C’est toujours une erreur que d’exprimer le dégoût du politique et de cracher en l’air en proclamant que, nous au moins, on ne fait pas partie du cirque. Il est ridicule de dénoncer le cirque. Il n’y a pas une sphère du haut de laquelle on peut décrier le politique et prétendre qu’on en est revenu.
Le politique ne touche pas que nos intérêts. Il concerne le pouvoir tel qu’il s’exerce et tous les effets de vérité qui dansent dans nos discours. Le mépris à l’égard du politique n’est que posture théâtrale de plus. Celui qui méprise le politique a beau dire, il fait partie du cirque plus que les autres.
Donc on devrait commencer par dire aux gens: arrêtez de vous dire que vous êtes le spectateur qui n’est pas concerné. Arrêtez de bomber le torse quand vous dites que vous vomissez ce mauvais théâtre. Ce mauvais théâtre, vous en êtes car son espace est total.
Ce qui s’est passé avec Charest, ce n’est pas en tant que spectateur qu’on doit le saisir. L’Histoire, nous sommes dedans. Dire « quel cirque », c’est prétendre qu’en vertu de quelque supériorité, on en est éloigné. Ce disant, nous ne sommes rien de plus que des comédiens qui cherchent un effet de distanciation.
Dans les faits, cette attitude ne fait que remettre en pratique les limites actuelles du politique. Il n’y a rien de bon à singer un niveau idéal et de lever le nez en l’air.
Le Parti Libéral s’identifie alternativement comme étant “la famille” ou comme un “regroupement d’intérêts”. Ce ne sont pas leurs adversaires qui le disent. C’est eux-mêmes. Alors pourquoi s’étonner de ce qui arrive depuis sept ans maintenant? Et pourquoi s’étonner que le premier ministre, payé comme chef du parti libéral, loin de transcender, ne soit qu’un phénomène très intérieur à cette vaste putréfaction qui touche le ministère de transports, l’industrie de la construction, les municipalités, les garderies?
D’année en année, même les commentateurs sympathisants du parti Libéral se sont parfois étonnés de la bonne cote du gouvernement Charest. Les sondages montraient un taux de satisfaction qui, sans crever le plafond, demeurait miraculeux. Considérant que le gouvernement était soit calamiteux ou effacé, les citoyens étaient soulagés, après tant de mauvaises décisions, quand on se demandait enfin, à propos du gouvernement du Québec, où gisait le lièvre.
Vraisemblablement, plusieurs avaient de la gratitude envers Charest, individu veule qui, au royaume des aveugles, permet à tout le monde de s’enfouir la tête dans le sable. Il a fallu que le gouvernement Charest étire l’élastique jusqu’au seuil du tolérable pour enfin susciter une nausée qui aurait dû survenir beaucoup plus tôt.
Et la toune de lady Gaga qui tourne sur la planète entière depuis un an prend une curieuse résonance au Québec à chaque fois que le disc jockey la diffuse dans un bar: Comme une poulette au casino
Mets ta banque en lieu sûr avant que je la dévalise
Je te le promets Je te le promets
Et le refrain reprend : Il ne peut pas lire mon visage impassible
Il ne peut pas lire ma face de poker, po-po-po- poker face.
Désolé mais ça crevait l’écran que c’est ce que Charest allait faire avec “la famille” il y a sept ans. L’électorat a décidé de nommer comme premier ministre un transfuge du parti conservateur pas même intéressé de lutter pour la garantie des droits nationaux du Québec. Il faut croire que c’est la qualité à attendre d’un premier ministre.
Si vous collectez des fonds ou donnez pour “la famille”, vous devriez savoir que vous financez la colonisation de l’Etat par un “regroupement d’intérêts”. Charest, expert dans l’art du détournement, veut nous prouver, avec la commission Bastarache, que les collecteurs de fonds du parti Libéral ne gouvernent pas partout. Il veut faire entendre que leur pouvoir est limité puisqu’ils n’ont pas entaché la nomination des juges et le processus judiciaire.
