Parc du Mont-Orford

La montagne s'embourgeoise

Par Claude Libersan

Mont Orford


Une photo aérienne du mont Orford tel qu'il est présentement illustre bien l'ampleur de l'emprise que des intérêts privés exercent d'ores et déjà sur la montagne. Ils y occupent une immense superficie sur trois versants, mais le Centre de ski Orford demeure présentement un attrait touristique et sportif mineur, peu fréquenté, qui semble ne pas rentrer dans ses frais ou, du moins, ne pas engendrer suffisamment de profits, au gré de ses propriétaires.

Mais les «promoteurs» voient tout en termes de potentiel à long terme et, la plupart du temps, le potentiel en question n'est pas celui qu'ils veulent bien laisser paraître à court terme. Il faut donc gratter sous la surface pour bien cerner leurs obscures intentions.
Présentement, ils ne sont pas contents parce qu'une porte très importante leur est toujours fermée, celle du développement immobilier. Mais, ne soyons pas dupes, le développement immobilier dont il est question n'est probablement pas celui de l'immobilier en vue du développement sportif et touristique, mais le développement immobilier en soi. Qu'on observe simplement la photo actuelle du mont Orford et qu'on y juxtapose une photo du mont Sutton et de ses environs (ou du mont Saint-Hilaire qu'on promettait dans les années 70 de ne jamais toucher) et on aura une petite idée du potentiel de profits exponentiels que recèle pour des promoteurs le site exceptionnel d'Orford.
Du moment où cette porte sera enfoncée, peu leur importera que le centre de ski ne rentre pas dans ses frais (et ils auront même intérêt à ce qu'il demeure un centre de ski mineur) puisque la véritable source de revenus sera le développement de projets domiciliaires de toutes sortes, depuis les condos promis actuellement jusqu'aux luxueuses résidences unifamiliales, à flanc de montagne. Le ski et le golf pourront alors ne constituer que des leurres pour attirer des résidants permanents, un point, c'est tout !
Il pourra bien s'y greffer un quelconque complexe hôtelier pour apaiser les humeurs de la populace, mais le but ultime, n'en doutons pas, sera le développement immobilier à grande échelle. Il y a là trop de potentiel de profits pour qu'il en soit autrement.
Une mode partout
Les complexes résidentiels à proximité de terrains de golf et de petits centres de ski sont devenus la grande mode en Amérique du Nord. Au Québec, on en a créé à Rosemère, Laval, Brossard, Saint-Jean-sur-Richelieu, Bromont, Sutton et partout dans les Laurentides.
Chaque fois, les beautés de la nature sont finalement devenues pratiquement inaccessibles aux gens qui n'y ont pas droit de propriété. Pire encore, l'on peut s'attendre à Orford à une dégénérescence progressive de la qualité biologique du parc adjacent, étouffé qu'il sera par la permanence de la présence humaine. Il est aussi probable que le parc rétrécira graduellement au fil des développements, comme on tente de le faire présentement et comme ce fut le cas ailleurs dans notre belle province.
Le même phénomène, qu'on pourrait appeler la gentrification de la montagne, s'est produit aux monts Saint-Bruno, Saint-Hilaire, Bromont, Sutton ainsi que dans les Laurentides, où l'assaut citadin a littéralement détruit une pléiade d'habitats naturels. Il y a fort à parier qu'il y dans le projet Orford une volonté sous-jacente de faire de la montagne une riche banlieue de Sherbrooke avec les résultats éventuels qu'engendrent normalement toutes les occupations et les gentrifications d'espaces naturels.
Il y a 50 ans, les villes de Saint-Bruno et de Mont-Saint-Hilaire n'étaient que de petites municipalités rurales et leurs montagnes ne craignaient pas l'assaut citadin. Maintenant, il ne reste que quelques maigres vestiges de réserve faunique et biologique à Saint-Bruno, qui subit de plus en plus les assauts polluants des villes environnantes et de l'autoroute 20; et la réserve faunique du mont Saint-Hilaire n'est protégée que grâce à la richesse et au pouvoir politique de l'université McGill, mais les riches résidences à flanc de montagne l'agressent et la compriment de plus en plus. De plus, on n'a jamais pu enrayer la progression abusive de la carrière qui gruge les flancs du mont Saint-Hilaire.
Par ailleurs, à Bromont et à Sutton, la nature n'a plus de droit de cité que sous la gouverne «planificatrice» d'intérêts humains voués au commerce et au développement immobilier.
Mais admettons que les intentions des promoteurs actuels soient absolument pures et qu'ils n'aient dans leur ligne de mire que le développement d'un centre de ski rentable, accompagné d'un projet touristique voué au «développement» de la région et à la création d'emplois. Admettons que leurs appétits financiers actuels ne soient que modestes. Quelles garanties aurons-nous que dans 5, 10 ou 15 ans le ski ne posera pas encore une fois le problème de sa rentabilité et que la seule façon d'assurer aux promoteurs des profits «acceptables» ne sera pas le développement immobilier plus poussé ?
Quelle garantie aurons-nous que les promoteurs actuels ne céderont pas bientôt leur place à d'autres plus gourmands ? Quels arguments nous resterait-il à ce moment pour freiner leurs élans ?
Le seul moyen d'empêcher que le mont Orford subisse le même sort que les montagnes mentionnées ci-dessus, c'est de faire en sorte que le portail du développement immobilier reste fermé à double tour par la loi, rien de moins. On aura beau nous faire toutes les belles promesses qu'on voudra, une fois le portail immobilier ouvert, c'est la gentrification de toute la région qui nous guette, au détriment d'un des plus beaux vestiges de biodiversité et de beauté naturelle qui nous restent au Québec. [...]
Claude Libersan
_ Saint-Jean-sur-Richelieu


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