Essor du multiculturalisme
Le multiculturalisme a été inventé par Pierre Elliott Trudeau en 1971. Quand la Commission Laurendeau-Dunton a remis son rapport sur le bilinguisme et le biculturalisme, après 6 ans de labeur, les 30 000 Doukhobors de l'Ouest, ainsi que d'autres groupes ethniques, ont protesté. Leur apport culturel au Canada était aussi important que celui des francophones.
Pour tenir compte de leurs revendications, Trudeau annonce la mise en oeuvre d'une politique de multiculturalisme à l'intérieur d'un cadre bilingue. Mais je l'imagine très bien aller prendre un verre de scotch avec Jean Chrétien, le soir après cette annonce:
Trudeau: Alors, Chrétien, que pensez-vous de cette idée de multiculturalisme ?
Chrétien: Ben, je trouve ça pas pire pantoute. Ça coûtera pas trop cher en plus. On va leur financer quelques soirées de danses folkloriques pis des drapeaux canadiens pis l'affaire va être ketchup.
Trudeau: Si si, bien sûr. Mais il faut voir plus loin. Je balance le multiculturalisme dans les gencives des séparatistes et ils seront furieux. Les Canadiens-français deviennent un groupe ethnique parmi d'autres. Mais le plus beau, c'est qu'il ne peuvent pas trop protester, sous peine de passer pour des xénophobes et des racistes.
L'idée fut trouvée excellente aussi dans d'autres pays, afin d'approcher les différentes communautés ethniques et favoriser leur intégration: la Grande-Bretagne, l'Australie, certains États américains, les Pays-Bas, l'Allemagne et plusieurs autres pays où, sans être la politique officielle, le multiculturalisme influençait les mesures gouvernementales.
Déclin du multiculturalisme
Arrive l'attentat du World Trade Center, la montée de l'intégrisme islamique, l'assassinat de Pim Fortuyn en 2002 et de Theo van Gogh en 2004 aux Pays-Bas, lesquels réalisent soudainement que 55 % de la jeune population d'Amsterdam est d'origine turque ou marocaine. Les Pays-Bas abandonnent officiellement leur politique de multiculturalisme.
En Grande-Bretagne, après les attentats coordonnés dans le métro qui firent 52 morts en 2005, le multiculturalisme est fortement critiqué. On réalise que ce sont quatre jeunes anglais qui se sont constitués "martyrs d'Allah" pour aller batifoler avec 72 vierges aux yeux sombres, quelque part dans le ciel. L'intégration a raté son coup et les valeurs britanniques n'ont pas pénétré le ghetto musulman d'où provenaient ces jeunes.
La grande majorité des musulmans qui ont émigré à l'Ouest sont pacifiques et veulent s'intégrer. Mais dans tous ces mêmes pays, il y a une frange de la jeunesse musulmane qui pense se revaloriser ou exprimer sa révolte en embrassant l'intégrisme islamique. Les populations d'origine deviennent de plus en plus nerveuses et impatientes sous la pression démographique. Les contrôles de l'immigration et les méthodes d'intégration peuvent être discutées sans se faire traiter de raciste. Le multiculturalisme perd des plumes.
Tout le monde a un quota
Devant l'enfant turbulent, certains parents interviennent au bout de deux minutes, d'autres au bout d'une demi-heure. La façon d'intervenir peut être douce ou forte, mais tout le monde a un quota de ce qu'il peut tolérer, et ce n'est pas le même pour tous.
Le procédé est plus complexe mais analogue en matière d'immigration et d'intégration des immigrants. Chaque pays a son quota, et il intervient de manière douce ou forte. Par exemple, à une extrémité du continuum, il y a l'Afghanistan où le quota est zéro et la manière, forte. L'article 3 de la constitution dit ceci: "In Afghanistan, no law can be contrary to the beliefs and provisions of the sacred religion of Islam". On a vu ce qui est arrivé à l'hurluberlu qui s'était converti au christianisme: il n'a sauvé sa tête que parce qu'on l'a déclaré fou, à la demande d'une coalition armée de 30 pays.
À l'autre extrémité du continuum, il y a la Californie où plus de 25 % des habitants sont nés en dehors des États-Unis. Les méthodes de contrôle de l'immigration et de la population immigrée semblent plutôt douces, mais il y a tout un débat sur cette question là-bas, un signe que la Californie s'approche de son quota.
Entre les deux, il y a le Canada où près de 20 % de la population est d'origine étrangère et les méthodes de contrôle plutôt tolérantes et dictées par la politique officielle du multiculturalisme. Les Pays-Bas sont aussi à 20 % de la population née à l'extérieur et viennent de rejeter le multiculturalisme. On voit bien qu'il n'y a pas que le facteur "tolérance" de la population d'origine, il y a aussi le facteur "adaptation" de la population immigrée. L'intégrisme musulman est beaucoup plus virulent aux Pays-Bas qu'au Canada. Les Pays-Bas ont atteint leur quota, et le Canada, pas encore.
Le multiculturalisme à toutes les sauces
Certains commentateurs conservateurs et néo-conservateurs ont fait du multiculturalisme leur bête noire. Pour eux, le multiculturalisme met sur le même pied les cultures issues des superstitions des peuplades animistes et la culture occidentale prônant l'État de droit et tout son bataclan démocratique. Avec un ennemi défini de cette façon, ils sont certains de gagner tous les débats sur la question.
Le multiculturalisme est un concept mou, polymorphe, à plusieurs usages. C'est l'huile WD-40 de la pensée politique moderne. Né comme une arme dans le combat contre les souverainistes québécois, le multiculturalisme a aussi eu pour but de calmer les tensions ethniques et de faciliter l'intégration des immigrants.
Il n'a parfois servi qu'à créer des ghettos culturels, faire reculer les droits des femmes immigrantes et autoriser de spectaculaires dérapages en matière de rectitude politique. On se souvient encore de cette juge qui avait accepté comme circonstance atténuante, dans une affaire de viol, le fait que les trois inculpés noirs considèrent comme normal le fait de prendre une femme de force, selon la culture de leur pays d'origine, disaient-ils.
Mais l'utilisation la plus tordue que j'aie vu, à date, c'est celle des néo-conservateurs et d'une certaine gauche impérialiste, celle qui approuve la guerre en Irak. Tout le monde s'entend qu'on préfère la démocratie, ici, en ce pays, avec son histoire et ses traditions. Pour ces propagandistes de la démocratie, le multiculturalisme et ses excès de rectitude politique leur sert de repoussoir pour fustiger le relativisme culturel et réaffirmer la supériorité intrinsèque de la culture occidentale, qu'il faut donc implanter ailleurs dans le monde, par les armes s'il le faut.
On est rendu loin de la commandite des danses folkloriques.
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