Même si Bastarache venait confirmer dans un rapport hâtif la version de Charest, ce rapport va toujours figurer à titre de camouflage par rapport à tout le reste. À cet égard, le rapport du juge Bastarache ne pourra avoir qu’un intérêt mitigé.
Du juge Bastarache, on a dit qu’il était apolitique. En fait, accepter de mener une enquête limitée lancée par un politicien qui veut éviter une enquête plus vaste, c’est en soi un geste politique. D’autre part, n’importe qui acceptant d’être nommé à la cour suprême va notamment appliquer les normes du droit politique canadien sur le gouvernement national du Québec. À cet égard, le passé du juge Bastarache est fortement politique.
Dans ce foutoir, comment Jean Charest se sent alors que gonfle l’insatisfaction à son endroit? Les événements des derniers jours démontrent qu’il est, en période de stress, encore plus égal à lui-même que d’habitude. Même si la masse le désapprouve, Jean Charest sait que les citoyens ne sont pas des partenaires égaux face au pouvoir et que lui, avec sa clique de libéraux, n’a qu’à « niaiser » et ignorer leur existence. Les Canadiens font les séries éliminatoires. Le reste va passer avec.
Charest, ce n’est pas un gars qui résout des vrais problèmes comme il aime le prétendre. Sa force n’est pas dans sa faculté de résoudre mais dans sa façon de disposer des bonnes causes. Cet homme intouchable semble croire qu’il n’a qu’à s’intéresser aux tactiques verbales et à user de la fameuse règle : nie et renverse les accusations.
De même que Nixon fut un symptôme de la société américaine, de même le personnage de Charest est un phénomène très intérieur à notre société. C’est un personnage qui est un pur produit; rien n’est plus intérieur aux effets du fédéralisme au Québec qu’un individu comme Jean Charest.
Les Libéraux aiment ça et quand il s’agira de le remplacer, ils vont chercher son alter ego. Les libéraux se réjouissent de ce trait de Charest, dit de « l’homme-teflon ». Comme son gouvernement est mauvais, sa technique est de mettre le parti Québécois dos à dos avec le parti libéral.
Charest traite toute question pointue comme une attaque gratuite et il réplique toujours en montrant que pour ce qui est des vacheries, il en connaît des meilleures.
Les scandales s’accumulent et il réplique en se gaussant du slogan de la campagne de financement du PQ: “Investissez dans votre avenir”. Et toute sa piétaille à l’Assemblée Nationale s’esclaffe: HA, HA, HA, regardez comme il ne se laisse pas démonter notre chef. En effet, Jean Charest est un maître pour faire image, détourner le sens des événements, renverser les accusations. Des maîtres de ce genre en politique il y en a eu plusieurs dont Nixon.
Le premier point salvateur pour Jean Charest dans cet argumentaire systématique c’est de dire que tout est comparable. Non, le parti libéral n’est pas un parti ordinaire tout juste aussi malhonnête que les autres. Il est fatal qu’un “regroupement d’intérêts” fera fonctionner l’Etat de façon massive en faveur de ses cliques financières. Si la malhonnêteté et l’opportunisme sont partout, le parti Libéral, lui, en fait une raison supérieure de la politique. Il ne croit même pas qu’il y ait d’autres raisons que celle-là.
Aussi, peu importe le loustic que le parti Libéral choisira dans l’avenir, la gouverne assumée par le parti Libéral finira toujours par induire un état de putréfaction. Il est vrai cependant que Jean Charest est en train de nous faire regretter Robert Bourassa et Claude Ryan. Ceci dit, il y a lieu de s’inquiéter qu’un parti évolue pendant de longues décennies principalement pour nous faire davantage descendre l’échelle du pire.
Ce n’est pas grave. Jean Charest porte toujours des lunettes de théâtre. Et, fait d’armes essentiel, il semble toujours être dans la position où c’est lui qui usera les nerfs.
Nixon fut talentueux à sa façon. Il faut être futé pour patronner des fraudes, dévier l’attention, limiter des objets d’enquête, gagner du temps dans la tourmente. Oui, c’est un talent, le talent que nous avons sous nos yeux, car nous avons installé Charest au centre de notre théâtre. Notre Nixon local, nous l’avons.
