Enquête sur la burqa

Le Québec a-t-il trouvé la réponse au niqab?

Accommodements ou Intégrisme - ailleurs dans le monde

Une manifestante portant le niqab participe à Tours à une marche de protestation contre l’intention du gouvernement Sarkozy d’interdire la burqa en France.
Photo : Agence France-Presse Alain Jocard

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La question du niqab au Québec soulève, ailleurs au Canada, des réactions si opposées que d'aucuns y voient un retour des «deux solitudes», trait présumément distinctif du pays. L'idée du président Sarkozy d'interdire la burqa en France suscitait, en Grande-Bretagne, des sarcasmes reflétant plutôt une conception différente de la liberté. Mais ailleurs, une variété d'opinions porte aussi à penser que le Québec, si unanime qu'il paraisse, n'a pas encore trouvé la lumière.
Le niqab n'est pas la burqa: celle-ci cache les yeux, celui-là les met en évidence. Mais les commentaires qui ont accueilli la burqa honnie en République française peuvent-ils aider à comprendre le sort du niqab en terre québécoise?
Dans le Telegraph de Londres, une journaliste, Cassandra Jardine, imagine Élisabeth II annonçant à Westminster que son gouvernement «a décidé d'interdire la burqa. Elle n'est pas la bienvenue en Grande-Bretagne. Dans notre pays, nous ne pouvons pas accepter que les femmes soient prisonnières derrière un grillage». Pareil discours du trône aurait été accueilli, dit-on, par un «silence étourdissant», alors qu'outre-Manche le propos de Nicolas Sarkozy a recueilli «des applaudissements».
Et la journaliste du Telegraph de citer le Muslim News, un magazine publié en Grande-Bretagne: «En France, les musulmans vivent dans des ghettos et comptent deux fois plus de chômeurs que le reste de la population, écrit Ahmed Versi, le rédacteur en chef. Un grand nombre de Françaises, ajoute-t-il, viennent faire leurs études au Royaume-Uni parce qu'elles veulent pouvoir porter le foulard pendant les cours.»
D'autres commentateurs n'ont pas manqué de rappeler le mot de Barack Obama à son discours du Caire: «Il est important que les pays occidentaux évitent d'entraver les musulmans dans leur pratique religieuse telle qu'ils la trouvent appropriée, par exemple en dictant quels vêtements une femme musulmane devrait porter.» De passage en Normandie, le président américain a réitéré ce propos. «Aux États-Unis, a-t-il dit, nous avons pour principe de ne pas dire aux gens ce qu'ils doivent porter.»
Ailleurs dans le monde
En Espagne, au contraire, Pilar Rahola donne raison, dans La Vanguardia, à Nicolas Sarkozy. La burqa, écrit-elle, est une «abjection», révélatrice d'une «misogynie pathologique», qui soumet la femme à un «apartheid physique, social et visuel». C'est «la métaphore la plus claire de l'esclavage». Son collègue d'ABC à Madrid, Gabriel Albiac, cite avec approbation le mot du président français: «La burqa n'est pas un signe religieux, c'est un signe d'asservissement.»
Dans Le Quotidien d'Oran, Akram Belkaïd estime, lui, que les Français ont le droit de dire que la burqa leur déplaît. Il regrette que les communautés musulmanes de France soient stigmatisées pour un vêtement qu'ils n'ont jamais tenu pour un article de leur foi ou de leur culture. Mais c'est là, à son avis, une belle occasion de faire oublier les problèmes, les scandales et, dit-il, une «corruption galopante à tous les étages de la République».
Dans ce même panorama de Courrier international, Olfa Youssef, une universitaire versée dans la pensée islamique, portait l'été dernier le débat à un autre niveau. La burqa n'est, à son avis, qu'exhibitionnisme religieux. «Car, écrit-elle, un être humain qui croit en profondeur n'a pas besoin de multiplier les signes de sa croyance.» Faisant appel à la psychanalyse, elle ajoute qu'«à chaque excès de signes équivaut un vide si profond qu'on ne peut le combler».
Qu'auront gagné les musulmans à introduire le voile dans les écoles, les universités et jusque dans les parlements, écrit Abdul Mohsen Al-Jomah dans Al-Jarida du Koweït, s'ils n'ont pas de projet de civilisation à offrir au monde? Ce dernier argument ne tranche pas le problème du vêtement religieux. Mais il pose une question qui n'est pas sans résonance ailleurs qu'en Europe.
En juillet dernier, le Washington Post invitait des personnalités à commenter l'idée du président Sarkozy. Plus d'une cinquantaine de personnes ont répondu, y compris plusieurs femmes. Susan Brooks Thistlethwaite enseigne au Chicago Theological Seminary. Pour elle, la burqa est la bienvenue en Amérique autant que la croix qu'elle porte ou son collet clérical. C'est là un moyen pour une société de «cultiver l'acceptation de confessions différentes».
Pamela K. Taylor fait partie de Muslims for Progressive Values. Elle en a contre la prétention des hommes de dicter aux femmes de couvrir leur corps «d'un sombre vêtement» ou... «de cosmétiques cancérigènes». «S'il faut critiquer la burqa qui dénigrerait les femmes, alors nous devons aussi critiquer une culture où la recherche incessante de la beauté a mené à une épidémie d'anorexie, de chirurgie esthétique, et à des milliards gaspillés en maquillages, en teintures et en modes débilitantes.»
Lisa Miller est senior editor au magazine Newsweek. Des Américaines aiment s'habiller de vêtements osés, que des féministes pourraient tenir pour le signe d'une piètre estime de soi et la perpétuation de l'inégalité des femmes. «Pourtant, dit-elle, nous ne faisons pas de loi contre leur choix.» Des modèles — comme l'épouse de Sarkozy — posent dans des magazines qui étalent des corps «inhumainement» minces ou sans imperfection. Et pourtant, poursuit Miller, «nul ne voudrait d'une loi pour interdire ces modèles à peine habillés», même au motif «qu'ils dégradent les femmes en exaltant un exemple complètement inatteignable».
Bref, qui est esclave: la femme qui devrait renoncer au voile de modestie, ou celle qui ne peut quitter le masque de beauté? Laquelle se cache sur la place publique? Une enquête même multiculturelle aurait du mal à le dire...
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redaction@ledevoir.com
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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