Le mont Orford: un projet coopératif!

Mont Orford


Nous sentons aujourd'hui l'impasse. Le Québec semble être en panne d'idées sur son propre développement social et économique. Deux principales propositions restent, pour l'instant, sur la table: le public étatique ou le privé capitaliste.
L'exemple du mont Orford illustre très bien cette dynamique: si le propriétaire privé semble se diriger vers la faillite, la solution publique reste la privatisation. Voilà l'unique voie pour l'intérêt de tous: seuls quelques condominiums (grande originalité pour un peuple de bâtisseurs!) bien vendus permettront à certains skieurs de dévaler tranquillement les pentes du mont Orford et aux golfeurs de profiter d'un beau terrain.
D'où vient cette limite délibérative dans l'espace public? Pourquoi est-il si difficile de prendre la parole, de proposer d'autres voies, de favoriser une créativité plus collective? Il existe d'autres avenues, d'autres manières de concevoir et de vivre le développement social et économique. La coopérative en est une. Et l'histoire du Québec, façonnée par la coopération, le démontre très bien.
Pourrions-nous imaginer un Québec moderne et solide sans le mouvement des caisses Desjardins? Pourrions-nous lucidement évoquer le développement de nos régions sans nos coopératives agricoles? Pourrions-nous imaginer que le prix du service funéraire chute de 50% sans la présence solidaire des coopératives funéraires au Québec? Ni le secteur public ni le secteur privé capitaliste ne pourraient concrètement faire mieux. Cependant, même si la coopérative a nettement fait ses preuves depuis 150 ans, tant au Québec que dans le monde, cette autre voie semble toujours hors de notre coffre à solutions. Quoi faire?
Se prendre en main
Un peu comme hier, la coopératrice et le coopérateur du Québec doivent prendre position face au libre marché de plus en plus mondialisé de nos jours, imposant une philosophie de base qui exige uniquement la concurrence, laissant en plan la coopération et la solidarité, et qui répond aux besoins financiers absolus en les amputant des besoins de l'homme.
Une telle vision économiste permet de répartir exclusivement selon la richesse de quelques-uns plutôt que sur la base de l'équité; elle cautionne et promeut la puissance financière personnelle sans tenir compte d'une véritable prise en charge collective. Bref, elle édifie son pouvoir exclusivement en fonction du marché et non en fonction d'un véritable pouvoir démocratique et collectif.
Le mouvement coopératif se base donc sur une prémisse incontournable: ne pas laisser aux mains du capital financier notre propre destinée personnelle et mutuelle! L'idée derrière le coopératisme est la suivante: les personnes qui ont des besoins particuliers doivent être, par l'action coopérative, les constructeurs, les décideurs et les bénéficiaires de leur travail. N'interviennent pas dans ce processus démocratique que les seuls détenteurs de capitaux financiers mais principalement les travailleurs, les producteurs et les consommateurs. C'est le résultat de la force organisée d'une collectivité locale qui se prend en main vers la durabilité d'un développement personnel, social et économique. Historiquement, le mont Orford en est un exemple.
La coopérative offre cette possibilité de rallier des thèmes aussi importants à l'humanité que l'autonomie et la liberté en équilibre fragile avec le principe de l'égalité et de la reconnaissance explicite de l'autre dans un cadre profondément démocratique (Alexis de Tocqueville). Elle contrebalance cette pression sociale aliénante qui s'exerce actuellement sur l'être humain, le rendant instrumentalement et économiquement efficace mais de plus en plus privé de sens.
Le système néolibéral globalisant déconstruit le collectif en imposant férocement sa logique, sa conception de l'homme, ses valeurs réductionnistes et ses finalités. La personne, dans un tel système, se déshumanise au point de se soumettre à une routine dangereuse et à une dépendance parfois meurtrière. Et n'oublions pas que le sens ne peut être qu'humain et social.
Une école humaniste
Nous le constatons bien: la coopérative n'est pas seulement une organisation économique originale, c'est surtout une école humaniste qui doit contribuer à l'élévation de l'individu comme personne et comme citoyen dans un monde endommagé par la nouvelle ignorance sur l'homme (Thomas de Koninck). Un tel humanisme déclaré à la société ne peut qu'être éveilleur de conscience collective et porteur d'un projet de société. Que la coopérative renouvelle son engagement fondamental face à l'homme moderne, qu'elle se redéfinisse intérieurement comme elle est capable de le faire en saisissant toujours plus profondément toute la richesse de ses valeurs et qu'elle prenne position sur de nouveaux besoins sociétaires de plus en plus subtils, voilà une de ses tâches aujourd'hui.
Les appuis pour la sauvegarde du mont Orford nous permettent de croire qu'il est temps que le Québec renoue avec les principes de coopération qui ont façonné son paysage et qui lui ont permis de prendre la place qui lui revient sur la tribune des décideurs. Ainsi, dans le cas du mont Orford, une solution coopérative permettrait de sauvegarder ce qui nous appartient collectivement (autant les activités saisonnières que les emplois) et mettrait au coeur de son développement environnemental les utilisateurs de ce parc qui deviendraient les décideurs eux-mêmes. Une entreprise basée sur les intérêts des membres utilisateurs et producteurs de services est une solution à portée de main.
Il est impératif de tenir compte du fait que l'effort d'une collectivité locale peut répondre convenablement à ses besoins, sans l'intervention de l'État et sans laisser le développement global aux mains des gens qui, ultimement, recherchent une maximisation de leur richesse. La solution coopérative ne doit pas être rejetée. En effet, la présente analyse du dossier du mont Orford n'offre pas une vision suffisamment large pour répondre aux problèmes soulevés par la non-rentabilité des activités du gestionnaire actuel. Il est faux de prétendre que seule la privatisation capitaliste est la solution et que seule la construction immobilière sauvera la précarité de la montagne et de la région.
Maîtrisant des outils de gestion efficaces, la coopérative se doit de renouer avec sa philosophie, héritière du siècle des Lumières, pour pouvoir mieux justifier à elle-même et au monde ses choix et sa différence. Elle doit retrouver son unité intrinsèque, c'est-à-dire sa vision fondamentale de l'homme et ses valeurs incorporées à une gestion et à une gouverne organisationnelle et financière particulières. Elle doit continuer, sans modestie, à promouvoir une société riche, équitable et conviviale. Une telle unité retrouvée ne peut être qu'inspiration pour notre avenir collectif.
André Martin; Ernesto Molina; Michel Lafleur
Michel Lafleur : Institut de recherche et d'enseignement pour les coopératives de l'Université de Sherbrooke (IRECUS)


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