Comme chef (payé) du parti libéral, il y a deux choses que Jean Charest administre. D’abord comme premier ministre (il serait plus juste d’appeler ça Intendant de province) il applique le réseau de contrôle imposé par le Fédéral et demande des compensations pour ci et pour ça.
Ensuite il dit gérer une nation sans droits nationaux vivant au lendemain des luttes comme si de grandes réformes en sa faveur avaient réussi. Toujours, le parti Libéral a dit mieux représenter une époque où l’incandescence des luttes s’est éteinte. L’appareil de l’Etat serait désormais essentiellement en position instrumentale. Son défi d’aujourd’hui serait d’appliquer le principe de l’utilisateur-payeur.
Lors du dernier congrès des libéraux, devant un parterre extatique, on a entendu Charest affirmer que ça prouve que le parti Libéral ne va jamais au plus facile.
André Savard
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
3 commentaires
Jean-François-le-Québécois Répondre
21 avril 2010@ André Savard:
«C’est toujours une erreur que d’exprimer le dégoût du politique...»
Bien sûr! Un dicton nous rapelle que, si l'on ne s'occupe point de la politique, elle finit par s'occuper de nous!
Comment ne pas du tout porter attention à ce qui se passe en haut lieu, là où se prennent les décisions affectant à peu près tous les domaines, à commencer par la gestion des fonds public, le régime d'imposition, l'éducation, entre autres, et penser qu'à faire l'autruche, l'on soit en quelque sorte à l'abri?
Sauf que je dirais que Charest, a peut-être une qualité... Une seule, mais accordons-lui ce qui lui revient...
Son approche fut originale: en effet, je crois que ce fut bien planifié, de tout faire pour dégoûter les citoyens (en particulier les jeunes) de la chose politique. On repense aux dernières élections, déclenchées au grand dam de la population, et au tout début d'une récession qui dure encore...
Pourquoi faire? Mais, pour que le plus grand nombre de gens refusent de se donner la peine d'aller voter, pendant que les amis du régime et les fédéralistes de longue date, étaient sûrs d'aller voter, eux!
Certains diront que j'imagine des choses... Mais j'ai bonne mémoire, et j'ai pu observer Charest depuis le début des années 90; alors en vérité je vous le dis, cela ne serait que du Charest tout craché!
Archives de Vigile Répondre
20 avril 2010Démocratie, élection, peuple, choix. Dans l'équation, les citoyens ont une responsabilité majeure. Ils élisent ou non un gouvernement. Même élu avec 38 %, il peut être majoritaire. Donc, on vit dans un système électorale ridicule.
Le problème le plus fondamental des Québécois, c'est qu'ils sont prisonniers de la fédération canadienne. Une fédération irréformable dont l'objectif ultime est la disparition de la nation francophone du Québec. L'amérique du Nord se veut anglaise. Donc, une nation québécoise, ça les dérange. Et, Jean Charest prône la disparition progressive de notre nation. Il pense argent et amis et non pas nation québécoise. Son fédéralisme en est un de collaborateur de régime monarchique colonisateur. Il en est conscient et fier en plus. Pour plusieurs québécois, c'est Jean le Menteur, mais pour ses amis fédéralistes, c'est Jean le Magnifique.
Les québécois restent responsables de la situation. Jean Charest a le pouvoir qu'on lui accorde.
Fernand Lachaine Répondre
19 avril 2010Bonjour monsieur Savard,
J'ai aimé votre parallèle avec Nixon concernant Charest.
Ce qui m'a amené à penser que les États-Uniens ont un outil que nous n'avons pas et qu'il faudra peut-être y penser: C'est la destitution d'un chef de gouvernement quand la situation le demande.
L'affaire Watergate était suffisamment grave pour "booter" Nixon dehors.
Les évènements concernant Charest depuis surtout 1 an devraient nous faire réfléchir sur une loi similaire afin qu'une telle corruption de la part d'un gouvernement ne soit plus possible, sans courir le risque que le chef de ce gouvernement soit destitué.
Fernand Lachaine