Le Devoir samedi 18 et dimanche 19 mars 2006
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Le premier ministre Stephen Harper a jugé préférable de ne pas commenter la décision de l'Union européenne, qui a fixé la barre à 55 % des voix dans le cas du référendum sur l'indépendance du Monténégro, le 21 mai prochain, mais l'idée n'est certainement pas pour lui déplaire.
En cette période d'idylle avec le Québec, il serait évidemment malséant de revenir à l'esprit du plan B, mais il ne faudrait jamais oublier que ce bon M. Harper est le père spirituel de la Loi sur la clarté, en plus d'être un apôtre de la partition en cas de sécession.
Si le gouvernement Charest demeure à ce point mauvais que même le «fédéralisme d'ouverture» en vogue à Ottawa à l'heure actuelle n'arrive pas à le faire réélire, le naturel de M. Harper reviendra au triple galop. Advenant un autre référendum, il y a d'excellentes chances qu'il soit toujours premier ministre, et on n'assistera certainement pas au spectacle de mollesse et d'indécision offert par Jean Chrétien en 1995.
D'une certaine façon, la décision de l'UE complète le travail inachevé de Stéphane Dion qui, dans la loi C-20, n'avait pas quantifié la «majorité claire» qu'avait évoquée la Cour suprême dans son avis d'août 1998.
Bien entendu, l'UE ne fera aucune «recommandation» au Québec, comme elle l'a fait pour le Monténégro, mais cet exemple saura certainement inspirer M. Harper, qui ne manquera pas de faire valoir que le Canada mérite au moins autant d'égards que la Serbie.
Il faudra aussi expliquer cela aux Québécois. Il est assez difficile d'imaginer Lawrence Cannon ou Josée Verner jouer les matamores pendant une campagne référendaire, mais on peut penser à d'autres solutions. Après tout, si M. Harper a pu transformer David Emerson en ministre conservateur, pourquoi ne pas répéter l'opération avec M. Dion ? Cela lui coûterait sans doute beaucoup d'abandonner ses amis libéraux, mais il est certainement homme à placer les intérêts de son pays au-dessus des considérations partisanes !
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Cette semaine, toute la classe politique québécoise a réitéré avec une belle unanimité son attachement à la règle de la majorité simple, mais les choses risquent de se compliquer si le référendum devient autre chose qu'une lointaine hypothèse. Immanquablement, les deux camps s'accuseront mutuellement de tricherie.
Certes, il est déjà suffisamment difficile pour un politicien de gérer l'actualité du jour sans se mettre à conjecturer sur un problème qui ne se posera peut-être jamais, mais si un constitutionnaliste de la réputation d'Henri Brun, souverainiste avoué qui a conseillé tous les gouvernements péquistes depuis 30 ans, craint le «précédent politique» créé par la décision de l'UE, il serait irresponsable de faire l'autruche.
Le programme adopté au congrès péquiste de juin dernier invoque «la règle internationalement reconnue d'une majorité des votes déclarés valides, soit 50 % +1 des votes», mais le cas du Monténégro démontre qu'il n'y a pas de règle absolue ou, plutôt, qu'il y en a plusieurs parmi lesquelles on peut choisir à sa convenance.
En décembre dernier, une commission d'experts du Conseil de l'Europe était d'avis qu'«il existe des motifs pour exiger davantage que la majorité des votes puisque cela peut être nécessaire pour confirmer une légitimité au référendum».
Pour les souverainistes québécois, notre démocratie «exemplaire» nous dispense de cette exigence, mais il est tout de même un peu inquiétant que l'avis de la Cour suprême du Canada ait été invoqué à l'appui de la position européenne sur le Monténégro.
Les déclarations sibyllines du ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, ne sont pas très rassurantes non plus. Certes, il reconnaît que le modèle monténégrin n'a pas valeur universelle, ajoutant que, dans le cas québécois, «c'est une question intérieure au Canada et à ses provinces». Très bien, mais qu'est-ce qui arrive si le Canada et les neuf autres provinces ne s'entendent pas avec le Québec sur les règles du jeu ?
M. Douste-Blazy a aussi dit que la situation en Serbie relevait «de la politique intérieure», mais cela n'a pas empêché l'UE de s'en mêler. Au grand déplaisir du premier ministre monténégrin, Milo Djukanovic, favorable à l'indépendance, qui s'est plaint des «conditions injustes» qu'elle a imposées, même s'il n'avait pas d'autre choix que de les accepter.
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En 1997, Jacques Parizeau avait causé tout un émoi en dévoilant dans un livre le «grand jeu» qu'il avait prévu jouer avec la France au lendemain d'un OUI. Elle était au centre de toute sa stratégie pour amener la communauté internationale à reconnaître la souveraineté du Québec et placer ainsi le Canada devant un fait accompli. Il serait peut-être temps qu'André Boisclair renoue avec la pratique des pèlerinages à Paris.
Il y a aussi la question de la question, dont s'est également préoccupé le Conseil de l'Europe. L'avis de décembre stipule que «toute question soumise aux électeurs doit être claire, soit ni obscure, ni ambiguë, et ne doit pas être trompeuse».
Celle qui sera posée aux Monténégrins le 21 mai a passé le test : «Voulez-vous que le Monténégro soit un État indépendant avec une totale légitimité internationale et juridique ?»
En revanche, il serait facile de plaider que la question québécoise de 1995, avec ses références à un projet de loi et à une entente signée entre trois partis politiques, que bien des électeurs n'avaient pas lues, ne répondait pas aux exigences de clarté de l'UE.
Le nouveau programme du PQ prévoit de «faire porter le référendum directement sur l'accession du Québec au statut de pays». Toute référence à un quelconque partenariat pourrait toutefois être jugée «obscure» ou «ambiguë», voire «trompeuse».
Le problème est qu'avec une question aussi claire que celle posée au Monténégro, les chances de victoire du OUI seraient bien minces, peu importe la majorité requise.
mdavid@ledevoir.com
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