Enseignement de l’histoire - Bisbille autour d’un comité ministériel

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On ne peut laisser les fonctionnaires refaire le cours d'histoire qu'ils ont contribué à dénationaliser

Le ministère de l’Éducation a créé le mois dernier un groupe de travail pour revoir le programme de l’enseignement de l’histoire du Québec à l’école. Mais ses travaux ne sont pas encore commencés que, déjà, les historiens se disputent sur sa composition et ses orientations, a appris Le Devoir.
Présidé par le sous-ministre Alain Veilleux, le groupe est formé de didacticiens, d’universitaires et d’historiens de toutes allégeances, francophones comme anglophones, notamment la spécialiste de l’histoire des femmes, Micheline Dumont, le professeur de McGill, Paul Zanazanian, et le didacticien et romancier Jean-Pierre Charland. La moitié des dix membres du comité font partie de la Coalition pour l’histoire, bien connue pour critiquer l’actuel programme, qui évacue, selon elle, des pans de l’histoire nationale québécoise.
Ce groupe de travail, qui doit formuler des recommandations à la ministre de l’Éducation Marie Malavoy « quant aux orientations à donner à l’enseignement de l’histoire au primaire et au secondaire », devait se réunir une première fois le 7 février, mais la réunion a été annulée. Depuis, c’est le silence radio, ont confirmé plusieurs personnes nommées sur ce comité ministériel.
Selon nos informations, une formation restreinte de membres de la Coalition pour l’histoire, faite notamment des historiens Éric Bédard et Robert Comeau, sera toutefois reçue par la ministre de l’Éducation le 12 mars prochain pour présenter sa stratégie. « On a demandé une rencontre, car on constatait que dans notre programme et la plateforme du Parti québécois, il est question du renforcement de l’histoire du Québec et de changer le libellé du cours. Nous, on a quelques idées sur ce sujet-là, et on s’est dit qu’on allait leur faire des propositions », a confirmé au Devoir Éric Bédard, professeur à la Teluq.
Dans le document qu’elle présentera à la ministre et dont Le Devoir a obtenu copie, la Coalition prône la création d’un « petit » groupe de travail composé de « cinq historiens, relevant directement de la ministre » auquel on pourrait adjoindre un sous-ministre, qui procéderait à un examen des programmes, les validerait auprès des enseignants et produirait un rapport au plus tard à l’automne 2013.
Ce groupe ne devra pas être sous la gouverne du ministère de l’Éducation, pas plus qu’il ne devra être composé de gens aux opinions diverses, sans quoi la Coalition n’y participera pas, a averti cette dernière. « Nous ne croyons pas que cet objectif puisse être atteint en confiant cette analyse, sur la base d’un mandat trop large et trop imprécis, à un comité placé sous la gouverne de ressources du ministère de l’Éducation qui ont présidé à l’actuelle “dénationalisation” de l’enseignement de l’histoire et composé de personnes d’opinions divergentes dont certaines nient même l’existence d’une nation québécoise et d’une histoire nationale. Une telle approche est, à notre avis, condamnée à l’échec et la Coalition pour l’histoire ne saurait s’y associer », peut-on lire dans le document.
Éric Bédard ne nie pas vouloir s’éloigner du ministère, responsable de la « réforme catastrophique » des programmes d’histoire en 2006. « C’est le ministère qui l’a faite. Il n’y a eu aucun leadership politique du Parti libéral qui a laissé faire ça en vase clos. Si le ministère veut refaire le coup de 2006, je n’ai pas de temps à perdre. »

Une démarche « outrageante »
Cette démarche de la Coalition pour l’histoire ne fait pas l’affaire de tous. Jocelyn Létourneau, professeur au Département d’histoire de l’Université Laval, la juge « outrageante ». « C’est un mépris, pas juste pour moi, mais pour tous les membres du comité », a-t-il dit, affirmant n’avoir rien su de cette rencontre la semaine prochaine de la Coalition avec Mme Malavoy. « La ministre va peut-être nous arriver en nous disant que notre groupe de travail est fini. Elle va le saborder après avoir eu la représentation de la Coalition. »
M. Létourneau, dont la réputation le met dans le camp des fédéralistes, constate que la Coalition ne semble pas privilégier une diversité de points de vue. « J’ai l’impression qu’on est en présence de personnes qui pensent que si on ne perçoit pas l’histoire comme eux, on est nécessairement contre eux. Cette dichotomie est inacceptable, a-t-il lancé. On ne peut pas réfléchir sur ce que sera l’avenir de l’histoire au Québec, dans une société démocratique ouverte et plurielle, sans la considérer aussi sur le plan des idées et des idéologies. »
L’historien ne s’étonne pas que la Coalition ait l’oreille attentive de la ministre. « Il n’y a pas de surprise là. Mais pourquoi faire du théâtre en impliquant des gens de bonne foi dans le comité si on va le dissoudre par la suite », a dit M. Létourneau, agacé. « On ne peut pas réformer la réforme en catimini en acceptant les recommandations d’une coalition. La réforme du programme d’histoire, ça s’est étendu sur pratiquement 15 ans et on va jeter tout cela à l’eau ? C’est pas sérieux ! »
Pour lui, le gouvernement fait de l’improvisation dans le dossier. « Je ne sais pas quelles sont les raisons ou les logiques qui président à la démarche du ministère, mais on peut s’interroger sur le caractère improvisé de la chose actuellement », a-t-il ajouté.
La Coalition pour l’histoire, qui a aussi rencontré en décembre dernier le ministère de l’Enseignement supérieur, recommande à la ministre, notamment, de bonifier la formation des futurs enseignants d’histoire au secondaire, d’enseigner chronologiquement l’histoire sur deux ans (la 3e et la 4e secondaire) et de renommer ce cours « Histoire du Québec et du Canada ». Surtout, elle souhaite que le programme soit revu de façon à privilégier la connaissance politique de l’histoire nationale du Québec, en mettant l’accent sur la rébellion des Patriotes, par exemple.
« [Ce qu’on propose], c’est pas pour faire, comme ça a été dit avant nous, le bréviaire du petit nationaliste. C’est pour mieux faire connaître toutes les dimensions de l’histoire politique du Québec, avec différents points de vue, a indiqué M. Bédard. Je n’ai aucune idée de ce qui va arriver. On va commencer par rencontrer la ministre et expliquer notre point de vue. C’est au gouvernement de jouer. »


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