Jamais je n’aurais cru que je me sentirais un jour un devoir de produire un texte défendant le père du Clarity Bill. Mais la crise parlementaire de décembre aidant…
Jeffrey Simpson, chroniqueur au Globe and Mail, s’est toujours fait grand dénonciateur du « chantage » des politiciens québécois afin que la plus grosse part de la tarte canadienne revienne au Québec. Il fallait donc s’attendre à des éclats de sa part quand il apprit l’entente Dion-Layton-Duceppe. Le 5 décembre, il titre « And the winner is… the Bloc », sous-titre : « The loser is Canada », et explique : « Un Canada perdant avec gouvernement minoritaire du fait qu’avec un Bloc devenu le parti préféré des Québécois, cela devient la règle plutôt que l’exception. Harper a déjà passé tout près de succomber, et voilà que chutent libéraux et néo-démocrates. Le Bloc en sortira gagnant-gagnant. Il criera victoire si la Coalition accepte ses demandes. Et menacera de défaire celle-ci, si elle n’y répond pas. »
Il ne fallait pas croire que ce qui cause tant d’effroi à Simpson allait être mieux perçu chez nous. Sur les ondes de « La radio qui parle », Denise Bombardier en vient vite à canonner «que le Canada fait face à un coup d’État ». « Un putsch, rien de moins » canonne à son tour notre Lysiane nationale. Coup d’État et de la part de Dion et Layton? Complicité de Duceppe? Si Lysiane Gagnon est toujours fin prête à suivre les commandes des Desmarais, qu’arrive-t-il à notre Denise Bombardier d’ordinaire si prompte à réprouver les excès de langage?
Ailleurs, des pays n’ont souvent jamais connu autre chose que des gouvernements minoritaires, et personne ne parle ni de putsch ni de coup d’État quand le gouvernement tombe suite à un vote de confiance. Et est remplacé par une coalition. Ici, dans le seul espoir de se parfaire une majorité, un premier ministre déclenche des élections précipitées. Il faillit à la tâche et, en tout début de la première session, se permet de brader les partis d’opposition en leur présentant un programme indigeste.
Tout au côté de l’article pisse-vinaigre de Simpson, Rick Salutin explique ce qui a poussé Harper à la provocation en utilisant l’image d’un scorpion demandant à une grenouille de l’aider à traverser la rivière. Celle-ci accepte, mais se noie à la presque toute fin du trajet ayant été mordue par son compagnon de voyage. Et la bibitte de se justifier en disant que c’est dans sa nature de mordre. « La vraie nature de Harper est d’être archiconservateur », conclut Salutin. Oublions l’élimination des subventions accordées aux partis politiques. Il reste que, avec la crise économique qui se pointe, l’énoncé de politique qui fut présenté aux trois partis d’opposition était amplement suffisant pour que ceux-ci aient l’obligation morale de renverser ce gouvernement. Et de le remplacer par une coalition.
Mais était-ce constitutionnel d’agir ainsi ? Sur ce sujet, à la télé de Radio-Canada le 3 décembre, deux constitutionnalistes ont croisé le fer. Eugénie Brouillet de l’Université Laval soutenait que Michaëlle Jean n’aurait d’autre choix que de répondre à toute demande du premier ministre pour proroger la session ou pour dissoudre la Chambre suite à un vote de non-confiance, tandis que David Robitaille, de l’Université d’Ottawa, était en total désaccord avec elle.
Ce dernier ayant étayé son argumentation dans Le Devoir du 8, c’était autour d’Eugénie Brouillet de lui répondre le 11, épaulée cette fois par Henri Brun et Guy Tremblay. Texte avec conclusion surprenante : « Chez nous, cette situation (de coalition) n’est susceptible de se présenter que dans le prolongement d’une élection générale n’ayant donné la majorité absolue à aucun parti : si le gouvernement est battu dès que siège le nouveau parlement, un parti d’opposition susceptible d’obtenir l’appui de la chambre pourra être appelé à former le gouvernement. » Eh, doctes gens de Laval, c’est justement lors d’un début de session postélectorale que Harper a osé faire du forcing avec les trois partis d’opposition!
On a beau parler ici de convention constitutionnelle, il demeure indécent que Michaëlle Jean ait accepté la demande de Harper de proroger une session venant tout juste de débuter, la seule raison de sa requête étant d’éviter que le Parlement le désavoue. Sa seule justification : l’argument Simpson à savoir qu’il est tout à fait anticanadien qu’un parti fédéraliste « couche avec un parti dont l’objectif est de briser le Canada ». Dans les jours qui ont suivi l’annonce de l’entente, la machine de propagande conservatrice marchait déjà à plein régime. Stéphane Dion nous était montré comme frayant avec le Diable. Et on demandait aux citoyens d’aller manifester contre une éventuelle mainmise du pays par les séparatistes. Tous les journaux du ROC ont avalé la couleuvre. Un soir aux nouvelles, on a pu voir le spectacle pathétique du père du Clarity Bill qui, de son siège de chef de l’opposition officielle, jurait à tous les dieux que, toute sa vie, il l’avait consacrée à défendre le Canada.
Il faut admirer Dion. Quelle constance à défendre « le plus meilleur pays du monde »! Le soir de sa défaite électorale, la caméra d’Infoman l’a suivi, arpentant seul avec sa femme un long corridor l’amenant et le ramenant de l’endroit où l’attendaient la télévision et quelques partisans. À ceux-ci, il a prononcé les mots d’usage : « À la prochaine ».
Il n’y en aura pas de prochaine. Déjà en ce soir du 14 novembre, on ne pouvait plus sauver le soldat Dion. N’ayant pas pu gagner sa province à la Cause de sa vie, Bay Street l’a lâché. Et, effet domino, son parti l’a lâché. Et il ne serait pas surprenant d’apprendre un jour que certaines personnes bien placées dans l’establishment du parti ont saisi l’occasion d’une présentation vidéo afin de déshonorer leur chef…afin qu’il comprenne… Et Denise et Lysiane qui continuent à croire à un coup d’État! À un putsch! Désolant! Indécent!
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