Un cours d’histoire trop «orienté» au goût des profs

«C’est de l’instrumentalisation. C’est dangereux.»

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Une opinion montée en épingle

En pleine consultation publique, le nouveau cours d’histoire au secondaire, qui sera testé en projet-pilote dès l’automne 2014, suscite encore la polémique. Cette fois, la Coalition pour l’histoire y trouve son compte, mais ce sont les enseignants qui le critiquent. « On ne trouve pas que ça s’enligne bien », a confié au Devoir Louise Proulx, présidente de l’Association québécoise pour l’enseignement en univers social (AQEUS). « On pense qu’il ne faut pas tout jeter du programme actuel. Il y a des choses très correctes. »
Pour elle, le travail fait jusqu’ici par les deux experts mandatés par le ministère de l’Éducation (MELS) est trop calqué sur les positions de la Coalition pour l’histoire, qui plaide pour remettre le concept de « nation québécoise » au coeur de l’enseignement. « On pense que le rapport est plus orienté sur la position de la Coalition, qui ne fait pas nécessairement l’unanimité auprès de nos enseignants », a dit Mme Proulx.

Elle craint que cette vision, partagée par le gouvernement péquiste, ne serve pas la cause des élèves. « C’est de l’instrumentalisation. C’est dangereux, a-t-elle ajouté. Une telle position politique, ça peut se dénoncer. » L’AQEUS, qui fera connaître ses positions au ministère d’ici quelques jours, entend faire pression. Elle pourrait même faire une sortie dans les médias la semaine prochaine.

Les enseignants dénoncent les délais beaucoup trop courts. « On est déjà en consultation, ça devrait finir en décembre et ça pourrait commencer à être implanté en 2014. C’est aberrant. On n’a jamais vu un programme s’écrire si vite, souligne Mme Proulx. C’est demain matin ! »
Les élèves sont oubliés

Le document qui sert de guide aux consultations, fait par le sociologue Jacques Beauchemin et l’historienne Nancy Fahmy-Eid, n’est pas « assez centré sur les élèves », croit Lise Proulx. Il semble faire la part belle à un retour aux connaissances, versus aux compétences, selon la terminologie propre à la réforme. « On voit qu’il y a comme un retour à l’enseignement d’un récit national et non « des récits ». Ce serait mentir aux élèves que de ne pas leur dire que l’histoire, c’est des interprétations. Tous les historiens savent ça », a-t-elle indiqué.

Selon elle, cette nouvelle façon de faire ne sera pas compatible avec les bonnes pratiques pédagogiques. « Enseigner le passé pour le passé, ça ne dit pas grand-chose aux élèves. Ils vont tout apprendre par coeur pour l’examen et oublier ensuite. L’histoire, c’est autre chose que des faits et dates. »

L’AQEUS ne croit pas qu’il est faisable ni souhaitable de revoir le cours d’histoire au secondaire sans changer le régime pédagogique ou toucher à d’autres cours. Elle se préoccupe notamment de la quasi-disparition de la géographie au secondaire. « Ça ne sert aucune cause. C’est pour ça qu’on s’en préoccupe. Il n’y a que l’histoire dans leur viseur. »

Tout comme les enseignants, le Réseau pour le développement des compétences par l’intégration des technologies, domaine de l’univers social (RECITUS) adresse aussi plusieurs reproches au document de consultation fait par les experts. Il ne faudrait pas tout jeter du programme actuel, avertit-il. L’enseignement du récit national ne doit pas prendre toute la place. « Nous avons une certitude : l’enseignement de l’histoire ne peut se résumer à [comme l’a déjà écrit le MELS] des « exercices pratiques épisodiques à la remorque d’un important travail de transmission de connaissances par l’enseignant » », a écrit le RECITUS dans son mémoire.

Il plaide également pour laisser encore la place au « présent » dans le programme, ce qui est nécessaire pour intéresser l’élève à l’histoire. « L’utilisation du présent de façon systématique est effectivement discutable, mais les allers-retours entre le passé et le présent sont vitaux pour rendre l’histoire vivante et signifiante pour l’élève. »
Exit, l’éducation à la citoyenneté ?

Le document de consultation suggère d’éliminer l’essentiel du volet « éducation à la citoyenneté » du cours, ce qui ne fait pas l’affaire de l’AQEUS. Plus nuancé, le RECITUS croit que ce volet n’est pas nécessaire. Pour la Coalition pour l’histoire, il doit être complètement évacué. « L’éducation à la citoyenneté n’a pas sa place dans un cours d’histoire. On ne doit pas la subordonner à l’histoire », a dit Robert Comeau, porte-parole de la Coalition. Dans le mémoire qu’elle présente la semaine prochaine, la Coalition plaide pour renommer le cours « Histoire du Québec et du Canada », revoir l’épreuve uniforme et la structure entière du programme. Elle aimerait aussi qu’on redonne plus de place à la géographie du Québec et du Canada, qui a perdu au change dans les transformations des dernières années.

Selon elle, le document de consultation est « modéré », mais somme toute satisfaisant. « On sent qu’on ne nous a pas entièrement donné raison, notamment parce que [le document] dit encore que les compétences peuvent avoir du bon. Moi, j’aurais une position beaucoup plus radicale », a indiqué M. Comeau.

Il déplore que les deux experts fassent trop de place à la conciliation entre l’histoire sociale et nationale. « Nous, on veut redonner une place à l’histoire politique et nationale. Ça ne veut pas dire qu’on s’oppose à l’approche sociale. Ce serait en complément. »

Enfin, une seule chose fait l’unanimité : l’abandon de l’approche thématique (4e secondaire) au profit d’une approche chronologique qui se déploierait sur deux ans (3e et 4e secondaire).


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