Des limites de l'accommodement raisonnable

Accommodements - au Canada...



La Cour suprême consacre l'intégrité des systèmes communs
Dans son jugement du 24 juillet dernier, la Cour suprême a établi que l'intégrité des systèmes communs au pays a primauté sur les exemptions ou restrictions recherchées par une communauté particulière invoquant la liberté de religion. Certes, la Cour a rappelé que ces demandes «s'apprécient au cas par cas». Elle n'en a pas moins affirmé des principes d'ensemble, qui ont et auront valeur de références.
Ce jugement fait varier la doctrine découlant de précédents jugements de la Cour. Il intéresse tous ceux qui cherchent à conjuguer le respect de la diversité et la citoyenneté commune, la solidarité avec des communautés disposant de valeurs particulières et la nécessité de pratiques et de normes partagées par tous et toutes.
La primauté du bien commun
Le premier de ces principes concerne la primauté de biens communs créant des obligations de nature générale. Dans le cas soumis à la Cour, il s'agissait de l'obligation faite aux citoyens albertains désireux d'obtenir un permis de conduire de se faire photographier, de disposer d'un permis portant leur photo, d'alimenter une banque de données et un logiciel de reconnaissance faciale. Et pour les autorités, de disposer d'un système efficace et compatible avec ceux prévalant dans d'autres provinces canadiennes.
Arrêté en 2003, ce règlement vise à réduire au maximum les vols d'identité et, en conséquence, de limiter les cas de fraude qui en découlent. Le tout semble raisonnable et ne contrevenir en rien aux droits et libertés protégés par la Charte canadienne.
Cependant, des membres de la communauté huttérite de l'Alberta ont levé une objection d'ordre religieux, «le deuxième commandement» de l'Exode leur interdisant de se faire photographier volontairement. Bénéficiant d'un régime d'exception depuis 1974, les demandeurs contestent la décision du gouvernement albertain jugée, par elles, inconstitutionnelle, et réclament un régime d'exemption à la nouvelle règle d'application générale.
La plus haute cour de la fédération a infirmé un jugement de la Cour d'appel de l'Alberta, qui avait donné raison aux huttérites. Dans une décision serrée -- quatre juges contre trois --, elle a qualifié la décision du gouvernement albertain de «choix politique neutre et juridiquement fiable sur le plan rationnel» et ainsi affirmé la primauté du bien commun et des exigences qui en découlent, d'autant que les plaignants ont refusé toutes les mesures proposées par les autorités albertaines pour atténuer les effets de l'universalité de leur règlement, et ces mesures étaient substantielles. En clair, «la liberté de religion des membres ne l'emporte pas sur les bénéfices de l'universalisation de la photo obligatoire». Ces bénéfices découlent de motifs urgents et réels, susceptibles de justifier des restrictions aux droits, toute dérogation constituant un risque pour l'intégrité du système.
De la proportionnalité
Le second des principes affirmés par la cour concerne la mesure ou la pondération des effets bénéfiques du règlement en comparaison des effets créés par un régime d'exception. Dans le cas présent, cette pondération, selon la Cour suprême, est en faveur du nouveau règlement, ce dernier ne découlant pas d'un «stéréotype méprisant». De plus, «le système qu'il met en place ne prive pas les plaignants de faire un véritable choix relativement à leur pratique religieuse». Le système ne porte pas atteinte aux autres valeurs consacrées par la Charte.
Certes, le jugement porte sur le cas précis évoqué précédemment, et il serait imprudent de lui donner une extension virtuelle sans limites. Il comporte cependant des enseignements d'ensemble qui ont acquis une nouvelle autorité à la suite de la décision du 24 juillet.
Ces enseignements nous rappellent que nous ne sommes pas une mosaïque de communautés, sans plus, et qu'il faut des motifs raisonnables et puissants pour détacher des fragments de nos concitoyens des obligations universelles démocratiquement établies. Une preuve concluante doit être produite démontrant que les effets de régimes d'exception ou de restriction des obligations communes n'affectent en rien les équilibres longuement recherchés et produits pour assurer la cohésion sociale, l'égalité de tous et de toutes et un régime de justice qui, en apparence et en substance, ne souffre pas d'exception.
Enfin, la cause qui a donné lieu à ce jugement comporte un dernier enseignement de grande importance. Contrairement à ce qu'ont affirmé certaines dépêches, ce n'est pas la communauté huttérite dans son ensemble qui a contesté le règlement albertain mais bien un groupe limité et dissident de cette communauté. Il a été établi que la majorité des huttérites en Alberta ne se sont pas opposés à la loi commune et respectent ses exigences. Dans les débats concernant les accommodements raisonnables, il faut clairement identifier les demandeurs et ne pas prendre pour une exigence d'une communauté tout entière les requêtes de groupes dissidents et très minoritaires au sein de cette communauté.
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Jean-Louis Roy, Chercheur invité, Centre de recherche en droit public, Université de Montréal

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Jean-Louis Roy, Chercheur invité au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, secrétaire général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie de 1990 à 1998 et actuel président du conseil d'administration du Centre de la francophonie des Amériques.





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