FERMÉ JUSQU'AU 26 JANVIER

Harper tend la main à l'opposition, sauf au Bloc

Coalition BQ-NPD-PLC

Hélène Buzzetti - Ottawa -- Le suspense aura duré deux heures et demie, mais le premier ministre Stephen Harper aura finalement obtenu de la vice-reine la prorogation qu'il réclamait, fermant le Parlement avant que le couperet ne tombe sur son gouvernement. Le chef conservateur promet d'ici janvier de tendre la main à ses adversaires pour planifier le budget, mais pas au Bloc québécois, dont les visées sont, à son avis, contraires aux intérêts du Canada.
Le premier ministre est arrivé à Rideau Hall à 9h30 tapant hier, pénétrant dans l'édifice par une porte dérobée. Son entourage voulait empêcher les journalistes de le voir entrer, et ce n'est que lorsque ceux-ci ont confronté les agents de la GRC et fait fi des interdictions qu'ils ont pu s'approcher et croquer Stephen Harper sortant de son véhicule.
Il ne s'attendait pas à devoir parlementer aussi longtemps avec la gouverneure générale: il a dû annuler un périple prévu à Woodstock en début d'après-midi. Par respect pour les «traditions constitutionnelles», il n'a pas voulu expliquer la raison de ce délai. Il n'a accepté de répondre qu'à cinq questions.
Stephen Harper estime que la prorogation obtenue donnera à son gouvernement le temps nécessaire pour concocter le plan économique promis en campagne électorale. Toutefois, seuls le Parti libéral et le NPD sont à son avis habilités à suggérer au gouvernement une voie à suivre pour aider l'économie canadienne.
«Il y a dans le Parlement du Canada quatre partis et deux [députés] indépendants, a-t-il expliqué en français. Ils sont tous [...] élus pour représenter les intérêts et les perspectives de leurs électeurs. En même temps, il y a trois partis nationaux qui ont une responsabilité [envers leurs] électeurs de travailler pour l'intérêt du Canada tout entier. Et je pense que c'est essentiel pour nous, pour nos trois partis, de travailler ensemble sur les décisions que ce pays doit prendre pour ce budget.»
M. Harper, qui a soufflé toute la semaine sur les braises de l'unité canadienne, a longuement expliqué que la présence de souverainistes à Ottawa était peut-être «légitime», mais qu'il était dangereux pour le pays de s'y associer. «Leur objectif n'est pas de travailler pour l'économie dans l'intérêt supérieur du pays, a-t-il expliqué. Ils ont un ordre du jour fondamentalement différent.» Cette différence est si profonde, selon lui, qu'elle «est plus fondamentale que celle existant entre ceux qui sont un petit peu plus en faveur du libre-marché et ceux qui sont un peu plus interventionnistes» en matière économique.
C'est justement sur cette question que les libéraux et les néodémocrates s'opposent aux conservateurs. Si, pour relancer l'économie canadienne chancelante, les conservateurs réduisent les impôts, la taxe de vente et sabrent les dépenses gouvernementales, l'opposition, incluant le Bloc québécois, voudrait au contraire augmenter les dépenses et venir en aide à certains secteurs industriels.
Le chef du parti concerné, Gilles Duceppe, n'a pas apprécié de se faire traiter en pestiféré et a dit craindre les conséquences sur la paix sociale au pays. «Stephen Harper s'est sciemment et brutalement lancé dans la pire des politiques, celle de la division, de la peur et du mensonge, a-t-il déclaré. En contestant la légitimité des élus du Bloc québécois, le chef conservateur a dénigré le vote des Québécois. Il a poussé ses partisans à se lancer dans les pires attaques contre le Québec qu'on a vues depuis les événements de Meech. Stephen Harper s'est comporté comme un incendiaire, simplement pour sauver sa peau.»
Dangereux précédent
