compte aujourd'hui près de 70 000 employés et ses revenus annualisés avoisinent les 10 milliards de dollars. IBM compte quelque 300 000 employés et son chiffre d'affaires dépasse les 100 milliards US.
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Bien sûr, la réalité économique est différente de la théorie. Et les États choisissent, stratégiquement, d'appuyer certains secteurs porteurs pour concurrencer les pays étrangers. Parfois, les subventions servent simplement à concurrencer des pays où les salaires sont nettement plus faibles, comme c'est le cas en Inde dans le secteur informatique.
Combien de temps faut-il le faire?
Le ministère des Finances justifie le programme CDAE en disant "qu'il aide ainsi des entreprises spécialisées qui exercent des activités innovantes à forte valeur ajoutée ».
Une étude d'une firme externe estime que les retombées fiscales sont de 253 millions pour Québec et Ottawa, à peine plus que les coûts de la mesure.
C'est aussi le discours de CGI. « Le programme CDAE est important pour maintenir et créer de l'emploi au Québec. Dans notre domaine, l'emploi circule partout à travers le monde, que ce soit en Inde ou aux Philippines. Le programme nous aide à attirer au Québec des clients qui ne viendraient pas ici autrement. Le Québec est maintenant un pôle mondial dans le secteur des technologies de l'information », nous explique Claude Marcoux, chef des activités canadiennes de CGI.
En 2025, au terme du programme, le secteur informatique aura été appuyé pendant presque 30 ans et aura reçu plusieurs milliards de dollars du gouvernement du Québec. Est-ce que le soutien aura été suffisant?
Il aurait été pertinent d'en débattre publiquement, mais trop tard: depuis jeudi, la mesure est en vigueur.


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