LE SOLEIL - ANALYSE

Le grand bluff du bouclier antimissile

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Politique étrangère et Militarisation du Canada



George W. Bush, Angela Merkel et Vladimir Poutine au Sommet du G8 à Heiligendamm

Photothèque Le Soleil

Vladimir Poutine est décidément un joueur. La proposition surprise que le président russe a lancée jeudi à George W. Bush, au sommet du G8 en Allemagne, était un cas classique d'embuscade politique. Poutine a dit à Bush : puisque vous dites vouloir placer des missiles intercepteurs et des radars bande X en Europe de l'Est afin d'intercepter des missiles nucléaires à longue portée venant d'Iran, pourquoi ne pas intégrer notre station radar située en Azerbaïdjan qui surplombe tout l'Iran du haut des montagnes du Caucase dans votre système de défense ?
L'administration Bush n'a nullement l'intention de laisser la Russie participer à son cher système de défense contre les missiles balistiques (encore appelé «fils de la Guerre des étoiles»). De son côté, la Russie ne croit ni en la nécessité de ce bouclier antimissile, ni en son efficacité. Mais le stratagème de Poutine pour engager des négociations relevait d'un brillant exercice. Si l'Iran avait des armes nucléaires ou des missiles balistiques à longue portée (ce qui n'est pas le cas) et si les États-Unis étaient technologiquement capables d'intercepter de tels missiles (ce qui n'est pas le cas non plus), jouir d'un accès à une station radar russe dans les montagnes au nord de l'Iran serait exactement le souhait de Washington.
«Laissons nos experts l'examiner».Telle a été la réponse du président Bush, qui a jugé la proposition de Poutine «intéressante». Mais voilà, personne n'en entendra plus jamais parler. Cela aura toutefois donné à Poutine l'occasion de démontrer que la raison d'être des nouvelles bases étasuniennes en Europe de l'Est n'est pas celle qu'explique Washington. Quelle est donc leur véritable vocation ?
Mais d'où vient la menace?
C'est une question à laquelle il est beaucoup plus difficile de répondre, car le bouclier antimissile, à la fois coûteux et inopérant, est un système d'armement à la recherche d'une menace. Il y a 25 ans, quand le grand Ronald Reagan a proposé de mettre en oeuvre ce système baptisé la «Guerre des étoiles», il devait détruire des milliers d'ogives soviétiques au moyen d'armes à énergie dirigée, exactement comme dans les films. Magnifique. Sauf qu'aujourd'hui l'Union soviétique a disparu et la seule technologie antimissile qui existe consiste en de malheureux missiles qui, s'ils réussissent occasionnellement à en détruire d'autres, manquent la plupart du temps leur cible ou ne se déclenchent même pas.
Vous vous dites peut-être qu'il serait temps de passer à autre chose. Certes. Sauf que Ronald Reagan est considéré comme un saint chez les Républicains et George W. Bush avait promis de développer un système de défense contre les missiles balistiques quand il est devenu président. En outre, aux États-Unis, plusieurs centaines de milliers d'emplois dans le secteur de l'armée et de la défense dépendent directement ou indirectement du bouclier antimissile. Il n'était donc pas possible d'arrêter la mise en place de ce système, même s'il était inefficace. En 2002, l'administration Bush a par conséquent dénoncé le Traité ABM (antimissile balistique) pour avoir les mains libres et ainsi déployer son bouclier.
Où l'installer?
L'étape suivante consistait à déterminer où l'installer. Le choix s'est d'abord porté sur l'Alaska et la Californie, pour pouvoir intercepter les missiles balistiques intercontinentaux que la Corée du Nord ne possède pas. Évidemment, venaient ensuite dans l'ordre du jour les missiles iraniens inexistants qu'il fallait stopper. Pour cela, les radars et missiles intercepteurs américains devaient être basés en Europe de l'Est. Les gouvernements polonais et tchèque se sont montrés très enthousiastes et volontaires pour les accueillir. Non pas parce qu'ils croient en la menace de l'Iran (pas du tout), mais parce qu'ils n'aiment pas la Russie et qu'ils sont prêts à héberger sur leur territoire n'importe quel type de base américaine.
En réalité, ce qui irrite la Russie, ce n'est pas l'installation de missiles américains inefficaces en Europe de l'Est visant à contrer une menace iranienne inexistante. Ils ne trouvent là qu'un bâton bien pratique pour battre les Américains. Non, le problème, c'est tout le reste, tout ce que les États-Unis et l'OTAN ont fait subir aux Russes ces dix dernières années.
La Russie exclue de l'OTAN
Peu après son élection, Vladimir Poutine a demandé à rejoindre l'OTAN. La Guerre froide était censée être terminée, mais la requête de la Russie a pourtant été rejetée d'emblée. À la place, l'OTAN a intégré de nouveaux membres de toute l'Europe de l'Est, y compris d'anciens territoires de l'Union soviétique pour ce qui est des Républiques baltes. Après la Guerre froide, l'OTAN avait promis de ne pas construire de nouvelles installations militaires sur les territoires de l'ancien Pacte de Varsovie. Or de nouvelles bases y existent bel et bien, en Roumanie et en Bulgarie, et d'autres sont aujourd'hui prévues en Pologne et en République tchèque. Les Russes ne comptent plus, alors plus besoin de prendre en compte leurs intérêts, ni même de les consulter.
La semaine dernière, à Moscou, juste avant que Vladimir Poutine ne parte pour le sommet du G8, un journaliste lui a demandé : «Pourquoi les Américains s'entêtent-ils autant à mettre en oeuvre ces projets (de défense antimissile balistique) s'il est tellement évident qu'ils sont inutiles?»
Le chef du Kremlin a répondu : « Peut-être pour nous pousser à des représailles qui empêcheraient la Russie et l'Europe de se rapprocher encore plus [...] Je ne peux pas écarter cette possibilité. » Comme si la politique étrangère des États-Unis sous l'administration Bush avait déjà été aussi subtile et sophistiquée.
C'est une chance que Poutine et Bush arrivent bientôt à la fin de leur mandat respectif.
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Gwynne Dyer
Journaliste indépendant*
*L'auteur est un journaliste canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays.


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