La gouverneure générale n'a pas expliqué pourquoi elle a accepté d'accorder cette prorogation à Stephen Harper, alors que la session parlementaire n'était ouverte que depuis 13 jours (dont un passé à élire le président de la Chambre). En outre, vendredi dernier, M. Harper avait retardé une motion de confiance prévue cette semaine, promettant à l'opposition que celle-ci se tiendrait le lundi suivant. Il n'a pas tenu promesse. Avec cette prorogation, le Parlement ne reviendra que le 26 janvier prochain, pour un autre discours du Trône et la présentation d'un budget le lendemain.
Les partis d'opposition étaient outrés de cette décision de Mme Jean, qu'ils disent toutefois respecter. «Il faut comprendre la gravité de ce qui s'est passé aujourd'hui, a déclaré le chef libéral, Stéphane Dion. Pour la première fois dans l'histoire de notre pays, le premier ministre du Canada fuit le Parlement canadien. Ce qu'a demandé M. Harper aujourd'hui est absolument sans précédent.»
Précédent. Plusieurs députés de l'opposition craignent qu'en acceptant de proroger la Chambre pour la seule raison de permettre à M. Harper de s'éviter une motion de censure, Michaëlle Jean n'ait donné le feu vert à tout futur premier ministre de mettre la clé dans la porte du Parlement chaque fois qu'il sentira la soupe un peu chaude.
«Je n'ai jamais vu ça, s'est exclamé le député bloquiste Claude Bachand. C'est sûr que ce n'est pas bon pour la démocratie. Dès qu'un premier ministre va être menacé, qu'est-ce qu'il va faire? Se rendre à Rideau Hall pour fermer le Parlement? Ça n'a pas de bon sens.»
Cette façon de se dérober a conforté les trois chefs dans leur opinion que M. Harper ne mérite pas leur confiance. «Il a utilisé une manoeuvre pour esquiver ses responsabilités. C'est un jour triste pour la démocratie parlementaire», a commenté Jack Layton, du NPD. Il estime qu'il «ne peut plus avoir confiance en quelqu'un qui attaque la démocratie». M. Duceppe a parlé d'un geste «immoral».
MM. Dion, Layton et Duceppe avaient fait parvenir à Rideau Hall une pétition signée par tous leurs députés, sauf la bloquiste Francine Lalonde (pour raisons médicales), demandant de refuser la demande de prorogation. Il avait aussi été question de rencontrer Mme Jean, mais cette idée a été abandonnée.
Un premier ministre en sursis?
Reste à savoir maintenant ce que compte faire le gouvernement des sept prochaines semaines dont il dispose avant le retour à la Chambre des communes. Considérant que sa légitimité est contestée par une majorité de députés, peut-il quand même dépenser des fonds publics, faire des nominations et proposer des politiques significatives? Interrogé sur ce sujet précis, M. Harper a répondu par l'affirmative. «C'est plus que de la légitimité. C'est ma responsabilité. C'est ma seule responsabilité, c'est de remplir mon mandat.»
Plusieurs critiques craignent que M. Harper ne profite de cette période pour procéder à toutes sortes d'annonces positives et ainsi mettre la table en vue d'une prochaine campagne électorale qui pourrait être déclenchée après Noël, s'il devait perdre un vote de confiance et qu'une fois de plus Michaëlle Jean accède à sa demande, celle-là de dissoudre le Parlement. M. Harper a indiqué qu'il n'avait jamais utilisé et n'utiliserait jamais les ressources du gouvernement pour mener une campagne électorale.
À Ottawa, une importante manifestation en appui à la coalition de l'opposition avait été organisée sur la colline du Parlement par les groupes syndicaux. Pour y faire contre-poids, une fausse manifestation, anticoalition avec les «séparatistes», a été organisée devant la résidence de la gouverneure générale (et à quelques pas du 24 Sussex). Une trentaine de personnes en faisaient partie, mais un grand nombre d'entre elles étaient en fait des employés du bureau du premier ministre.
Notons enfin que seulement quatre personnes se trouvaient dans le bureau de la gouverneure générale pour cette rencontre historique: le premier ministre, le greffier du Conseil privé Kevin Lynch, Michaëlle Jean et sa secrétaire principale, Sheila-Marie Cook.
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Avec la collaboration d'Alec Castonguay


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