Les Albertains ont en horreur la péréquation, à laquelle ils attribuent tous leurs problèmes. Le Oui devrait donc l’emporter aisément au référendum de l’automne prochain, comme le souhaite le premier ministre Jason Kenney.
Un référendum ? Eh bien oui, le gouvernement albertain demandera aux électeurs s’ils veulent se débarrasser de la péréquation. La question référendaire, proposée lundi à l’Assemblée législative, sera ajoutée aux bulletins de vote des élections municipales d’octobre.
Son libellé : « L’article 36(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 – l’engagement du Parlement et du gouvernement du Canada envers le principe des paiements de péréquation – devrait-il être retiré de la Constitution ? »
La péréquation, faut-il rappeler, est un mécanisme qui permet aux provinces qui ont une moins grande capacité fiscale que la moyenne canadienne, vu leur moins grande richesse, de recevoir des fonds du fédéral en compensation.
Aussi sérieux qu’il paraisse, ce référendum de Jason Kenney est inutile, en pratique, pour deux raisons.
D’abord, un Oui ne changerait rien au fonctionnement de la péréquation, qui est administrée par le gouvernement fédéral. Pour que le programme soit radié, il faudrait rouvrir la Constitution, avec l’approbation des provinces, ce que les politiciens redoutent.
Pas un sou de plus
Ensuite, même si la péréquation était abolie, l’Alberta n’aurait pas un sou de plus pour régler ses problèmes financiers.
Pourquoi ? Parce que l’argent de la péréquation ne vient pas des coffres des gouvernements provinciaux, mais des contribuables de partout au Canada. En Alberta, ce sont donc les Albertains qui, par leurs impôts fédéraux payés à Ottawa, contribuent à cette péréquation.
En outre, la simple abolition de la péréquation ne mettrait pas davantage d’argent dans les poches des contribuables albertains, puisque c’est le fédéral qui décide de l’utilisation des impôts perçus. Pour que l’Alberta ou les Albertains aient plus d’argent pour régler leurs problèmes, il faudrait que le fédéral réduise les impôts (mais alors de tous les Canadiens) ou encore qu’il envoie directement un chèque au gouvernement d’Edmonton.
Ce référendum est donc justifié par bien d’autres raisons, avant tout politiques.
La cote de Jason Kenney, chef du Parti conservateur uni, est la plus faible des premiers ministres provinciaux. Seulement 31 % des Albertains approuvent ses décisions, contre 66 % dans le cas de François Legault, selon un sondage Angus Reid.
https://angusreid.org/premier-approval-june2021/
Il faut dire que Jason Kenney a très mal géré les deuxième et troisième vagues de la pandémie. L’Alberta est la province qui a eu le plus d’hospitalisations durant cette période, toute proportion gardée. Et elle est la moins vaccinée des grandes provinces (58 %), selon un relevé de la Banque Nationale.
En début de semaine, Jason Kenney a même été critiqué par deux de ses ministres pour ne pas avoir respecté les directives de santé publique lors d’un repas sur une terrasse. C’est sans compter que le gouvernement albertain a perdu une fortune avec le projet de pipeline Keystone XL, qui vient d’être abandonné.
Avec son référendum, Jason Kenney cherche à rallier les électeurs. Les Albertains sont frustrés de voir certaines provinces, le Québec en particulier, toucher les paiements de péréquation du fédéral, pendant qu’eux n’y ont pas droit alors que la crise économique sévit dans leur province.
L’argumentaire est toutefois bancal. Pourquoi n’y ont-ils pas droit ? Eh bien, parce qu’ils sont encore trop riches ! Les Albertains gagnent plus que n’importe qui au Canada (et 16 % de plus qu’au Québec), selon Statistique Canada.
Et pourquoi sont-ils trop riches ? Parce que leur territoire regorge de gisements pétroliers, ce qui leur a permis d’éliminer leur dette, de s’offrir de juteuses baisses d’impôts et de se payer de grosses voitures… tout en étant insouciants face à leur avenir financier.
Mais voilà, la chute des prix du pétrole et les problèmes d’accès aux marchés ont fait dégringoler les redevances pétrolières, plongé l’économie dans une sévère récession et fait exploser le déficit. La pandémie est venue exacerber le problème.
Cette année, l’Alberta aura donc un déficit de 18,2 milliards, ce qui équivaut à 5,5 % de son produit intérieur brut (PIB). En comparaison, le déficit de l’Ontario (33,1 milliards) équivaut à 3,7 % de son PIB et celui du Québec (9,2 milliards avant le versement au Fonds des générations), à 2,6 % de son PIB, selon un relevé de Valeurs mobilières Banque Laurentienne.
Les Albertains voudraient punir les Québécois pour leur refus de laisser transiter leur pétrole sur notre territoire via un pipeline. Ils voudraient les punir pour le bouleversement du contexte pétrolier mondial, avec le réchauffement climatique, bouleversement dont les Québécois ne sont pourtant pas responsables.
Cette amertume tombe à un moment où, justement, la progression économique du Québec est en train d’inverser la tendance des paiements de péréquation. Cette année, le Québec a touché 13,3 milliards en péréquation, soit 64 % des paiements fédéraux de péréquation, ce que la plupart des Québécois jugent beaucoup trop.
Or, la bonne tenue de l’économie du Québec, qui augmente notre capacité fiscale, fera reculer cette part à 53 % d’ici cinq ans. Et qui sait, si l’Alberta continue de s’enfoncer, c’est elle peut-être qui finira par profiter du programme, dans quelques années.
Péréquation
Non, l’Alberta se trompe de cible avec la péréquation. Pour régler les problèmes, les politiciens albertains devraient rapidement faire transiter l’économie vers d’autres secteurs plus porteurs que le pétrole. Et ils devraient avoir le courage d’imposer aux Albertains ce que tous les autres politiciens ont imposé au Canada, soit des hausses d’impôts.
Si l’Alberta imposait ses contribuables comme au Québec, elle irait chercher environ 19,5 milliards de dollars de recettes fiscales (la moitié avec une taxe de vente), soit plus qu’il n’en faut pour effacer son déficit.
https://www.alberta.ca/alberta-tax-advantage.aspx