Réplique à Annette Paquot et consorts

Le français standard en usage au Québec

les opinions exprimées par A. Paquot et consorts relèvent davantage de l’idéologie politique que de la science linguistique

Le «français québécois standard»

Il est des personnes qui se nourrissent de polémiques, quitte à les inventer quand elles n’existent pas. Annette Paquot et Lionel Meney en font partie et ils nous l’ont rappelé la semaine dernière, la première dans un texte paru dans Le Devoir ([« Non à la “langue québécoise standard” »->12341], 12 mars, p. A7), le deuxième dans un texte paru le lendemain dans La Presse (« Non au séparatisme linguistique », 13 mars, p. A22).
La démagogie, la mauvaise foi et la malhonnêteté que recèlent ces deux textes n’ont pas tardé à semer la confusion dans les esprits, y compris dans celui d’un journaliste aussi aguerri que Gil Courtemanche, comme en témoigne son dernier billet paru dans Le Devoir ([« Parler le créole québécois ? »->12404], 15-16 mars, p. B2).
C’est en tant que linguiste variationniste – et non en tant qu’« aménagiste endogéniste », terme abscons si cher à L. Meney – que je me permets d’intervenir aujourd’hui dans le but de remettre les pendules à l’heure.
Personne ne contestera le fait que le français est la langue de la majorité des Québécois. La langue parlée et écrite au Québec constitue donc une variété de français au même titre que celle qui est parlée et écrite en France en constitue une autre, bien que cette dernière soit souvent confondue avec LE « français international » ou LE « français standard ».
Accuser tous ceux qui cherchent à décrire la variété québécoise de français dans son registre standard de s’adonner à une opération de « séparatisme linguistique », comme le font allègrement A. Paquot et L. Meney, relève du procès d’intention, non de la réalité des faits, en plus de témoigner d’une grande ignorance du fonctionnement d’une langue et, surtout, de ce qu’est réellement le français qui a cours au Québec. En cela, les Québécois ne font que ce que d’autres ont fait bien avant eux, notamment les Brésiliens, les Mexicains, les Américains, les Australiens, les Néo-Zélandais et même les Canadiens anglais.
A. Paquot affirme que le registre standard de la variété québécoise de français « est une réalité plus qu’hypothétique dont les contours et surtout l’existence même alimentent bien des débats parmi les linguistes ». Du même souffle, elle ajoute que « de nombreux linguistes ont pris position contre cette démarche et estiment qu’elle repose sur des prémisses mal établies, voire carrément erronées ».
À quels débats et à quels « linguistes » A. Paquot fait-elle allusion ? Sauf erreur de ma part, seules quelques personnes de même obédience idéologique et politique qu’elle (Monique Nemni, Diane Lamonde et, bien sûr, L. Meney) ont cherché et cherchent toujours à susciter un débat qui n’a jamais existé ailleurs que sous leur plume ; ce sont encore les mêmes personnes qui se sont opposées à toute forme de description du registre standard de la variété québécoise de français, pour des raisons qui, il est important de le rappeler, n’ont rien à voir avec la linguistique.
En effet, les opinions exprimées par A. Paquot et consorts relèvent davantage de l’idéologie politique que de la science linguistique.
Elles visent d’abord à écraser toute forme de velléité d’affirmation des Québécois francophones. S’il est vrai que toute question relative à la langue « devrait transcender les clivages idéologiques », le texte d’A. Paquot, qui commence par une attaque en règle contre le Parti québécois et qui se termine par un appel aux autres partis politiques pour « barrer la route à ce projet suicidaire », est un bien mauvais exemple à suivre.
Les opinions émises par cette minorité « exogéniste », c’est-dire qui ne reconnaît comme légitime que la seule variété de français usitée en France, ont pour but de priver ceux qui ont la variété québécoise de français comme langue maternelle (ou d’usage) de cette importante fonction identitaire qui caractérise toute langue, alors qu’ils la revendiquent pour eux-mêmes. À ce propos, je me permets de citer ici un court extrait d’un ouvrage écrit par Leigh Oakes, professeur de linguistique à Queen Mary, University of London, et Jane Warren, professeure de linguistique à l’Université de Melbourne, Australie :

« Behind such concerns is the fear of the fragmentation of the French language, that the recognition of linguistic variation will result in the same fate for French as that suffered by Latin and which, according to some unenlightened commentators [...], now threatens English. Far from being a weakness, the reality is that the acceptance of the geographical diversity of a language is a strength, since it allows the latter to serve both as a means of communication for a speech community as large as la francophonie and to satisfy the important identity needs of its speakers » (Language, citizenship and identity in Quebec, Palgrave Macmillan, 2007, p. 117)1.

Pour étayer sa thèse, A. Paquot soutient en outre que la mondialisation des communications et la « mobilité actuelle des personnes » font en sorte que l’« on assiste actuellement à un mouvement de “dérégionalisation” ou de “dédialectisation” du français ». Pour nous en convaincre, elle cite les deux exemples suivants : week-end qui s’entend effectivement de plus en plus au Québec, notamment dans la langue des médias, mais qui n’a pa+s encore réussi à supplanter fin de semaine, et fun qui s’entend à l’occasion en France, notamment dans la langue de la publicité et dans celle des jeunes. Or, ces deux exemples n’illustrent en rien un phénomène de “dédialectisation” du français. Le premier, week-end, montre simplement que le poids de la variété de français parlée en France est, pour toutes sortes de raisons (politiques, historiques, culturelles), plus important que celui de toutes les autres variétés de français parlées ailleurs dans la francophonie. Quant à fun, A. Paquot se trompe si elle croit que ce sont les Québécois qui l’ont transmis aux Français. Ceux-ci l’ont emprunté tout récemment à l’anglais et les Québécois n’y sont pour rien ; à preuve, un Québécois dira toujours c’est le fun, jamais c’est fun comme un Français. On s’attendrait à davantage de nuance et d’objectivité de la part de quelqu’un qui se prétend linguiste.
Bien des Québécois attendent depuis longtemps que leur variété de français soit enfin décrite dans un dictionnaire, car ils savent qu’une telle entreprise est nécessaire pour que, à travers la variété de français qui les exprime, tous les autres francophones puissent enfin accéder à leur vision du monde et à leur univers socioculturel, encore trop souvent méconnu ou réduit à sa dimension la plus folklorique. Décrire cette variété dans son registre standard ne signifie donc pas que les linguistes variationnistes s’apprêtent à créer une nouvelle langue. Ainsi, dire, dans un dictionnaire par exemple, que (téléphone) cellulaire, napperon, funérailles « obsèques » et soulier « chaussure » font partie de la langue standard rend bien compte de l’usage que les Québécois font de la langue française. Est-ce là promouvoir le « séparatisme linguistique » ou favoriser l’intercompréhension entre francophones ?
Claude Verreault
Professeur titulaire

Département de langues, linguistique et traduction

Faculté des lettres

Université Laval

Québec (QC) G1K 7P4


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