Au bout du fil, la relationniste de presse de la maison d'édition de Neil Bissoondath s'excuse par anticipation. " Je peux lui demander s'il veut vous accorder une entrevue, mais il ne veut plus parler de multiculturalisme. Il en a assez. " Dix minutes plus tard, elle rappelle. " Appelez-le demain à 11 h. Je suis assez surprise. "
Après la tempête qu'a causée en 1995 la publication de son essai Le Marché aux illusions, qui accusait le multiculturalisme canadien d'emprisonner les nouveaux arrivants dans leur culture d'origine, l'auteur, issu lui-même de l'immigration, s'était concentré sur l'écriture de romans, pour lesquels il a reçu de nombreux prix littéraires.
Mais le débat sur l'accommodement raisonnable au Québec l'a poussé à sortir du mutisme qu'il s'était imposé sur la question de la diversité.
Il y a 10 ans, le romancier originaire de Trinidad a été l'un des premiers à recommander au Canada de fournir aux nouveaux arrivants la liste des règles qui régissent la société. Des règles basées sur des valeurs communes auxquelles les néo-Canadiens seraient invités à souscrire. Des balises qui permettraient aux immigrés de trouver leur place. Qui aideraient la société d'accueil à tracer une ligne claire quant aux demandes d'accommodements des minorités, à définir ce qui est raisonnable et ce qui ne l'est pas.
Mais, admet le romancier en riant, il était loin de penser à un code comme celui dont s'est muni la municipalité d'Hérouxville, basé, selon lui, sur " la peur et l'ignorance ".
" Au Québec en ce moment, le débat est intense. Il y a une frustration profonde qui s'exprime. Il faut laisser les gens s'exprimer. Mais quand le calme reviendra, on pourra parler sérieusement en se basant sur la réalité et choisir quel Québec nous voulons pour nos enfants ", croit Neil Bissoondath. Les politiciens, ajoutent-ils, doivent devenir les médiateurs dans ce grand remue-méninges.
Il n'est pas surpris que le débat sur le multiculturalisme et la place de la religion naisse d'abord au Québec plutôt qu'au Canada anglais. " Le Québec est plus avancé que le reste du Canada dans la définition de ses valeurs communes ", explique l'auteur de Tous ces mondes en elle.
" Au Canada anglais, les gens ont peur d'établir leurs limites ", souligne-t-il. Il a pu le constater lui-même. Quand il a immigré au Canada, en 1973, il s'est d'abord installé à Toronto. " Là-bas, on m'incitait à continuer à vivre comme si je n'avais jamais quitté mon pays d'origine ", se rappelle-t-il. Pour fuir ce vide identitaire, il a décidé de s'installer à Québec et d'y apprendre le français. Il enseigne la création littéraire à l'Université Laval et y écrit ses livres.
Vers un procès du multiculturalisme?
Son point de vue, jadis controversé, fait depuis peu des petits au Canada anglais. Dans un numéro spécial consacré au multiculturalisme canadien, l'an dernier, The Walrus Magazine, revue intellectuelle canadienne-anglaise, posait un regard acerbe sur le legs de la politique de diversité promue par Pierre Elliott Trudeau.
" Même si les visiteurs s'émerveillent souvent en voyant le mélange multiculturel dans nos rues, il est de plus en plus évident que la célèbre mosaïque canadienne se fracture et que les groupes ethniques pratiquent l'autoségrégation ", écrivait le magazine. À titre d'exemple, il rappelait que, en 1981, on ne comptait au Canada que six enclaves ethniques. En 2001, il y en avait 254.
C'est précisément cette peur de la ségrégation qui avait nourri l'essai controversé de Neil Bissoondath en 1995. " Je suis un peu découragé de voir que j'avais un peu raison. " Il y a un petit sourire au bout du fil téléphonique.
Entretien avec l'écrivain Neil Bissoondath
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