(Montréal) Vous pensez que nos règles de confinement sont sévères ? Que la « fermeture » de certaines régions du Québec est exagérée ? Attendez de lire le récit de l’homme d’affaires Michel Picard, établi depuis 13 ans en Chine, où est apparu le damné virus.
Le Québécois actif dans l’exportation, qui vit dans la province de Shandong, a dû se plier aux règles extrêmement contraignantes de la Chine ces derniers mois. Et ces mesures se sont avérées ultra-efficaces, si l’on se fie aux chiffres tirés du site web de la Johns Hopkins University & Medecine.
La province d’accueil de Michel Picard, qui compte 98 millions d’habitants, a traversé la crise en deux mois en ne déplorant que 7 morts, si l’on en croit les chiffres officiels, alors que le Québec, et ses 8,5 millions d’habitants, en est à 36 morts après trois semaines.
Aujourd’hui, c’est le retour à une certaine normalité à Shandong, peut-on dire. Le récit de Michel Picard, avec ses yeux de Québécois, est donc riche en enseignement.
Immunité de masse ou non ?
Avant d’énoncer les mesures, voici ce que je suis tenté d’en déduire : l’allongement de la fameuse courbe pour ménager le système de santé – et qui suppose une éventuelle immunité de masse – n’a pas été la principale arme des Chinois. En Chine, c’est carrément le gel presque complet de la propagation, grâce à une prévention maniaque, qui semble avoir été privilégié, plutôt que l’étalement de la maladie dans le temps. Et le retour est fait aussi avec parcimonie.
Ainsi, Michel Picard raconte que lorsque la crise a pris de l’ampleur dans le Hubei – première et principale province frappée par le virus –, le gouvernement central a rapidement imposé un blocus total vers les autres provinces.
« Il était très difficile de se déplacer d’une ville à une autre. Si on le faisait, on devait suivre une quatorzaine en arrivant dans cette ville, et la même chose au retour dans la ville où l’on habite », me raconte-t-il dans un échange de courriels étalé sur trois jours.
En plus des exigences du gouvernement central, les provinces et les villes avaient leurs propres règles, que les habitants étaient contraints de suivre. Dans la ville de Qingdao, où habite M. Picard, les résidants devaient porter un masque à chaque sortie (pas un N95, un masque de base). Et quand une personne devait se rendre dans un lieu public, une équipe sur place prenait automatiquement sa température pour vérifier si elle ne présentait pas de risques.
De plus, les autorités ont contrôlé les allées et venues de tous, question de pouvoir déterminer qui avait possiblement contracté le virus et d’exiger un confinement.
« Une application logicielle fut installée et partout où l’on allait, il fallait scanner une image qui leur donnait toute l’information nous concernant : numéro de téléphone – qui est lié au numéro de passeport –, heure à laquelle on entrait dans le lieu, et même quelle rame de métro on utilisait.
« Un cas était rapporté à 13 h sur la ligne de métro 2, on rejoignait tous les passagers qui y avaient été présents pour leur dire de rester à la maison et pour leur faire passer le test de dépistage », explique-t-il.
Dans son secteur d’habitation, personne d’autre que les résidants n’était admis. « Une équipe en permanence nous reçoit, vérifie que l’on est bien résidant et prend notre température. Si elle dépasse 37,3, ils contactent les autorités, qui nous prendront en charge », écrit-il.
La prison pour les récalcitrants
Les Chinois sont solidaires, mais ils sont surtout habitués à cette gestion centrale des événements. Et il faut dire que le non-respect des consignes peut être lourd de conséquences : « la loi chinoise prévoit des peines d’emprisonnement variant d’un an à sept ans pour toute personne qui, en connaissance de cause, pourrait propager le virus ».
Il y a quelques jours, les mesures ont été levées dans son secteur d’habitation, mais la prise de température est encore de mise. Le port du masque n’est plus obligatoire pour les déplacements extérieurs, mais la plupart continuent de le porter.
« Le retour à la normale se passe bien, pour les expats en tout cas, les Chinois continuent de craindre une contamination. On a encore des contrôles un peu partout, mais au moins les bars, restaurants et centres d’achat sont rouverts. Je vous écris d’ailleurs du Starbucks du coin, en profitant d’un café », explique Michel Picard.
Selon l’homme d’affaires, le gouvernement a avancé beaucoup d’argent, mais les faillites d’entreprises seront nombreuses.
Michel Picard estime que ces mesures qui restreignent beaucoup les droits et libertés individuelles sont impensables au Québec ou en Occident. « Bien sûr, ça se fait au détriment de la liberté, mais bon, on s’en parlera dans quelques semaines lorsque les morts s’accumuleront au Québec. Moi, la liberté d’expression, je m’en balance un peu tant et aussi longtemps que je suis en sécurité », dit l’entrepreneur, qui craint que les problèmes empirent au Québec.
Ce que j’en pense ? Nos mesures sont certes moins contraignantes qu’en Chine, mais les gestes du Québec, comme la fermeture des services non essentiels et la restriction des allées et venues en région, sont parmi les plus sévères en Amérique. Et la liberté, quoi qu’on dise, est une valeur fondamentale, qu’on recommencera à chérir après la crise.
Livraison de masques au Québec
Par ailleurs, Michel Picard est bien au courant des pénuries d’équipements de protection au Québec, et il juge aberrant que des premiers répondants ne portent pas de masques. Justement, il prépare une petite livraison de 50 000 masques vers le Québec lundi prochain et en prévoit davantage pour la suite.
« Il n’est pas question de livrer par bateau. Comme les compagnies aériennes ont suspendu leurs liaisons avec la Chine, il est difficile et très dispendieux d’expédier par avion, ça vient beaucoup influencer le prix. Je suis à négocier un contrat de 1 million de masques, et je songe présentement à noliser un avion pour être en mesure de livrer dans un délai raisonnable. Beaucoup de logistique, croyez-moi. »
Mardi, à la conférence quotidienne, le premier ministre François Legault a justement évoqué l’envoi d’avions-cargos en Asie pour aller chercher le matériel. À suivre…