La modernité comme prétexte

Chronique d'André Savard

Trudeau en son temps citait Rimbaud, celui qui disait: “Il faut absolument être moderne”. Face aux résultats dévoilés par Pierre Curzi la semaine dernière, la modernité a encore servi d’alibi. La vie moderne est indivisible. Elle est vécue en Suède, en Espagne et ses séismes se font sentir jusqu’en Iran. Elle touche la question de la technique, le métissage des influences, l’internationalisme culturel.
Ce qu’on essaie de nous faire croire, c’est que son corollaire obligé est de voir la langue de sa nation contestée sur son propre territoire. Les Danois, les Allemands, les Italiens vivent au XXIème siècle. Sont-ils moins modernes parce qu’ils n’ont pas à craindre que leur langue soit destituée comme langue d’usage généralisé dans leur ville?
On nous répondra que le Canada n’est pas un pays comme un autre. En tant que contrée avancée et terre d’élection de l’immigration, il serait un microcosme, juste le centre d’un internationalisme culturel qu’il nous appartiendrait de dominer.
On nous répondra, encore combien de fois, qu’il n’y a pas de déterminants sociologiques en faveur de l’anglais d’un océan à l’autre? Et sans voir la contradiction on nous dira, combien de fois encore, que c'est de l'ordre de la nécessité, une nécessité sociétale qui échappe à la politique. Et on se farcira, encore combien de fois, de discours nobles sur le “beau parler français” et l’ouverture à l’autre.
Dès que l’on accuse la systématicité du système canadien, on se fait répondre avec la belle théorie critique de la société québécoise. Combien de fois encore entendrons-nous le refrain sur le prétendu refus de la modernité?
Depuis des décennies, les indépendantistes disent que le Québec se dirige vers une minorisation croissante. Ils affirment aussi que l’anglicisation de Montréal est programmée si le Québec ne devient pas souverain.
Les fédéralistes ont toujours nié en bloc et renversent les accusations. C’est nous les racistes et les colonialistes et les suprématistes. Il n’y a pas d’hégémonie de l’anglais au Canada, juste un bel internationalisme culturel de bon aloi, disent-ils. Il n’y a pas de mainmise de la population anglophone, celle-ci au contraire diminue. Et ils nous sortent des statistiques démontrant qu’on peut aujourd’hui être Anglo au Canada sans distinction d’origine. Ils concluent qu’un pendant franco est envisageable. Il nous appartiendrait par le mérite culturel de doter le français d’une meilleure force assimilatrice.
On nous sort d’autres statistiques révélant que les immigrants élevés au Québec ont des compétences en français. Cela signifie qu’au boulot ils ont les habilités nécessaires pour que, dans leur secteur d’activité, le français demeure une langue de service à la clientèle. Même si beaucoup d'immigrants comptent parmi les nôtres, la réalité pancanadienne entre dans une nouvelle phase au Québec.
Les Québécois ont peur de dominer le problème. Dès que les Québécois envisagent que la domination du problème se situe en dehors du système canadien, ils se font accuser d'entretenir un désir de domination.
En ce qui a trait au français langue d’adoption, notre société produisant beaucoup de bilingues qui ont l’anglais comme langue de préférence, on se fait répondre que ceci n’est pas attribuable au statut de province du Quebec et à la structure de pouvoir au Canada. On pourrait franciser les immigrants en ayant la fierté de notre langue et en la parlant mieux. Bref, ce serait notre incompétence culturelle qui serait rebutante. Plus de raffinement, plus de fierté individuelle, et nous assisterions à l’assomption de notre culture (dans l’hypothèse où nous avons une culture propre qui ne soit pas qu’un facteur négatif) qui deviendrait attrayante.
Avez-vous remarqué qu’on se la fait jouer de façon identique encore une fois? Pas de problème en ces lieux, juste le défi mondial de la modernité, se fait-on dire. Et pour solution? La fierté individuelle et le désir d’embrasser l’internationalisme culturel si présent au Canada. On a même lu dans les médias de nombreux courriels arguant qu’au Quebec ce n’était pas du français qu’on parlait. On nie systématiquement que la cause ait une racine. À quoi bon défendre le français s’il n’existe plus et qu’il a été remplacé par un sabir de primates?
On revient exactement au discours de Trudeau qui nous disait que le problème, c’était juste que les Québécois comme individus s’empêchaient de vivre dans les grandeurs cosmopolites. Le Canada serait juste une des facettes de tous les projets constitutifs de la modernité. Cette modernité n’exclut pas à moins que l’on s’exclut soi-même.
On refuserait la langue française, on refuserait de participer pleinement aux institutions fédérales et cette pratique de l’auto-exclusion dans un monde indivisible serait l’instrument du malheur que les indépendantistes dénoncent.
Cet argument tient à une confusion initiale et savamment entretenue: les indépendantistes souhaiteraient un système unitaire alors que les fédéralistes auraient mis sur pied un système pluriel qui tient compte de l’interdépendance des éléments sans en exclure aucun. Dans ce système de purs droits serait affirmé tout ce qui mérite d'être affirmé. Alors comment même risquer l'hypothèse que le français y est neutralisé?
Au départ, il faut envisager un rapport de mathématique spatiale bien simple. 80% du territoire canadien au moins est anglophone. Montréal est, en pratique, un district bilingue et un marchepied canadien pour les nouveaux arrivants. Par rapport à la situation, inculper les francophones, leur reprocher un français trop local et rendre leur pauvreté culturelle responsable de la régionalisation du français, c’est ignorer ce que l’espace canadien crée comme une procédure logique immédiate pour ceux qui y vivent d’un océan à l’autre.
Certes, avoir la fierté de notre langue et développer une faculté de mieux la parler ne feraient pas de tort. Dire cependant que cela créerait une logique substitutive qui permettrait de transcender les rapports de causalités produits par l’espace canadien lui-même, c’est s’interdire de comprendre le phénomène et surtout de se situer comme Québécois dans cet ensemble. Le vrai rapport de force désavantage le français et il n’y a pas de lecture des faits qui mène à conclure que l’anglais ne doit pas être un premier choix au Canada.
Loin de moi l’idée de défendre ceux qui parlent mal français. Il reste que même si on engendrait des Molière à chaque coin de rue, l’anglais, d’abord par la force des armes, puis par tout un appareil social, a investi un territoire beaucoup plus vaste.
Comme le Québec n’est qu’une province, il ne peut compter que sur les espaces de droit alloués par les régulations canadiennes pour s’affirmer. La clause nonobstant par exemple c’est l’autorisation de recourir à des effets de blocage pour contrarier les tendances irréversibles d’un système.
André Savard


