Accusé par Jean-François Lisée d’avoir jadis encouragé Ottawa à utiliser son « pouvoir de dépenser » pour empiéter sur les champs de compétence du Québec, le premier ministre Couillard a proposé que son vis-à-vis péquiste et lui explorent leur prose respective pour déterminer qui s’est contredit le plus souvent au fil des ans. « Je peux déjà vous dire que sa bibliothèque des dernières années est pleine de rebondissements », a-t-il lancé.
La production de M. Lisée étant nettement plus abondante, les virages, volte-face et autres changements de cap le sont sans doute aussi. En proportion, M. Couillard n’en a pas moins exercé avec une impressionnante fréquence ce qu’il a déjà appelé son « droit d’évoluer », au point de prendre le contre-pied de ce qu’il soutenait la veille. Le cheminement intellectuel de ce disciple d’Héraclite d’Éphèse, apôtre du « mobilisme », est une magnifique illustration du principe selon lequel « rien n’est permanent, sauf le changement ».
On note parfois une discordance étonnante, pour ne pas dire choquante, entre les positions qu’il défendait quand il se sentait autorisé à penser librement et celles qui lui semblent plus appropriées à sa fonction de premier ministre ou qui correspondent mieux à ses intérêts du moment.
Les propos qu’il avait tenus devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain en décembre 2011, quand il avait temporairement pris congé de la politique, et ce qu’il a fait une fois devenu premier ministre offrent un magnifique exemple de ce double langage que certains pourraient carrément prendre pour de la schizophrénie.
La question qu’il avait posée ce jour-là était audacieuse : « Est-ce vraiment une bonne chose que le ministre de la Santé soit le dirigeant ultime du système de santé lui-même ? » Dans son esprit, la réponse était claire : la gestion quotidienne devait être retirée des mains du ministre pour être confiée à une société indépendante. On connaît la suite : non seulement le ministre de la Santé a conservé ses attributions, mais M. Couillard a laissé Gaétan Barrette s’arroger des pouvoirs sans précédent.
Un article que M. Couillard avait écrit un mois plus tôt pour le compte de l’institut de recherche Canada 2020 est revenu le hanter cette semaine, alors que M. Barrette se débat comme un diable dans l’eau bénite pour qu’Ottawa maintienne sans imposer de conditions sa participation au financement des services au niveau que le gouvernement Martin avait fixé en 2004.
« Alors que nous approchons de l’année 2014, certains souhaiteraient que l’accord actuel — notamment la clause d’indexation annuelle de 6 % — soit renouvelé tel quel. Ce serait là une occasion ratée », écrivait M. Couillard. Même si M. Barrette joue simplement le rôle du méchant pour amuser, c’est quand même un peu gênant pour lui.
La reconduction de l’entente de 2004 « devrait être liée à des progrès substantiels dans le rendement », disait encore M. Couillard, qui invitait le gouvernement fédéral à « assumer un leadership certain en s’appuyant sur sa contribution financière de façon à devenir un agent du changement et à concentrer l’ensemble du pays sur l’avenir de nos soins de santé ». Trudeau père et fils n’auraient pas dit mieux.
M. Couillard s’est senti insulté quand François Legault lui a lancé que Jean Lesage ou Robert Bourassa n’auraient jamais tenu de tels propos. « Nous sommes tous, ici, des Québécois très fiers de l’être », a-t-il répliqué. La question n’est cependant pas de savoir s’il est un bon Québécois, mais s’il est un bon premier ministre.
« J’ai déjà écrit très nettement que le fédéral n’a pas à s’autodésigner comme policier du système de santé canadien », a-t-il plaidé. En effet, c’est M. Couillard lui-même qui lui offrait l’emploi. L’oeuvre de Lisée est peut-être pleine de rebondissements, mais on ne trouvera nulle part pareille abdication.
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