L’ivresse du pouvoir

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Pas fort, pas fort !

La politique est une sorte de condensé de la nature humaine dans ce qu’elle a de meilleur et de pire. C’est ce qui la rend si fascinante. On y rencontre des gens qui démontrent un admirable souci du bien commun, alors que d’autres — une minorité — cherchent plutôt les avantages qu’ils peuvent en tirer.

L’exercice du pouvoir comporte de nombreuses responsabilités et la première est de ne pas en abuser, que ce soit pour favoriser un ami ou simplement passer devant une file d’attente. Profiter de sa position d’autorité pour obtenir des faveurs sexuelles est sans doute la forme la plus sordide de l’abus de pouvoir.

Dans son édition de jeudi, Le Devoir faisait état d’une étude expérimentale publiée conjointement par l’Université de Montréal et l’Université de Rennes, dont le constat est pour le moins troublant : le tiers des hommes pousseraient la séduction jusqu’à l’agression s’ils avaient l’assurance de ne pas être poursuivis. Ceux qui estiment pouvoir bénéficier d’une telle impunité sont heureusement moins nombreux, mais l’ivresse du pouvoir peut en amener certains à se croire invulnérable.

Le député libéral de Laurier-Dorion, Gerry Sklavounos, nie catégoriquement les allégations d’agression sexuelle dont il fait l’objet. Peut-être faut-il y voir l’illustration de cette autre conclusion de l’étude citée par Le Devoir : « Pour beaucoup d’hommes, l’expression d’une absence de consentement — à distinguer d’un refus clair — peut être interprétée comme une résistance de façade ou une invitation à faire plus d’efforts. »

Des nombreuses entrevues qu’elle a accordées, il ressort qu’Alice Paquet croyait avoir signifié de façon explicite son refus d’une relation sexuelle complète et on comprend mal pourquoi elle aurait dû se rendre à l’hôpital pour soigner ses blessures si tout s’était déroulé dans une parfaite harmonie.

Si l’enquête policière confirme le bien-fondé de sa plainte, il appartiendra toutefois aux tribunaux de statuer sur la clarté de cette absence de consentement, et le cas de Jian Ghomeshi a démontré qu’un contre-interrogatoire efficace peut mettre en lumière des contradictions qu’un juge ne peut ignorer. Après une première agression, Mme Paquet est demeurée en contact avec M. Sklavounos, et il y a eu une deuxième relation que le juge pourrait interpréter autrement qu’elle.

La légalité est une chose, la réalité politique en est une autre. Même si M. Sklavounos était innocenté, il y a fort à parier que le tribunal de l’opinion publique rendra un verdict différent. Elle retiendra surtout le témoignage bouleversant de Mme Paquet et les séquelles laissées par cette douloureuse expérience.

Malgré la présomption d’innocence, le premier ministre Couillard n’avait pas d’autre choix que d’expulser M. Sklavounos du caucus libéral et il l’a fait promptement, sans doute de façon définitive. Justin Trudeau en avait écarté deux à la suite d’allégations nettement moins graves, qui ont fait l’objet d’un rapport dont les conclusions n’ont jamais été divulguées.

Au fil des ans, le député de Laurier-Dorion s’est acquis la réputation d’un homme particulièrement insistant dans ses avances, et le bureau du premier ministre ne pouvait pas ignorer ses écarts de conduite. Il ne peut plus continuer à fermer les yeux. Certes, M. Sklavounos n’est pas le premier politicien aux mains baladeuses et au langage cru à écumer la Grande-Allée, mais le style « mon oncle » est de moins en moins prisé. Si le monde politique demeure dominé par les hommes, il existe maintenant une masse critique de femmes qui s’emploient à les policer, comme dans d’autres secteurs de la société, même si les progrès peuvent sembler lents.
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