La réplique › Enseignement de l’histoire - Le pathos antididactique des messagers de la Coalition pour l’histoire

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Tennis académique

Les membres de la Coalition pour l’histoire, pris il y a quelques semaines en flagrant délit de manoeuvres secrètes pour influencer, seuls et sans partage, la ministre Malavoy concernant la révision du programme d’histoire de 2e cycle au secondaire, sont revenus en mode riposte médiatique ces jours-ci. Comme Frontenac, qui fut longtemps dans la construction nationaliste de notre passé un personnage important, il leur faut maintenant donner le change en « répondant par la bouche de leurs canons ». Dans ce dossier, il faut bien leur reconnaître un grand talent pour contrôler le message médiatique antiprogramme, antididacticiens et anti-ministère de l’Éducation, ces deux derniers « personnages » étant - comme d’habitude - amalgamés pour former le grand Satan responsable, selon eux, de la « disparition » de la nation dans le programme de 3e et 4e secondaire.
Dans Le Devoir du 24 mars, c’est au tour d’une autre « victime » de cette triste situation d’y aller de sa complainte simpliste et manichéenne, soit un jeune professeur d’histoire qui, dit-il, en « est arrivé à la conclusion que le ministère de l’Éducation a tout fait pour purger la dernière once de vie et de passion qu’on pouvait tirer de notre histoire nationale. Et ce, de deux façons : en découpant la matière de façon thématique, plutôt que chronologie ; et en effaçant du passé la question nationale ».
Allons sur le fond du message de M. François-Xavier Delorme. Sur la division entre la première année du programme en format chronologique et la deuxième année en format thématique, il y a ici un fait. Et il est clair que cet aménagement ne plaît pas à beaucoup d’enseignants d’histoire. En effet, vers 2004-2005, cette décision avait été imposée par en haut à l’équipe d’enseignants qui préparaient alors le projet de programme, et ce, dans le but de permettre aux élèves qui allaient quitter le secteur régulier pour les études professionnelles, à la fin de la 3e année du secondaire, d’avoir une vue d’ensemble de leur histoire. L’idée se défendait, mais elle ne passe pas le test de la réalité, notamment à cause des répétitions qu’elle génère en 4e secondaire.
Grand mensonge
Mais lorsque M. Delorme en vient à son deuxième point, soit « l’effacement » supposé de la question nationale, il déraille littéralement. Dans un autre texte publié récemment à ledevoir.com, j’ai rappelé quelques faits à ce propos. Théoriquement, tout ce que M. Delorme dit concernant l’absence de la nation dans l’actuel programme aurait pu être dit du programme précédent, qui a pourtant régné dans les écoles de 1984 à 2007. Pourtant, pendant toutes ces années, cette complainte sur l’absence de la nation n’est jamais ressortie parmi les enseignants. Pourquoi ? Pour la bonne raison que les enseignants d’alors, tout comme ceux d’aujourd’hui, ont toute latitude pour parler de la nation, et pour expliquer « avec brio quelles étaient les grandes forces sous-jacentes à notre histoire », notamment sur le plan national.
C’est là un des grands mensonges de la Coalition concernant la dimension didactique du programme en place. Ce dernier commettrait en effet le crime, comme c’est pourtant le cas depuis 1970, de ne plus articuler les contenus d’enseignement autour du grand canon nationaliste issu de Garneau et de Groulx. Or, les historiens porte-parole de la Coalition sont tous des militants de la cause nationaliste et indépendantiste. Mais dans leur conception des choses, ils confondent la nation - en fait, la nation canadienne-française pré-Révolution tranquille et non la nation québécoise ouverte et inclusive d’aujourd’hui - avec la société québécoise. Or, cette conception étroite de la nation ne peut pas constituer le principal objet d’étude du programme d’histoire, car la nation - au Québec comme ailleurs -, c’est une idée, une idée qui émane de la société, et plus précisément de certains groupes de la société qui la veulent, bien sûr, hégémonique. Or, MM. Delorme, Laporte et consorts entretiennent constamment cette confusion entre nation (canadienne-française) et société québécoise, glissement qui est par ailleurs tout à fait cohérent avec leur combat sur le terrain politique.
Terminons par une anecdote. Pas plus tard que le jeudi 21 mars, un d’entre nous était dans la classe d’un enseignant de Beauport de 4e secondaire qui participe à une recherche sur l’apprentissage des concepts en histoire. Avec 27 ans d’expérience d’enseignement, il a été formé à vieille école du baccalauréat majeur-mineur en histoire et en éducation. Il donnait une leçon sur le thème des relations de pouvoir, un des quatre thèmes du programme, pour la période 1791-1840. Il a articulé son cours autour de la construction conjointe, élèves-enseignant, d’un schéma organisateur - une méthode chère aux programmes actuels -, par lequel il organisait les liens entre les faits, personnages et événements habituels de cette période. Or, à travers tout ça, cet enseignant plaçait aussi, aux moments opportuns, des récits du type cher au coeur de MM. Laporte et Delorme, des récits explicatifs montrant les articulations qui donnent sens entre tous ces faits, et cela sans oublier les luttes de « nos ancêtres » contre les manoeuvres assimilatrices de la minorité anglo-britannique. Et tenez-vous bien, il m’expliqua après le cours qu’il utilisait de tels schémas depuis bien avant la réforme, et que, selon lui, cette jonction entre un enseignement conceptuel et des récits explicatifs, où la question nationale peut être parfaitement présente, était la plus fertile.
MM. Laporte et Delorme ont parfaitement raison de dire que le récit explicatif-chronologique est un des ressorts incontournables de l’apprentissage de l’histoire chez les adolescents (cette dimension est d’ailleurs travaillée dans nos cours de didactique). Mais ils induisent la population en erreur lorsqu’ils font croire, avec tout le pathos qu’on leur connaît, que cette stratégie d’enseignement a disparu des classes d’histoire en accusant à tort le programme actuel « d’interdire » aux enseignants d’y recourir. Et ce type de légende urbaine est légion dans leur discours.
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Signataires :
Jean-François Cardin - Historien et didacticien, Université Laval
Stéphanie Demers - Ex-enseignante d’histoire et didacticienne, UQO,
Marc-André Éthier - Didacticien, Université de Montréal et
David Lefrançois - Philosophe et didacticien, UQO
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Le déclencheur :
« J’ai en effet commencé, en septembre dernier, ma carrière d’enseignant dans une école secondaire de la grande région de Montréal. […] Au fil de ma préparation de cours, je suis arrivé à la conclusion que le ministère de l’Éducation a tout fait pour purger la dernière once de vie et de passion qu’on pouvait tirer de notre histoire nationale. »
François-Xavier Delorme, Lettre à mon professeur d’histoire, Le Devoir, Libre opinion, 22 mars 2013.


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