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    17 avril 2010

    Robert Chevalier de Beauchesne n'oubliez pas de mentionner aux lecteurs que vous écrivez sous un pseudonyme. Faites un petit effort, ne ramollissez pas dans votre honnêteté; rajoutez donc le terme "pseudo" auquel vous nous aviez si bien habitué à la fin de votre «nom de plume». En ne le faisant pas, certains pouraient penser que vous tentez de les duper...
    Vive l'indépendance du Québec!
    Jacques L. (Trois-Rivières)

  • Archives de Vigile Répondre

    15 avril 2010

    Attention de ne pas confondre "dénationalisation" et "internationalisme culturel". L'un refuse que le Québec soit un tronc commun assimilateur, l'autre désigne un échange, un métissage des cultures. Le sens de l'expression "internationalisme culturel" est large et n'implique pas nécessairement des visées politiques: Picasso par exemple s'inspirant des masques africains.
    Par ailleurs, le Québec fonctionne comme s'il avait des pouvoirs délégués par le Fédéral. On ne voit pas en termes de droits ce qui sépare en ce moment l'Etat du Québec d'une intendance régionale même si ses responsabilités sont grandes. Un tel statut ne peut qu'exacerber la dénationalisation.

  • Archives de Vigile Répondre

    15 avril 2010

    J’en conviens, le Québec indépendant deviendrait la principale société d’accueil. Mais quel Québec au juste? Ce dont je voulais vous faire part est que le prétexte d’ouverture à l'autre, de modernité ou d’internationalisme utilisé pour nous culpabiliser et favoriser ainsi le bilinguisme et le pluralisme identitaire a cours depuis longtemps dans le seul cadre québécois. D’une part, parce que ces «valeurs» s’imposent toujours davantage en Occident et que d’autre part, nos élites et nos institutions y sont déjà largement gagnées. Advenant l’indépendance, croyez-vous qu’il en serait autrement? Croyez-vous que les pressions internationales et notamment celles venues du Canada cesseraient? Croyez-vous que nous pourrions remplacer au pied levé nos bonnes élites multiculturalistes et «bilinguisantes», qu’elles soient gouvernementales, universitaires ou institutionnelles?
    Je pense plutôt que, bien au contraire, la pression augmenterait et que nos bonnes élites bien québécoises auraient encore plus de pouvoir pour nous imposer leurs vues «dénationalisantes». L’indépendance ne ferait pas apparaître un État français comme par magie. Il faudrait peut-être s’en rendre compte.
    RCdB

  • Archives de Vigile Répondre

    15 avril 2010

    Un Québec indépendant serait une société d'accueil et non pas un second choix, la petite nation versus la grande, comme on se complaît à le répéter dans le contexte du Canada.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 avril 2010

    Monsieur Savard, à mon sens, il est un peu tard pour dénoncer l’argumentaire trudeauiste : s’il a bien servi les fédéralistes en son temps, il ne leur est plus de grande utilité tant le français a reculé un peu partout au pays. Les «francophones» qui restent, de surcroît confinés dans l’opposition par les «succès» du Bloc, ne représentent plus une force politique à circonvenir comme du temps de Trudeau. En revanche, ce qui devrait vous inquiéter bien davantage est la reprise par nombre de Québécois d’un argumentaire similaire pour mousser le pluralisme au Québec. Pour la plupart de nos élites et beaucoup de souverainistes, le Québec serait lui aussi, du fait d’une immigration grandissante et d’un métissage à leurs dires intense et séculaire, un microcosme du monde. En conséquence, c’est de ce pluralisme soi-disant fondateur, tout autant que de l’ouverture à l’autre, de la modernité et de l’internationalisme, dont on se réclame maintenant pour défendre le bilinguisme en la province. Non Monsieur Savard, il ne sert à rien de se plaindre du Canada en cette matière : le ver est bel et bien dans la pomme et l’indépendance ne pourrait que lui donner plus de force encore.
    RCdB

  • Raymond Poulin Répondre

    14 avril 2010

    Le pire, c'est de se faire servir ce sophisme également par des Québécois de souche, telle Christine St-Pierre, ministre du gouvernement québécois et, par-dessus le marché, responsable de la protection de la langue. Geste partisan hors-limite, trahison mûrement réfléchie, faiblesse neuronale ou conditionnement de colonisée? Allez savoir!