La révolution cachée de M. Couillard

Santé - le pacte libéral



Depuis que Philippe Couillard a évoqué son départ de la vie politique, la semaine dernière, bien des observateurs ont proposé un bilan mitigé de ses cinq années passées à la tête du ministère de la Santé. Malgré ses évidentes compétences, a-t-on dit en substance, le ministre n'a pas réussi à régler les problèmes du système de santé, rien n'a changé et ça ne va pas mieux qu'avant.

Cette analyse est incomplète et injuste. Elle reflète la façon superficielle dont on aborde collectivement les questions de santé, notre tendance à s'attacher aux événements visibles et à attendre des résultats immédiats. Il est bien sûr évident que le problème des urgences n'est pas "réglé". On peut aussi trouver que les listes d'attente pour les chirurgies sont beaucoup trop longues. Mais on fait une grosse erreur en ne regardant que cela.
D'abord, parce que, dans bien des cas, les politiques qui permettront de régler plusieurs des problèmes qui hantent notre système de santé prendront des années avant de donner des résultats. C'est évidemment le cas de la pénurie de médecins et d'infirmières. À cet égard, Philippe Couillard a semé. Mais il n'a pas eu le temps de récolter.
Ensuite, parce qu'il y a eu de nombreux changements en profondeur qu'on ne voit pas, dont on ne parle pas et que, le plus souvent, on ne comprend pas. Je vais prendre un exemple assez récent d'une transformation majeure, qui n'a pas fait les manchettes, et qui, à mon avis, constitue pourtant une véritable révolution.
Cette révolution, c'est une toute nouvelle façon de financer les hôpitaux. Je devine que certains lecteurs commencent déjà à bâiller. Le financement des hôpitaux, c'est technique, ce n'est pas aussi hot que l'achat de scanners. Ça stimule si peu l'imagination que, jusqu'à ces derniers jours, cette mesure n'avait fait l'objet d'aucun débat politique, et n'avait même pas été mentionnée dans les médias.
Au Québec, les hôpitaux sont financés sur une base historique, en fonction de leur taille, de leur clientèle. Maintenant, ils sont financés par activité, une sorte de rémunération à l'acte où l'hôpital sera remboursé par le gouvernement pour chaque opération, et ce, pour toutes les formes de chirurgie. Si un hôpital réussit à augmenter le nombre d'opérations, il recevra plus d'argent.
Qu'est-ce que ça change? Cela marque la fin de la stratégie du rationnement. Depuis deux décennies, c'est en imposant des limites et des quotas qu'on a contrôlé l'explosion des dépenses de santé. Le revenu des médecins a été plafonné pour réduire le nombre de consultations et d'opérations. De la même façon, le financement des hôpitaux sur une base historique pénalisait les institutions qui voulaient augmenter leur volume d'activité, puisque leurs coûts augmentaient sans que les revenus puissent suivre. Cette façon de contrôler l'offre en fermant le robinet, typique des économies dirigées, a eu le même effet ici que dans les pays socialistes. Parce que l'État fermait le robinet, les citoyens devaient attendre.
C'est cela qui a disparu. Déjà, le plafonnement des actes médicaux a été levé. Un chirurgien peut maintenant faire autant d'opérations qu'il le peut. Le financement par activités pour les hôpitaux élimine le deuxième robinet. Une institution qui réussit à organiser le travail pour augmenter son volume sera récompensée. Ce changement de philosophie aura un effet énorme. En plus de réduire l'attente pour les patients, il encourage une gestion plus serrée, il pousse les hôpitaux à adopter une culture d'innovation et de développement.
Mais ça prend du temps. On l'a vu récemment avec l'étude réalisée conjointement par la Fédération des médecins spécialistes, le ministère de la Santé et l'Ordre des infirmières sur les listes d'attente en chirurgie, qui montrait que les hôpitaux pourraient faire 40 000 chirurgies de plus par année avec des mesures de gestion très simples.
Quand j'ai écrit là-dessus, il y a trois semaines, je notais qu'un des principaux facteurs qui empêchaient les hôpitaux d'augmenter leur productivité était la façon dont ils étaient financés. À ma grande honte, j'ignorais que cet obstacle important avait été levé. Mais je ne suis pas le seul, car de nombreux hôpitaux ne profitent toujours pas de ces nouvelles règles du jeu qui leur permettent d'accroître leur productivité et d'augmenter leurs revenus. Il est difficile de changer la culture dans ce réseau et d'en combattre l'inertie.
Des changements comme celui-là, il n'y en a eu beaucoup. Cela illustre le fait que, contrairement à la légende urbaine, le réseau de santé est en train de changer en profondeur. L'héritage de Philippe Couillard est là.


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