La politique du flou durable

Charest - dilapidation, dissimulation et corruption

Il faut féliciter Québec d'être enfin arrivé à délimiter suffisamment d'aires protégées pour atteindre -- éventuellement -- les 8 % proposés par l'Union internationale sur la conservation de la nature (UICN). Le mot important, c'est évidemment «enfin», car on y arrive avec deux ans de retard sur l'échéancier proposé par la commission Coulombe et quatre ans sur l'objectif gouvernemental.
Il faut dire que les pressions sont fortes pour que Québec repousse les échéances en matière de conservation et qu'il ne semble pas décidé à s'enlever du pied le boulet que représentent les droits miniers, qui ont une préséance législative anachronique et quasi coloniale sur les autres lois du Québec.
Toutefois, la nouvelle échéance fixée par Québec pour atteindre les 12 % est fort discutable, car 2015, c'est cinq ans plus tard que la recommandation de la commission Coulombe, mais quand même deux ans plus tôt que l'engagement électoral du PQ...
Mais au-delà du malaise suscité par cette valse des petits pas, l'atteinte, même lente, de résultats mesurables en matière d'aires protégées recèle une leçon fondamentale. S'il n'y avait pas eu dans ce dossier des objectifs mesurables assortis d'un échéancier de réalisation, les «projets» d'aires protégées -- n'oublions pas qu'ils n'ont qu'un statut de protection provisoire jusqu'à nouvel ordre -- ne dépasseraient pas 3 %. Et peut-être moins.
Nous aurions à la place des comités et des consultants proches du parti au pouvoir en train de mijoter une stratégie et probablement quelques projets-pilotes, la nouvelle manière d'éviter de régler les problèmes tout en donnant l'impression de faire quelque chose. C'est exactement d'ailleurs ce que Québec a fait avec la gestion écosystémique qui devait devenir le mode de gestion de l'ensemble des forêts et non se limiter à quelques projets-pilotes.
Tout un ministère
Cette stratégie du flou programmé en environnement est même devenue celle de tout un ministère, à en croire le plan de développement durable que vient de déposer le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ). Elle permet d'éviter d'attaquer les problèmes à la source et d'éviter de déposer des bilans chiffrés offrant en plus des perspectives historiques sur l'évolution des problèmes. Ce plan de développement durable évite en effet tout objectif de restauration environnementale sérieux au profit d'objectifs administratifs dont on ne précise aucun des résultats escomptés.
Par exemple, on adopte comme indice de progrès le taux d'employés «rejoints par les activités de sensibilisation au développement durable», mais on n'a strictement aucune idée de ce que cela changera sur le terrain. Le MAPAQ propose de réaliser 3000 diagnostics spécialisés dans le domaine agroenvironnemental, mais on n'assigne aucun résultat mesurable à cet outil coûteux. Le ministère entend «privilégier» l'approche de gestion de l'eau par bassin versant et engager dans ce processus d'ici 2013 quelque 4000 fermes sur les 30 000 que compte le Québec. Mais on omet prudemment de définir le moindre objectif environnemental précis à cette démarche, comme une amélioration du taux de conformité aux règles pourtant légales de protection des berges, avec rapport annuel public, par région!
Il existe quelques domaines où le secteur agricole se donne des objectifs chiffrés: on vise 100 % de conformité aux règles d'entreposage pour 2010. Bravo, mais cela ne veut pas dire que les épandages de ces fumiers et lisiers entreposés n'auront pas ou moins d'impacts sur les cours d'eau, ce qu'apporterait une diminution contrôlée, avec échéanciers, des apports en azote et en phosphore dans chaque bassin versant.
Le MAPAQ entend par contre réduire les apports en phosphore des piscicultures dans les cours d'eau, pour les faire passer de 7,2 kg par tonne de production à 4,2 kg d'ici janvier 2014. Voilà un objectif mesurable comme il en faudrait dans tous les secteurs de l'agriculture. Mais il était temps de passer à l'action car, comme le précisait un jour un document du ministère, une pisciculture, c'est une porcherie installée directement dans le cours d'eau!
Le plan ne contient aucun objectif mesurable de réduction des pesticides, ni globalement, ni par cultures, ni par régions. Il propose un accroissement de l'agriculture biologique mais sans définir la moindre augmentation cible de sa part de marché, des subventions ou des surfaces cultivées. On propose certes de «réaliser des actions communes et d'adopter des pratiques concrètes de gestion environnementale et d'acquisitions responsables» (Action 11). On se gargarise tout autant de mots en matière de réduction des gaz à effet de serre du secteur où l'objectif consiste à investir 20 millions dans des projets, mais sans définir, une fois de plus, le moindre objectif de réduction, ni échéancier. La seule lueur se trouve du côté de la politique d'écoconditionnalité, qu'on veut appliquer à 20 685 exploitations d'ici 2013, ce qui les obligera à respecter la norme phosphore... dans cinq ans: quelle fermeté!
Un bilan chiffré
Tout cela pourrait être remplacé par un bon bilan chiffré de l'activité agricole et de ses impacts environnementaux, publié aux deux ans, comme nous l'offrait le bilan de l'environnement publié par Québec en 1992.
On savait au moins avec des chiffres précis combien de cours d'eau avaient été creusés, quelle était la longueur totale des rives artificialisées avec notre argent, combien d'engrais avaient été épandus et quelles régions étaient en situation de surplus. On disposait du nombre d'établissements conformes aux règles d'entreposage et on avait des données précises sur les «effets des productions animales sur l'environnement». On y trouvait aussi un bilan sur les pesticides utilisés et des concentrations maximales relevées dans tous les cours d'eau agricoles du Québec. C'était en 1992!
Pour faire cesser les critiques sur ses politiques inefficaces, Québec a cessé de produire son bilan factuel de l'environnement aux deux ans, qui couvrait l'ensemble des activités humaines. Une aussi inquiétante politique de développement pas endurable, dont on voit enfin le vrai visage, subira un premier test aux mains du commissaire à l'environnement, qui devra l'attaquer de front en exigeant des objectifs de progrès environnemental précis, mesurables et assortis d'échéanciers, basés sur des bilans chiffrés et publics, sous peine de devenir lui-même le complice de cette nouvelle politique de flou durable.


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