Le débat des mal-aimés

Débat des chefs - Québec 2007


La montée de l'ADQ, enregistrée par les maisons de sondage, s'explique-t-elle par une «dumontmania»? Il est permis d'en douter. Si la personnalité de Mario Dumont provoquait un tel phénomène, il n'aurait pas fallu attendre sa quatrième élection pour qu'on le constate!
Des candidatures de prestige se seraient liées à son destin. Enfin, personne n'aurait prédit la mort de son parti ou souhaité que Lucien Bouchard en prenne la direction, comme en mai 2006!
La force de Mario Dumont ne renvoie pas à sa personnalité, mais à son habileté à rebondir. Premièrement, il s'est fait le porte-parole d'un nationalisme de droite, latent, mais néanmoins présent dans bien des régions. Deuxièmement, il a su profiter des faiblesses de ses deux adversaires. Dans la mesure où 60% des Québécois ne veulent pas d'un référendum sur la souveraineté et que 57% d'entre eux sont insatisfaits du gouvernement libéral, il ne reste, exception faite des petits partis, qu'une option: l'ADQ. Si certains se reconnaissent en lui, c'est que par comparaison les autres semblent moins attrayants.
Nul doute que, du côté des péquistes et des libéraux, il y a peu d'engouement à l'endroit du chef. Depuis 1998, Jean Charest, sauf à quelques moments bien précis, n'a jamais été applaudi par une large proportion de Québécois. Il a même provoqué un niveau d'insatisfaction record: jamais un gouvernement n'a été aussi impopulaire aussi longtemps. Il y a moins d'un an, 65% des répondants à un sondage Léger Marketing souhaitaient son départ. Quant à André Boisclair, le courant ne passe pas entre lui et une majorité de Québécois: seulement 19% des répondants l'estiment «le plus apte à gouverner», soit 10 points de moins que son parti.
Débat de ce soir
Ce sont donc trois mal-aimés qui débattront ce soir devant plus de deux millions de Québécois. Deux d'entre eux jouent leur avenir. Et tous jouent gros, notamment parce que personne n'a oublié le débat de 2003. Alors que péquistes et libéraux étaient quasi à égalité avant le débat, l'équipe de Jean Charest a gagné cinq points dans les jours qui ont suivi l'affrontement télévisé et les péquistes en ont perdu autant: les libéraux ont ainsi obtenu l'un des très bons scores de leur histoire et les péquistes de Bernard Landry, l'un des pires. Plus l'électorat est changeant et fragmenté, plus un débat est lourd de conséquences.
Que doivent-ils faire? En fin de parcours, chaque chef doit généralement chercher à gagner les segments les plus volatiles de l'électorat. Moins informés, plutôt ambivalents, souvent distants de l'actualité politique, ce sont ces électeurs que visent les machines partisanes. Ratisser au centre sans perdre les plus convaincus, tel est le défi des trois chefs pour la période qui s'ouvre avec le débat!
Mario Dumont doit démontrer qu'il peut, par son nationalisme modéré, déverrouiller les affrontements traditionnels et «faire la différence» en détenant un bon nombre de sièges. Toute son attitude doit projeter une image de force, doublée de souplesse, illustrant sa capacité à innover, à défaut de diriger le Québec. Conscient de la faiblesse de son équipe, il peut faire valoir, si besoin est, qu'il pourrait aller chercher des ministres à l'extérieur de la députation comme René Lévesque ou Robert Bourassa l'ont déjà fait. Attaqué pour l'absence de cadre financier et l'ampleur des dépenses qu'il propose, il peut certes prétexter l'attente du budget fédéral, mais il doit impérativement avancer quelques chiffres pour éviter de reproduire le cafouillage de Tout le monde en parle.
Jean Charest peut, quant à lui, tabler sur le pragmatisme des électeurs. Reconnaître ses erreurs, comme il l'a déjà fait, constitue une attitude qu'il pourrait afficher dès l'ouverture. Attaqué sur son bilan, il peut mettre l'accent sur les efforts accomplis et les progrès réalisés. Les adverbes «solidement», «sûrement» et «prudemment» pourraient s'inscrire en filigrane dans son discours. Sans aucun doute, il doit mettre l'expérience de son équipe de l'avant. Des trois, il est perçu comme le meilleur «debater». Sera-t-il en mesure de rééditer l'exploit de 2003 et sortir une carte surprise de sa manche? Ça reste à voir.
André Boisclair est le plus mal-aimé des trois: son parti connaît une chute sans précédent. Il n'a jamais fait de pareils débats. Cependant, compte tenu de l'absence de Québec solidaire et des verts à cet exercice, il peut d'abord ratisser le centre-gauche en jouant la carte de la social-démocratie, concept-clé de la culture politique québécoise. Ensuite, on devine qu'il jouera la carte du «grand rêve» pour amener les souverainistes aux urnes. Quant à l'urgence référendaire, il pourrait profiter de cette occasion pour montrer qu'il n'est pas suicidaire et qu'il ne serait pas, à titre de chef de gouvernement, l'otage de l'empressement de sa base militante. S'il ne parvient pas à projeter une image de premier ministre, il doit viser à «sauver les meubles». Bon côté: les attentes à son endroit sont peu élevées.
Bref, la soirée sera à haut risque pour les trois hommes. En fait, il n'existe aucune recette et le gagnant sera probablement celui qui aura perdu le moins.
Jean-Herman Guay
L'auteur est politologue à l'Université de Sherbrooke.


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