Le concept de «fédéralisme renouvelé», malmené et trahi par des décennies d'échecs, est obsolète. Aussi, désormais, l'heure serait au fédéralisme d'ouverture. Version édulcorée du concept précédent qui exigeait des amendements constitutionnels favorables aux provinces -- particulièrement au Québec -- qui ne sont jamais venus, le fédéralisme d'ouverture, cher aux conservateurs de Stephen Harper, se contente de quelques principes: respect des compétences provinciales, volonté de régler le déséquilibre fiscal, reconnaissance politique de la nation québécoise et quelques autres gadgets comme ce fameux strapontin québécois à l'UNESCO. C'est, clairement, moins que ce que Meech offrait, mais l'affaire, néanmoins, semble en exciter beaucoup, qui y voient une réelle rupture avec l'arrogance libérale.
Le politologue Éric Montpetit, de l'Université de Montréal, est de ceux-là. Dans Le Fédéralisme d'ouverture. La recherche d'une légitimité canadienne au Québec, il parle d'une «option mitoyenne entre un statu quo avec lequel plusieurs Québécois sont mal à l'aise et une souveraineté à propos de laquelle ils hésitent». Par deux fois, écrit-il, les Québécois ont choisi le fédéralisme canadien. Le résultat serré de 1995 indique toutefois «l'inconfort de trop de Québécois vis-à-vis de l'arrangement fédéral du Canada». Que faire, alors? Le réalisme nous force à conclure qu'un changement constitutionnel n'est pas à l'ordre du jour, mais, par ailleurs, «onze ans après le référendum, les nouvelles raisons pour faire la souveraineté n'abondent pas». Va, donc, conclut-il, pour l'aventure du fédéralisme d'ouverture qui, sans être une solution définitive puisque celle-ci exigerait des amendements constitutionnels, «peut apaiser l'inconfort québécois» et «convaincre un grand nombre de souverainistes québécois d'abandonner leur option constitutionnelle». C'est à voir.
En finir avec le Canada trudeauiste
Le Canada trudeauiste, constate Montpetit, est celui de la fermeture. Il ne respecte pas le principe fédéral selon lequel «les gouvernements provinciaux ne sont pas inférieurs, sur le plan hiérarchique, au gouvernement de l'union», il permet à Ottawa d'intervenir dans les champs de compétence des provinces, il pratique la conditionnalité des transferts et, par sa charte de 1982, il impose aux tribunaux «de subordonner la protection des droits collectifs des majorités au respect des droits individuels et des minorités, réduisant ainsi le pouvoir des Parlements provinciaux et fédéral». Il rejette, de plus, la conception dualiste du Canada, affirme que le Québec n'a pas de droit de veto constitutionnel et exprime la superbe du fédéral dans la Loi sur la clarté. Ce fédéralisme de fermeture n'a pas d'avenir au Québec.
Il ne résumerait pas, toutefois, l'essence du fédéralisme canadien dans lequel, malgré les efforts de Trudeau, subsisterait «un espace de possibilités pour le Québec». Cet espace se trouverait particulièrement dans l'existence de la clause dérogatoire qui permettrait un «partage des pouvoirs entre les Parlements et les tribunaux». La Cour suprême du Canada, explique Montpetit, a rendu plusieurs jugements (sur la sécession, sur les assurances privées en santé) qui s'éloignent d'une conception positiviste, activiste ou absolue du droit et qui réaffirment la responsabilité des Parlements, dans le respect de la Constitution. Ses décisions laissent donc un espace ouvert au dialogue entre les tribunaux et les institutions législatives. La clause dérogatoire, dans ce contexte, est garante de cet espace en ce qu'elle permet aux législatures, provinciales entre autres et notamment à la québécoise, de «faire respecter les droits collectifs de leurs majorités», et cela sans amendement constitutionnel.
L'hégémonie du discours trudeauiste rend toutefois le recours à cette clause fort malaisée. Dans la logique de Trudeau, en effet, les provinces doivent être subordonnées à Ottawa et celui-ci doit l'être à la charte. Le résultat est un carcan. Les partisans du fédéralisme d'ouverture doivent donc briser cette hégémonie, affirmer «que la protection des droits n'est pas que l'affaire des tribunaux» et légitimer, en ce sens, le recours à la clause dérogatoire qui permet, dans certains cas, de rétablir le principe fédéral. «La clause, explique Montpetit, doit permettre aux provinces de lancer une réflexion sur la protection des droits collectifs des majorités qu'elles représentent, sans négliger de prendre en compte les droits individuels et ceux des minorités dont les tribunaux se font les principaux défenseurs.»
Pour que cette réflexion se fasse dans l'esprit du principe fédéral, il faudrait aussi, ajoute le politologue, modifier le mode de nomination des juges à la Cour suprême et conférer un rôle aux provinces dans ce processus afin que les juristes nommés aux tribunaux supérieurs soient plus sensibles à ce même principe.
Le fédéralisme d'ouverture exige aussi un règlement du déséquilibre fiscal. Depuis le budget du 19 mars dernier, certains affirment que c'est là chose faite. Montpetit ne serait pas d'accord. Selon lui, l'augmentation des transferts fédéraux aux provinces est insatisfaisante puisqu'elle peut être annulée à tout moment. La péréquation est plus intéressante, mais elle risque d'entraîner des déchirements interprovinciaux. Seul un transfert de points d'impôt constitue une réelle solution. Le problème, c'est que, pour l'heure, et même si Montpetit ne le dit pas, la fermeture fédérale à cet égard semble totale.
Trop peu trop tard
Si tout cela s'avérait, serait-ce encore trop peu, demande le politologue en conclusion. Pour répondre, il met dans la balance les quelques avantages potentiels de sa proposition et les incertitudes et perturbations éventuelles liées à la souveraineté: coût économique, chantage à la partition, difficiles négociations administratives. Selon lui, d'ailleurs, le Québec bénéficie déjà d'un accès relatif à la scène internationale et la pratique du fédéralisme d'ouverture pourrait déboucher, un jour, sur un véritable fédéralisme renouvelé.
Les souverainistes, dont je suis, n'embarqueront pas dans ce bateau qui n'annonce que trop peu trop tard, et ce, de façon trop incertaine. Les autres? Une analyse, même sommaire, de leurs interlocuteurs du ROC devrait les en prémunir. L'opportunisme électoral de Harper, qui a longtemps mangé du Québécois, ne doit pas être confondu avec une ouverture canadian. Même la reconnaissance toute symbolique de la nation québécoise est rejetée par la vaste majorité des Canadiens. Dans ces conditions, force est de conclure que, quoiqu'il soit brillamment étayé, le rêve fédéraliste d'Éric Montpetit tient tout de même du triste fantasme défensif.
louiscornellier@ipcommunications.ca
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Le fédéralisme d'ouverture
La recherche d'une légitimité canadienne au Québec
Éric Montpetit
Septentrion Sillery, 2007, 138 pages
Essais québécois
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