Le Québec divisé

Chronique de Patrice Boileau


Jean Charest est inquiet à l'idée de voir les Québécois vivre un troisième référendum sur la souveraineté en 2008, année même du 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec. Le chef du Parti libéral croit que cette consultation populaire divisera la population et ternira donc la célébration qui se tiendra dans la Capitale nationale.
Que le premier ministre se rassure : les Québécois sont déjà partagés, particulièrement depuis l'enquête du juge Gomery sur le scandale des commandites. Tout déboule depuis les révélations entendues durant l'investigation. Maintenant qu'il est clair que le résultat du référendum de 1995 n'est pas le bon, une large portion de la société civile québécoise a manifesté son dégoût envers les institutions politiques canadiennes. L'an dernier, l'option souverainiste a alors allègrement franchi la barre des 50%.
La formation d'un gouvernement conservateur à Ottawa en janvier dernier, porté par la promesse solennelle que Stephen Harper a faite à Québec le 19 décembre 2005, a certes depuis ragaillardi quelque peu les appuis au camp fédéraliste. Sauf que les événements des dernières semaines révèlent que l'engagement du leader du PC ne se réalisera pas ! Essentiellement, sauf pour quelques ententes administratives inoffensives, le statu quo est maintenu, le même qui fut imposé par l'ancienne administration libérale.
Parlant du PLC, disons que les derniers jours de leur congrès à la direction sont très révélateurs pour les Québécois. L'idée de Michael Ignatieff de reconnaître la nation québécoise et de l'enchâsser dans la Constitution de 1982 est dénoncée de toute part. D'abord, ce fut ses adversaires de la course à la succession de Paul Martin qui ont condamné son projet. Puis, les membres du parti et les éditorialistes des principaux quotidiens canadians. Finalement, la population du ROC, à la lumière des résultats d'un sondage divulgué par la maison Léger Marketing le 11 novembre dernier. Le Canada anglais préfère coiffer les Métis et les autochtones du titre de nation plutôt que les Québécois et les Acadiens. Il n'y a rien de nouveau là-dedans : la population québécoise en est informée depuis 1760...
Jean Charest a avoué ne pas avoir été froissé par le verdict brutal des Canadiens. Le premier ministre du Québec s'est plutôt empressé de souligner les « progrès » que sa province a réalisés au Canada sous sa gouverne, pour calmer le jeu. Sa diversion ne marche pas. L'asymétrie qu'il dit avoir façonnée avec Ottawa depuis son arrivée au pouvoir en 2003 -- ce qu'il considère être son chef d'œuvre -- n'est qu'une vulgaire coquille vide à laquelle croient uniquement les membres de son gouvernement. Aucune autre province n'en a voulu, lors de « l'entente » avec Ottawa sur le financement du système des soins de santé : elles n'y ont vu aucun intérêt à s'en prévaloir puisqu'elle ne conférait aucune autonomie avantageuse dans leur gestion des subsides fédéraux. Celles-ci n'ont pas rouspété non plus dans le dossier de l'UNESCO : le Québec n'y a obtenu que des « faveurs cosmétiques », sans danger pour l'unité canadienne.
Il en fut tout autrement lorsque Claude Béchard, ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, a imploré son homologue fédérale Rona Ambrose afin d'obtenir 45 secondes d'asymétrie à Nairobi, au Kenya. Son humiliante insistance n'a pas fait broncher la ministre conservateur : le Canada doit parler d'une seule voix dans les dossiers qui comptent sur la scène internationale, comme à la conférence onusienne sur les changements climatiques. Ainsi, le « fédéralisme asymétrique » de Jean Charest ne dérange pas au Canada, en autant qu'il n'affuble pas le Québec d'une quelconque autonomie au sein de la fédération, ne serait-ce qu'une minute... Imaginez une éternité!
Le premier ministre du Québec n'est pas plus affecté par le fait que le gouvernement canadien ait dévoilé aux Québécois que le concept d'asymétrie n'est qu'un mirage qui vise à les endormir. Jean Charest n'y voit là qu'un simple différend, pareil aux autres... qui affaiblissent le Québec. Rien ne semble vouloir ébranler le dogme fédéraliste de cet homme, prêt à sacrifier les valeurs des gens qu'il représente pour le maintenir en place.
Cette démission du chef du Parti libéral, comme celle qu'il affiche face à l'humiliation que subit présentement sa nation que les Canadiens veulent ignorer, explique le fort taux d'insatisfaction que son administration recueille auprès de la population. Son absence de leadership et de dignité choque les Québécois. Bien peu d'entre eux veulent le suivre et ramper avec lui dans sa triste aventure provinciale.
Jean Charest affirme qu'un référendum en 2008 brouillera les Québécois, alors en pleine célébration du 400e anniversaire de la ville de Québec. Qu'il se console : ceux-ci le sont déjà grâce à lui, perplexes devant le naufrage que vit le gouvernement le plus fédéraliste de l'histoire du Québec. Même s'il n'est animé d'aucune revendication constitutionnelle face à Ottawa pour bien démontrer son extrême docilité, son partenaire canadien, pour le remercier, lui en donne encore moins.
À ce compte, vaut mieux débattre au sujet d'un projet constructif qui suscite l'espoir et l'enthousiasme, plutôt qu'autour de l'épitaphe à graver sur la pierre tombale que représente le sombre projet de société du gouvernement Charest. Samuel de Champlain n'a sans doute jamais rêvé d'un scénario aussi extraordinaire pour le poste qu'il a fondé en 1608, soit celui d'offrir le plus beau des cadeaux à Québec pour son 400e anniversaire: la liberté.


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    15 novembre 2006

    Étienne Brûlé, vous connaissez?
    C'était l'un des hommes de Champlain.
    Il avait appris avec facilité le Montagnais, puis d'autres langages iroquoiens.
    Quand les Hurons proposèrent un échange culturel pour apprendre les coutumes des Blancs,
    Champlain put en ramener quelques uns en France, tandis que Étienne Brûlé fut volontaire
    pour accompagner les Hurons dans leur territoire des Grands Lacs.
    Il s'était adapté à leur mode de vie, puis changea de nationalité comme c'était permis
    dans les coutumes indigènes. Il avait renoncé à sa francité.
    Ce fut avant l'alliance formelle entre la nation huronne et la nation française.
    Les Hurons païens jugèrent que les Français étaient chiches au plan commercial.
    Ils complotèrent pour une alliance avec d'autres tribus et avec les colonies anglaises
    pour chasser Champlain de Québec. Les Anglais offraient de meilleurs termes commerciaux.
    Étienne Brûlé fut envoyé en embassade pour négocier l'alliance avec les Anglais.
    Puis, la flotte des frères Kirk prit Québec en 1628 qui devint un poste anglais jusqu'en 1632.
    pour quelques années. Juste assez longtemps pour que les Hurons réalisent la mauvaise idée d'un
    monopole commercial attribué à l'Angleterre. Quand les Français sont revenus à Québec, le revirement
    les poussa à une plus forte alliance, à faire venir les jésuites en Huronnie et accepter la
    christianisation. Étienne Brûlé fut une gêne pour eux. Ils en firent un sacrifice expiatoire en
    le tuant et en mangeant ses organes. Étienne Brûlé est un héros canadien avec parc et école à son nom
    à Toronto. Une petite rue à son nom dans Ahuntsic.
    Célébrerons-nous le 400e de la libération de Québec le 29 mars 2032?