Le Québec dans le rouge de 5,8 milliards

Charest en fin de régime - L'art de ne rien faire

Québec -- Malgré la Loi sur l'équilibre budgétaire adoptée en 1996, les finances du Québec se sont enfoncées dans le rouge de 5,8 milliards de dollars. C'est le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, qui arrive à cette conclusion après avoir évalué l'état de la situation par le prisme des «principes comptables généralement reconnus» (PCGR), adoptés par le gouvernement Charest cet automne. Ceux-ci agrandissent le périmètre comptable du Québec pour y inclure notamment les déficits des hôpitaux.
Le vérificateur avait reçu le 21 mai dernier le mandat de la part de l'opposition (contre l'avis du gouvernement minoritaire) d'établir, dans un rapport spécial, le «solde budgétaire réel» au 31 mars 2007. Celui-ci a été déposé hier matin et les réactions ont été immédiates.
La ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a soutenu que le VG avait confirmé «que les états financiers du gouvernement sont équilibrés». Pour 2006-07, le solde budgétaire de 109 millions «donne une image fidèle de l'atteinte de l'équilibre budgétaire évalué aux fins de la loi», écrit M. Lachance. Mais le «déficit cumulé» s'était constitué avant, et c'est celui qui fait débat.
Selon Mme Jérôme-Forget, les nouveaux PCGR ne font que refléter différemment une réalité qui n'a pas foncièrement changé: «Les chiffres étaient connus. Les gens [des maisons de cotations], les Moody's, [...] quand ils ont haussé à deux reprises la cote de crédit du gouvernement, ils étaient au courant des chiffres.»
Elle a aussi insisté sur le fait que le «déficit cumulé» n'était pas uniquement le fait de son gouvernement, mais aussi celui du PQ, au pouvoir lors de la dernière révision des normes comptables, en 1998. «Le solde se répartit comme suit, a reconnu la ministre: 2 568 000 000 $ au Parti québécois et 3 188 000 000 $ au Parti libéral du Québec.»
Une partie de ces montants sont aussi dus à une «erreur d'estimation du gouvernement fédéral», qui avait versé trop d'argent à l'État québécois en 2002, a expliqué Mme Jérôme-Forget. Somme que le gouvernement libéral, au début de son premier mandat, s'est engagé auprès d'Ottawa à rembourser sur une décennie, à coup de 300 millions par année.
Selon le sous-ministre en titre aux Finances, Jean Houde, la dette du Québec au cours des dernières années a augmenté essentiellement pour des immobilisations. Celle utilisée «pour financer ce qu'on appelle l'épicerie [...] n'a pas beaucoup augmenté», a-t-il soutenu.
La réforme comptable de 1998 s'était soldée par un transfert de 15 milliards à la dette, a souligné Mme Jérôme-Forget. Au reste, elle a plaidé pour l'adoption cet automne du projet de loi 85 par l'Assemblée nationale. Celui-ci permet à Québec de constituer une réserve avec les «excédents» d'Hydro-Québec afin d'éviter un déficit. Grâce à «85», le gouvernement pourrait «encourir un déficit jusqu'à concurrence de l'excédent cumulé» et utiliser la réserve de stabilisation pour «verser des sommes au Fonds des générations». Enfin, le projet de loi prévoit que «l'excédent cumulé est établi à zéro au 1er avril 2006 et il précise le montant de la réserve de stabilisation au 31 mars 2007».
Une convertie
Pendant la campagne électorale de 2007, Mme Jérôme-Forget s'était révélée hostile à l'application des PCGR. Elle souligna au crayon gras un «effet pervers» de ces règles définies par l'Institut canadien des comptables agréés pour le secteur public. En incluant tous les déficits des hôpitaux et des universités dans le périmètre comptable de l'État, «cela voudrait dire qu'un établissement qui est irresponsable et n'entrerait pas dans son budget n'aurait aucune pénalité et serait intégré à l'intérieur des sommes gouvernementales», avait-elle dit. Elle considérait qu'on ne pouvait «ignorer année après année un établissement qui ferait des déficits impunément».
Mais comme elle l'a rappelé hier, elle a, depuis l'élection du gouvernement minoritaire, «viré complètement»: «Je me suis dit: à partir du moment où ça va apparaître dans mon déficit, je vais m'en occuper moi-même, personnellement.» L'autre avantage de ces nouvelles règles comptables est de pouvoir plus facilement comparer les finances publiques du Québec avec celles des autres provinces, qui utilisent les mêmes PCGR.
Sacoche
L'opposition péquiste a vertement dénoncé le gouvernement: «Ce qui est clair, c'est que la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a essayé de cacher des déficits et elle s'est fait prendre la main dans la sacoche», a pesté le critique péquiste en matière de finances, François Legault. À ses yeux, le Québec se retrouve «en déficit structurel» de 1,3 milliard. «La ministre des Finances est en train de dépenser avec la carte de crédit de nos enfants et il y a un problème grave d'équité entre les générations», a-t-il dit.
La ministre Jérôme-Forget a rejeté cette interprétation de son «adversaire et ami François Legault» en ces termes: «Cela est faux, totalement faux, archifaux.» Elle soutient avoir prévu la baisse d'impôt de 950 millions de dollars en constituant une réserve de 1,9 milliard de dollars. De cette réserve, elle a soutiré 580 millions pour l'ajouter au Fonds des générations. «Le reste, 1,3 milliard, je l'ai attribué aux deux années 2008-09, 2009-10», a-t-elle précisé, estimant que c'était là la démarche d'une «mère économe» ou d'une «bonne mère de famille».
M. Legault a aussi réitéré son refus d'adopter le projet de loi 85. Il y voit une façon de «forcer par magie un surplus de 1,4 milliard alors qu'il y a un déficit de 4,4 milliards».
Le critique adéquiste Gilles Taillon s'est montré plus conciliant que son collègue du deuxième groupe d'opposition. D'abord, il voit dans l'adoption des PCGR une victoire de l'ADQ: «Il faut admettre que la ministre des Finances s'est rangée à notre argumentaire.» M. Taillon a aussi rappelé que l'ADQ allait appuyer le projet de loi 85, moyennant un amendement selon lequel les comptes publics seraient déposés sept jours à l'avance et passés au crible par le Vérificateur général. Ainsi, il serait plus facile de s'assurer qu'il y a bien «déficit zéro».
François Legault a rétorqué que cet appui de l'ADQ à une «manigance du gouvernement» était «surprenant» et contrastait fortement «avec tous les beaux discours qu'on a entendus depuis 13 ans de la part de Mario Dumont, qui se préoccupait du déficit et de la dette». Et il a ajouté: «Je pense qu'il vient de perdre aujourd'hui le peu de crédibilité qui lui restait.»


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