Le français au Liban

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008



Le XIIe Sommet de la Francophonie se tiendra à Québec du 17 au 19 octobre. Dans cette perspective, le Secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf, m'a confié une mission au Liban portant sur l'avenir de la langue française dans ce pays, mission qui m'a permis de rencontrer les principaux dirigeants. C'était mon quatrième séjour au Liban, seul pays arabe où a déjà eu lieu, en 2002, un Sommet des chefs d'État et de gouvernement ayant le français en partage.
Depuis les années 1970, le Liban a souvent fait les manchettes des médias internationaux: guerre civile, fratricide, attentats à la voiture piégée, accrochages intercommunautaires, invasions par Israël, rien ne lui a été épargné. Le Liban est victime de la géopolitique de la région, coincé entre les intérêts notamment de la Syrie, de l'Iran et d'Israël, dans ce Moyen-Orient convulsif.
Se déroule sur ce petit territoire peuplé de quatre millions d'habitants une guerre sans fin, jouée par procuration. Une guerre qui prend de plus en plus les apparences d'une guerre de religion. La situation au Liban, à la fois caisse de résonance et baromètre des tourmentes de la région, est toujours incertaine, sa future stabilité dépendant du règlement de la lancinante question israélo-palestinienne, que personne ne semble avoir la volonté ou l'intérêt de régler. La France et l'Union européenne s'activent cependant dans ce sens à l'heure actuelle. Souhaitons qu'elles ne délaissent pas la proie pour l'ombre en donnant beaucoup à la Syrie sans en rien recevoir tout en abandonnant le Liban à son sort.
Le Liban est un membre fondateur de la Francophonie. L'on évalue, malgré l'absence de statistiques fiables, à environ 38 % le nombre de Libanais qui peuvent -- peu ou prou -- s'exprimer en français. Ce qui se vérifie de façon expérimentale sur le terrain, dans la rue, dans l'affichage. Le français recule au Liban, c'est le sentiment dominant chez la plupart de nos interlocuteurs, mais il est toujours bien vivant et il est encore possible de redresser la barre par des mesures volontaristes que le gouvernement semble déterminé à prendre.
D'abord et avant tout, comme nous le signale le jeune et talentueux écrivain Alexandre Najjar, contrairement à d'autres pays arabes, singulièrement l'Algérie, la francophonie n'est pas regardée avec suspicion ou n'est pas combattue au Liban pour des raisons idéologiques. Longtemps identifié à la seule communauté chrétienne, le français aujourd'hui ne connaît pas de limites géographiques ou confessionnelles.
On le parle non seulement à Byblos et dans la montagne mais aussi à Tripoli, tout au nord, à Nabatiyeh, tout au sud, chez les Druzes, les Sunnites et les Chiites. Ceux qui, comme le premier ministre Siniora, ont plutôt l'anglais comme langue seconde se déclarent souvent, malgré tout, francophiles, très favorables au maintien de la langue française.
Par ailleurs, les Centres de lecture et d'action culturelle (CLAC), une des belles réalisations de la Francophonie, sont implantés aux quatre coins du pays et sont très fréquentés. J'ai pu le constater en visitant celui de Haret Hreik dans la banlieue sud de Beyrouth, un quartier chiite dont le maire est néanmoins chrétien, ce qui déjà suffit à ébranler quelques idées reçues et quelques certitudes. Le bâtiment de la mairie qui abrite le Centre fut détruit par Israël à l'été 2006, puis reconstruit depuis dans sa partie CLAC par la Francophonie. Ces Centres incluent des bibliothèques pleines pour moitié de livres en français et contribuent ainsi, au-delà de leur fonction d'animation, à promouvoir la lecture en français.
C'est cependant dans le secteur de l'éducation que se joue, en bonne partie, comme dans tous les pays membres de la Francophonie, l'avenir du français. Or qu'en est-il? Au primaire et au secondaire, une majorité d'écoles propose encore le français comme langue d'enseignement aux côtés de l'arabe, mais la tendance est au repli, car de plus en plus d'élèves souhaitent apprendre l'anglais, considéré comme plus utile et plus facile. Le nombre d'écoliers scolarisés dans des écoles ayant le français comme langue seconde est ainsi passé de 73 % à 62 % en dix ans. Le gouvernement ne veut pas imposer le français, mais souhaite renforcer son attractivité en rénovant les méthodes et les manuels et, surtout, avec l'aide de la Francophonie, en améliorant la formation des maîtres qui laisse à désirer.
Le Liban a toujours été et demeure un pôle d'excellence universitaire francophone dans la région qui jouit, de surplus, d'un rayonnement international. Le fleuron de ce système universitaire francophone est, bien sûr, l'université Saint-Joseph de Beyrouth fondée par les Jésuites qui continuent à en assumer la direction.
Spécificité libanaise: il n'existe pas à ce jour d'enseignement du droit au Liban hors des universités francophones compte tenu du fait que le système juridique libanais est calqué sur le système français et que les lois libanaises s'inspirent largement des lois françaises. Là cependant, comme dans tous les autres secteurs de la vie sociale, l'anglais poursuit sa poussée notamment grâce à l'université américaine qui dispose d'un gigantesque campus en plein centre de Beyrouth. [...]
La situation du français au Liban est donc contrastée, mais certainement pas désespérée puisque, d'une part, le diagnostic fait consensus et que, d'autre part, les solutions sont connues. En conclusion, je crois que la Francophonie aura un avenir au Liban aussi longtemps qu'une majorité de Libanais considéreront que le français fait partie intégrante de leur patrimoine, constitue une de leurs forces et illustre leur originalité dans cette partie du monde. Pour autant aussi que la Francophonie, consciente des enjeux, agisse en conséquence et accompagne le Liban dans sa détermination à assurer l'avenir du français.
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Louise Beaudoin, Chercheuse invitée au CERIUM et coordonnatrice du Réseau Francophonie.


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