Le charme italien

Coalition BQ-NPD-PLC

Durant la dernière campagne fédérale, Michael Fortier avait fait le tour du Québec avec un panneau publicitaire qui évaluait à 350 millions le coût du Bloc québécois depuis 18 ans. Même un fédéraliste devrait reconnaître que cela les valait amplement.
Si le Bloc n'avait pas empêché le Parti conservateur de former un gouvernement majoritaire le 14 octobre, les mesures ahurissantes que James Flaherty a annoncées dans son énoncé économique de la semaine dernière auraient eu force de loi. Les dommages causés à la société canadienne auraient pu être incalculables.
Quelle qu'en soit l'issue, la crise politique qui ébranle le Canada aura inévitablement un impact sur l'élection québécoise du 8 décembre, ne serait-ce qu'en réduisant encore davantage le peu d'intérêt que la population y a prêté jusqu'à présent. Comme pour mieux l'illustrer, le vote fatidique à la Chambre des communes est prévu le même jour, si on en arrive là.
Malgré tous les efforts de Pauline Marois pour associer Jean Charest et Stephen Harper dans une même soif de pouvoir absolu, la démonstration presque caricaturale des inconvénients d'un gouvernement minoritaire à laquelle on assiste depuis cinq jours risque de faire une plus forte impression sur les électeurs.
Il est vrai que l'idée d'un gouvernement de coalition formé par le PLQ et le NPD, avec l'appui du Bloc, semble avoir la faveur des Québécois, selon un sondage Crop-La Presse effectué en fin de semaine dernière, mais il s'agit simplement d'un moindre mal. N'importe quoi, plutôt que de nouvelles élections.
Certes, le premier mandat de M. Charest a laissé de bien mauvais souvenirs, et rien n'assure que sa métamorphose de la dernière année soit définitive. La lassitude que provoque l'impression d'être en campagne électorale de façon presque permanente pourrait néanmoins en amener plusieurs à vouloir acheter la paix en votant pour le parti le plus susceptible de former un gouvernement majoritaire.
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Depuis le débat des chefs, Mme Marois mène une très bonne campagne, mais sans une remontée aussi fulgurante qu'improbable de l'ADQ, les chances que le PQ puisse obtenir une majorité à l'Assemblée nationale semblent bien faibles.
Un des principaux arguments de la chef péquiste est que M. Charest ne dispose d'aucun rapport de force pour forcer la main d'Ottawa. Alors qu'il s'était montré d'une étonnante pugnacité durant la campagne fédérale, le chef libéral a semblé enterrer la hache de guerre dès qu'il est lui-même entré en campagne, comme s'il cherchait à ménager l'avenir. Au-delà de ses lamentations sur les aléas d'un gouvernement minoritaire, son silence sur le contenu de l'énoncé de M. Flaherty est pour le moins troublant.
La formation d'un gouvernement de coalition appuyé par le Bloc pourrait néanmoins régler d'un coup son problème de rapport de force. D'ailleurs, depuis qu'il est premier ministre, Gilles Duceppe lui a été très utile pour conforter M. Harper dans ses bonnes dispositions envers le Québec. Déjà, le rétablissement des subventions aux organismes de développement économique et aux tournées culturelles, que M. Charest avait réclamé en vain, est prévu dans l'entente tripartite signée hier.
Bien entendu, M. Duceppe ne pourra pas influer sur chacune des décisions de la coalition pour avantager le Québec et il ne pourra pas forcer une réouverture de la Constitution, mais on peut avoir une certaine assurance qu'il n'y aura pas de coups fourrés, comme la diminution du poids du Québec à la Chambre des communes ou la création d'une commission des valeurs mobilières pancanadienne.
Pauline Marois exigerait assurément davantage que M. Charest, même si rien assure qu'elle obtiendrait plus. Il n'en demeure pas moins qu'à partir du moment où le Bloc est en mesure de dicter ses conditions, la réélection des libéraux devient moins inquiétante en ce qui concerne les intérêts du Québec. Du moins, tant qu'il appuiera la coalition.
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Il est plus difficile de déterminer qui tirera le plus grand avantage de cette crise à long terme. En 1991, Lucien Bouchard n'avait pas du tout aimé entendre Jacques Parizeau se réjouir à la perspective de voir l'entrée en scène du Bloc transformer les Communes en «Parlement à l'italienne» qui aurait un effet répulsif sur les Québécois.
«Les souverainistes n'ont pas intérêt à ce qu'un grand nombre de personnes regardent encore Ottawa comme un gouvernement stable, sérieux. Il faut que l'image projetée soit celle d'un gouvernement faible, désorienté et qui va l'être plus encore à l'avenir. Ça, c'est parfait», avait expliqué M. Parizeau.
Il faut reconnaître que ni M. Bouchard, ni Gilles Duceppe n'ont fait quoi que ce soit en ce sens. Le Bloc s'est toujours conduit de façon responsable, dans le plus grand respect de l'institution au sein de laquelle il oeuvre depuis près de vingt ans.
Il n'en demeure pas moins que le Parlement canadien acquiert depuis quelques jours un charme tout italien. M. Harper s'est indéniablement conduit comme un idiot, mais il demeure que son parti est venu bien près d'obtenir une majorité de sièges, il y a moins de deux mois, et qu'il pourrait être remplacé par un homme qui a conduit le sien à son pire résultat électoral depuis 1867.
Le moins que l'on puisse dire est que la légitimité de Stéphane Dion -- celui à qui tout semble arriver par accident -- ne s'imposerait pas d'emblée. Comme disait M. Parizeau, cela ne fait pas très sérieux et, qui sait, le plus surréaliste est peut-être à venir.
Même si M. Harper est le premier responsable de son malheur, la chute des conservateurs créerait certainement un grand ressentiment dans l'ouest et l'idée qu'un parti séparatiste se voie reconnaître un droit de veto sur les destinées du pays ne fera certainement pas l'unanimité au Canada anglais. D'un point de vue souverainiste, ce n'est pas sans intérêt non plus.
mdavid@ledevoir.com


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