La Wallonie « glamour » d’Emily Hoyos

Chronique de José Fontaine

J’exagère en utilisant ce mot anglais dans un journal québécois. Mais c’est celui utilisé un jour par Christophe Traisnel qui enseigne maintenant à Moncton. Il écrivait une thèse de doctorat comparant le Québec et la Wallonie. On lui avait demandé pourquoi il n’avait plutôt pas songé à une pays plus « glamour » que le nôtre… De fait, on a demandé, il y a quelques mois, aux Hollandais de je ne sais plus où, de désigner les deux villes les plus laides d’Europe. Ils ont répondu : Liège et Charleroi, nos deux grandes villes. Cela ne fait pas plaisir. D’où vient cette réputation ? Peut-être du fait que ce sont de vieilles villes ouvrières, au passé industriel plusieurs fois séculaire (c’est en Wallonie qu’a démarré la révolution industrielle sur le continent, vers 1750). D’où leur caractère prolétaire. Et ce qui est ouvrier, aux yeux du goût petit-bourgeois, c’est « laid ». La Wallonie est laide ipso facto. Mais à cette laideur physique s’est jointe une laideur morale imputable ( à tort ou non) à certains de ses représentants du PS. Qui « magouillent », qui apparaissent comme des profiteurs de la lutte en faveur de la vieille classe ouvrière.
Cette réputation peut s’étendre aussi aux paysans et d’une manière générale aux humbles. La RTBF a inventé une série de films intitulée « Streap tease » qui mettent en scène des marginaux dans la dèche. Luc Dardenne dans son livre Au dos de nos images (Seuil, Paris, 2008, Collection Points, pp. 21-22), dit qu’il n’aime pas ce genre : « Beaucoup d’émissions télévisuelles se font aux dépens d’une certaine couche sociale du bas dont les situations et les comportements exhibés en caricatures provoquent le rire du spectateur. Plus ce dernier est proche de la couche du bas (il sait qu’aujourd’hui on peut y tomber très vite), plus son rire est fort et trahit l’angoisse de la chute. Plus il est loin de cette couche du bas, plus son rire est amusé et empreint d’une certaine compassion. Quant aux gens des médias qui conçoivent et fabriquent ces émissions, leur rire est celui d’une bande de petits voyous qui vient de faire un mauvais coup. » Pourtant, ses films à lui (et de son frère Jean-Pierre), se situent en cette même catégorie d'humanité, mais avec un respect qui vient de très loin et de très profond, sans complaisance cependant.
Une jolie femme…
Compte tenu de cela, je pense que je dois quand même me réjouir que la nouvelle Présidente du Parlement wallon soit une jeune femme de 32 ans, ancienne étudiante universitaire « de combat », active, brillante, belle. Le Soir l’a photographiée sur le pont des Ardennes avec, à l’arrière-plan, la Meuse (ample à cet endroit car la Sambre la rejoint), et le rose du Parlement wallon presque dans le lointain, et, au premier plan, son visage, qui est celui d’une fort jolie femme. C’est une écologiste. Rien ne me fait plus plaisir que de voir les Verts au pouvoir à Namur, je l’ai déjà dit ici. Car ils y feront passer un vent non seulement de jeunesse, mais aussi de vertu (au sens de la République), et d’intelligence – et de gauche - cela c’est sûr. Mais enfin – je n’étonnerai pas les Québécois à cet égard – les Verts ont la réputation de n’être pas fort régionalistes (au Québec, on dirait « nationalistes »). Pourtant, avec le groupe (régionaliste) où je milite, le Mouvement du Manifeste Wallon, nous avons rédigé un Livre Blanc pour la Wallonie à la veille des élections. Il coïncide vraiment , sur bien des plans, avec le programme vert sur la Wallonie. Et ce n’est pas parce que nous avons lu leurs propositions, mais ces intellectuels, syndicalistes et anciens hommes politiques du Livre Blanc désirent supprimer les provinces, veulent une bonne gouvernance et souhaitent le dépassement de ce que nous appelons ici les « sous-régionalismes » . C’est-à-dire le fait que trop de députés wallons sont aussi bourgmestres de leurs communes et siègent au Parlement wallon un peu (voire beaucoup), pour ces communes aussi. Je sais qu’au Québec, pareil cumul est impensable, mais c’est dans notre culture politique (comme en France d’ailleurs). Sans que nous le proposions explicitement, nous sommes assez en faveur de députés qui seraient élus (comme c’est le cas en Ecosse par exemple), dans le cadre d’une circonscription wallonne unique (à côté d’autres députés élus localement). Et là aussi c'est au programme des Ecolos. En tout cas la revue que je dirige a souvent pointé l’intérêt de pareil système,notamment utilisé en Ecosse autonome. Emily Hoyos écrit à ce propos dans Le Soir : « L’identité wallonne ne peut pas être la somme d’intérêts régionaux. Assez des marchandages pour savoir si tel investissement bénéficiera à Liège ou Charleroi. Il faut défendre un intérêt wallon ! »Elle confie même qu’ayant vécu en plusieurs points de Wallonie, elle est wallonne avant tout. Quand j’étais jeune – je ne l’invente pas par galanterie – j’aimais bien dire que, né à Jemappes (première victoire de la République après Valmy en 1792, à l’ouest de la Wallonie), vivant à Dinant ( porte des Ardennes au sud de la Wallonie) et, comme Dinantais, de « nationalité » liégeoise (Liège a formé une principauté indépendante durant neuf siècles, à l’est), je me sentais universellement wallon (sans compter mon arrière-arrière-grand-mère flamande).
… avec qui j’aurais des affinités ?
Quoi qu’il en soit de mes affinités avec Emily sur ce plan (j’ai 63 ans, elle en a 32…), je pense que ce quelle dit est à comprendre comme du régionalisme civique. Et je dois dire que je ne peux aimer la Wallonie que de cette façon. Les Français diraient (et je le dis aussi) : il faut aimer son pays comme la République. Comme l’Universel. Je me souviens de l’étonnement de ce séminaire sur le "patriotisme" à Louvain-la-neuve où Jean-Marc Ferry disait à peu près ceci. Que l’universalisme, c’est déjà le fait de quelqu’un qui, dans son village, se sent porté par le désir d’en défendre l’intérêt collectif. Ce qui me fait penser à Jaspers disant que « celui qui aime l’humanité n’aime rien, mais bien celui qui aime tel ou tel être humain déterminé » . Ou Spinoza qui a dit quelque part que plus nous connaissons de choses singulières, plus nous connaissons Dieu. Et cela me fait penser à José Happart, prédécesseur d’Emily, retraité de la politique (même âge que moi), populaire, mais pas glamour (c’est un fermier). A qui je crois, Emily Hoyos ne s’identifie guère, mais qui dans un genre plus discuté (sinon discutable), a incarné un certain courage républicain face aux fascistes des Fourons. Et qui reste un véritable ami. Si Emily Hoyos ne s’y identifie pas, je peux la comprendre. Mais c’est injuste. Happart a au moins le mérite d’avoir été pendant deux décennies, l’homme politique le plus haï des médias, le plus méprisé, à la limite du genre « Streap tease » vomi par Luc Dardenne, ce qui n’est pas peu dire. Le roi Baudouin Ier ne lui serrait plus la main. Et cela, c’est quand même fantastique ! Là je m’ « identifie »…
PS: Une rubrique « Québec » dans Toudi, pas encore assez développée. Et aussi Francophonie:voyez l'article Pourquoi nous sommes des Romands..., cela en vaut la peine et c'est court.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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